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Le dernier combat de Danièle Martinez

Danièle Martinez, fondatrice du Salon du livre de Bordeaux et directrice emblématique de la Base sous-marine, s’est éteinte le dimanche 12 février.

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Le dernier combat de Danièle Martinez

Le dernier combat de Danièle Martinez se sera soldé par un échec. Elle qui s’était battue contre tout le monde – les institutionnels, les banquiers, les éditeurs, les libraires et contre elle-même aussi et ses plus proches collaborateurs – pour faire advenir l’idée qu’elle se faisait d’une manifestation culturelle de prestige, n’a pu résister au cancer qui a fini par l’emporter.

Le Salon du livre de Bordeaux

La trajectoire qui fut la sienne est exemplaire, à plus d’un titre. Quand elle arrive à Pessac, elle se voit confier la mission de créer un Salon du livre ; lequel remporte un succès immédiat – c’était l’époque où les manifestations autour du livre n’étaient pas légion. Au point que les grands éditeurs parisiens, Jean Laforgue qui était le directeur de la librairie Mollat, Eric des Garets, à l’époque directeur du Centre régional du livre, Henri Martin, le fondateur de La Machine à lire, forment le projet de transporter ce Salon à Bordeaux.

Pour ce faire, il faut d’abord une association, laquelle aura pour président Jean-Marie Planes qui aura la tâche première de négocier un accord avec Chaban-Delmas. L’association recrute Danièle Martinez comme directrice. En 1987, la première édition a lieu à la Galerie Tatry ; puis s’installera dans ce lieu auquel il fut lié pour tous ceux qui y participèrent et qui lui convenait si bien, le hangar 5.

Danièle travailla, pendant plus de dix ans, pour ce Salon du livre, qui se tenait en octobre et que personne, pour rien au monde, – éditeurs et auteurs – n’aurait manqué ; il fut tenu longtemps pour le deuxième salon français, après celui de Paris. Deux événements y étaient liés. D’abord, le Prix Ecureuil de littérature étrangère sur la suggestion de Claire Cayron, récompensa un grand écrivain étranger et son traducteur ; prix remis par une délégation bordelaise à l’écrivain dans son pays même. Furent ainsi couronnés entre autres Miguel Torga, Rafaël Alberti, Christa Wolf ou Pier Maria Pasinetti. Ensuite les expositions : sur Barthes, sur Buzzati ou encore sur Giono et le cinéma. Ces expositions connurent un très vif succès, hors même de Bordeaux.

Devoir accompli

J’ai fait partie pendant quelques années de l’Association du Salon du livre et je me souviens encore des réunions dans le local du cours Balguerie-Stuttenberg, elles étaient parfois interminables et l’ambiance y était chaude – mais que d’idées y furent débattues – et des hommes et des femmes qui venaient prêter main-forte quand tout semblait impossible à boucler, que les subventions n’arrivaient pas, que les banquiers se faisaient tirer l’oreille.

Je savais que, tous les matins, Danièle téléphonait à Jean-Marie Planes, qu’il fut à Bordeaux ou dans le coin le plus reculé de Madagascar, pour lui faire part de la situation qu’elle fût matérielle, financière ou relationnelle. Nous pensions souvent que les difficultés accumulées ne parviendraient pas à trouver de solution et qu’il allait falloir renoncer. Et puis, miraculeusement aurait-on dit – mais Danièle ne croyait pas en Dieu –, tout se mettait en place et l’inauguration avait lieu, au jour et à l’heure dite. Le public était là au rendez-vous, Danièle tenait jusqu’à la fin, veillant à tout, ne laissant rien au hasard, gérant les caprices des uns et des autres, surmontant sa fatigue par la satisfaction du devoir accompli.

Danièle Matinez à la Base sous-marine en 2010 (extrait d’une vidéo de Guillaume Gwardeath)

La Base sous-marine

Quand elle quitta la direction du Salon, nous fûmes nombreux à nous demander comment elle allait pouvoir reprendre un boulot de fonctionnaire municipale – c’était son métier d’origine, en fait – et sa nomination à la Base Sous-marine fut une surprise dont nul ne pouvait prévoir comment elle pourrait se tirer.

Un lieu magnifique, certes, mais impossible, froid, humide et obscur, mal aimé des bordelais, ce bunker voulu par les Allemands, apparaissait ingérable et quelques tentatives avaient tristement échoué.

C’était mal connaître Danièle. Le défi était à sa mesure. Elle le releva avec l’énergie qui était la sienne, il fallut sans doute bousculer les habitudes, mais, en quelques années, elle sut faire de la Base un lieu culturel qui trouva son public. Elle y invitait ceux qu’elle aimait qu’ils soient danseurs, peintres, sculpteurs ou photographes.

Je garde un souvenir tout particulier d’une exposition où les peintures d’Alain Bergeon, corps amoureux, étreintes attendries ou désordonnées venaient se croiser avec les sculptures de Robert Kéramsi, « des hommes et des femmes sans mouvement, sans joie ni tristesse, dans une scénographie qui tirait parti de toutes les possibilités qu’offrait la Base ». (Cf. Michel Pétuaud-Létang, Bergeon+Kéramsi, A éditions)

Danièle Martinez avait une passion pour le flamenco – ce n’est pas tout à fait un hasard –, pour ce mélange de détermination obstinée et de déchirement tragique. Sa vie fut à son image.


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