Devant le siège de La Poste à Mériadeck, une centaine de postiers sont réunis autour d’une tour de carton. Dessus, sont inscrits les maux qui blessent leurs professions : les guichets ferment, les emplois sont supprimés, la pression hiérarchique est toujours plus présente. Cette pile représente une maison Poste de guingois, prête à s’écrouler. Un coup de pied dans la tour et celle-ci vole en éclats sous les cris des grévistes.
« On est loin de Bienvenue chez les Ch’tis »
La Gironde n’est pas épargnée par la vague de suicides mise au jour par une enquête de RTL. Sur les 9 cas depuis 2013 répertoriés par la radio, un a eu lieu fin 2015 à Lesparre. Plusieurs tentatives de suicides ont été constatées dans le département, même si le travail n’est qu’une des raisons invoquées de ces actes. Des pétages de plomb (ou « burn-out ») seraient aussi fréquemment déplorés chez les salariés et fonctionnaires.
Les conditions sociales des 5000 postiers girondins se sont dégradées, clament la CGT et Sud qui appelaient au mouvement dans le département. A Bordeaux, les postiers se sont retrouvés derrière une banderole « La Poste va me tuer ! » pour dénoncer cette situation alors que l’entreprise publique, au statut de société anonyme depuis 2010, a reçu plus de 960 millions d’euros de 2013 à 2015 via le crédit impôt compétitivité emploi (CICE).
Bernard, syndicaliste chez Sud PTT, a été conseiller financier et guichetier. Il nous avait prévenu :
« Le métier de facteur, c’est loin d’être aussi rose que dans « Bienvenue chez les ch’tis ». Ça c’était l’ancienne Poste, que j’ai un peu connu quand je suis entré en 1994. A 7h, aujourd’hui, les mecs sont à fond. »
Des PTT à la TNT
Et c’est effectivement ce que raconte Patrick, 34 ans de boite derrière lui. Il a vu les mutations du métier surtout depuis 2008 et son affectation comme facteur à Bègles. A 56 ans, c’est toujours les mêmes gestes : il arrive à 7h30 pour commencer le tri de son courrier, remplit sa sacoche puis part en tournée censée finir à 13h50. Impossible, rétorque-t-il. Au mieux, il finit à 14h30, et s’en explique :
« On a un surcroît de travail avec les nouvelles tâches – la direction appelle ça des prestations. J’ai donc une tournée de distribution de courriers dans laquelle il y a une partie commerciale. Par exemple, des collègues ont programmé la TNT chez des gens. »
Dans le cas de Patrick, ces missions le font passer pour Shiva, la déesse à quatre bras, avec une paye de fonctionnaire frôlant 1500 euros :
« Moi je prends une voiture et vais récupérer les déchets recyclables des entreprises. Renault nous a aussi passé une commande : j’avais 7 ou 8 adresses et je devais aller vanter les mérites de la Zoé, dire son autonomie en kilomètres, tout ça. Pour ça, on avait un texte à dire qui était soit sur papier, soit sur smartphone. La CCI [Chambre de commerce et d’industrie, NDLR] nous a aussi sollicité pour inciter les gens à aller voter aux élections de la chambre. On allait donner à des commerçants la date du vote, une enveloppe pour pouvoir voter et expliquer comment il fallait faire. Puis on repassait pour récupérer la lettre et demander comment la personne avait voté – par Internet ou pas. »
102 postiers disparus
L’un des soucis qu’avance la direction est la baisse constante des courriers à transporter, ce qui obligerait la société à se diversifier. On a à peine le temps de finir la question que Patrick reprend :
« La chute du courrier ? On ne s’en aperçoit pas. Il y a moins de courriers de particuliers, c’est vrai, c’est en tout cas le discours de la boite. Mais, le courrier commercial compense la baisse car lui il augmente. On le voit bien le matin quand on arrive qu’il y autant de courrier qu’avant. »
Deux postes ont été supprimés à son bureau dont un de facteur – 102 facteurs ont d’ailleurs disparu cette année selon Sud. Pour ceux qui restent, Johnny (facteur depuis 10 ans, en CDI et aux 1270 euros de salaire) voit défiler leurs histoires au comité hygiène sécurité et condition de travail (CHSCT).
« Hier (mercredi, NDLR), une collègue est tombée en larmes en ayant appris que des rues étaient ajoutées à sa tournée. Mais comme le facteur est la 2e profession préférée après celle de boulanger, la Poste essaie avant tout de vendre cette image. »
Un ersartz de Poste
Jean-Philippe a lui passé 30 ans à la Poste dont 20 derrière un guichet. Payé 1780 euros, le fonctionnaire cégétiste a aussi vu ses missions se multiplier avec l’arrivée des assurances et de la téléphonie. Dans le même temps, les bureaux disparaissent. Rien que dans l’année 2016, 18 ont fermé leurs portes, selon les syndicalistes.
Au mieux, ils deviennent des agences postales communales où la mairie paie la Poste, ou des relais commerçants avec « un ersatz de Poste ». Au pire, ils ferment tout simplement. Un mal connu en zone rurale et qui gagne la ville : 3 fermetures à Bordeaux, 3 à Pessac, 2 à Mérignac, 1 à Gradignan. Leurs noms sont affichés sur les cartons, associés à un chiffre : « -50 emplois de guichetier(e)s ».
Ce métier de guichetier a muté pour Jean-Philippe, et son statut de fonctionnaire serait même voué à disparaître :
« Il n’y a plus non plus les moyens de remplacer. Les remplaçants sont des intérimaires qui ne sont pas formés. Leur formation se fait en deux jours alors que pour les guichetiers c’était deux mois. Aujourd’hui, on a 50% de fonctionnaires et 50% de salariés contractuels, on va bientôt faire la bascule. »
Pour lui, cela ajoute une nouvelle pierre à l’édifice du service dégradé. Anne-Isabelle s’invite dans la conversation. Elle travaille au 5e étage du siège de Mériadeck, celui du service financier, payée 1800 euros après 24 ans de service.
« On était 1600 en 2005. On est 1000 désormais. »
Les collègues sont partis, la proximité avec les usagers (pardon, les clients) également.
« A Bordeaux on doit traiter des cas sur toute la France jusqu’aux Dom-Tom. On ne garde jamais les mêmes dossiers. En 2011, des gens pouvaient encore nous appeler. Mais maintenant, ils appellent des plate-formes téléphoniques. »
Mais la désorganisation est telle qu’il faut deux mois pour régler une fraude à la carte bleue. Anne-Isabelle l’avoue, elle se sent obligée de mentir pour faire patienter les victimes :
« Je ne peux pas dire ça à des gens qui attendent 900 euros et qui ne touchent que le Smic. »
Comme France Télécom
A la plate-forme industrielle du courrier depuis 10 ans (et 1600 euros par mois), Michaël remarque qu’il n’y a pas eu de perte de volume ni de personnel mais qu’avec ses collègues, il a récupéré le travail de petits centres de tri qui ont fermé :
« On a récupéré leur activité mais pas le personnel. »
Une trentaine d’intérimaires triment toute l’année à côté des 350 titulaires.
« Au bout de 15 mois d’activités, on doit se séparer d’eux sinon ils doivent les titulariser. Et on en embauche d’autres. »
Quelques jours avant cette journée, la direction des ressources humaines a annoncé nationalement le recrutement de 500 facteurs en CDI. Ce qui fait rire jaune Bernard :
« Dispatché sur tous les départements, ça va faire quoi ? 2 facteurs en plus par département. »
Les maux sont profonds et la mobilisation – bien que remarquée devant la Poste – n’est pas généralisée à tous leurs collègues. Selon Sud PTT 33, ils sont 10% de guichetiers en grève et 5% au courrier. Nationalement, la direction ne donne pas plus de 4% de grévistes.
Tous les manifestants évoquent la crainte de subir une série de suicides comme France Télécom en a connu en 2008-2009. Une pétition du PCF pour soutenir les postiers a reçu plus de 6300 signatures.
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