1 – Parce que nous sommes tous concernés
Les Français sont accro au web : un sur deux ne peut pas « se passer 3 jours d’Internet sans que ça lui manque », selon une étude du Credoc en 2016. Et la moitié d’entre eux utilisent des smartphones, tablettes ou ordinateurs tous les soirs dans leur lit, d’après l’enquête pour l’Institut national du sommeil et de la vigilance.
Or on observe que les outils numériques favorisent l’invasion de la vie privée par les impératifs professionnels. D’après une étude du cabinet Eléas, spécialisé dans la prévention des risques psycho-sociaux, plus d’un tiers des actifs utilisent chaque jour leurs outils numériques professionnels en dehors de leur temps de travail. La proportion est plus forte chez les artisans, commerçants, chefs d’entreprise (61%), les cadres (44%) et moindre chez les professions intermédiaires (34%) et les employés (29%).
2 – Parce qu’il ne faut pas trop tirer sur la laisse
Ce phénomène d’hyperconnexion a particulièrement été disséqué chez les cadres par un programme national de recherche par le MICA (Médiations, informations, communication, arts), un laboratoire de l’Université Bordeaux Montaigne, et dont les résultats ont fait l’objet d’une publication récente :
« Les superbes outils à la pointe de la technologie sont souvent des cadeaux empoisonnés, analyse Nadège Soubiale, maître de conférence en psychologie. Ces laisses électroniques poussent les cadres à faire du reporting permanent. Entre 60 et 70% d’entre eux vérifient ainsi leur messagerie en dehors des heures de travail, le soir, le matin, le week-end et pendant leurs congés. »
Tous ne vivent pas de la même manière la souplesse que sont censés offrir ces outils, expose l’enquête. Si certains cadres connectés H24 déclarent ainsi ne pas être gênés par cet empiètement sur leur vie familiale ou amicale, d’autres vivent très mal le fait d’avoir à passer quelques coups de fils un samedi. Et plus ils ont de responsabilités, plus ils sont connectés, poursuit Nadège Soubiale :
« Ce sont les cadres de direction qui sont les plus hyper-connectés. La proximité avec le management renforce le sentiment d’urgence et la pression inhérente à l’organisation par projet, dans laquelle on ne compte plus ses heures. De ce point de vue, le numérique ne vient que renforcer un phénomène déjà ancien, lié au statut du cadre et à sa culture du « présentéisme », en ce qu’il permet l’instantanéité de la réponse. Des échanges vifs et interactifs, qui peuvent provoquer une certaine addiction. »
78% des cadres se connectent par exemple à leur boîte mail professionnelle avant de s’endormir… Bonne nuit garantie.
3 – Parce que ce n’est pas bon pour la santé
Outre que le portable peut être un vrai tue-l’amour – selon une étude anglaise, deux tiers des femmes et la moitié des hommes répondent à des appels en plein rapport sexuel -, la dépendance au numérique n’est pas sans effet sur la santé.
Ces risques psychosociaux ont fait l’objet d’une thèse de Cindy Felio, de l’Université Bordeaux Montaigne, qui a aussi participé à l’enquête collective sur l’hyperconnexion des cadres. le groupe de recherche bordelais en explique les causes dans un entretien au blog « Mais où va le web ? » :
« La surabondance informationnelle est devenue anxiogène : « on est inondé d’informations » ; « on n’arrive plus à suivre » font souvent remarquer les cadres. C’est notamment cette surcharge informationnelle constante et la crainte de ne plus la maîtriser pour pouvoir agir qui accentuent le stress. »
Technostress
Selon Nadège Soubiale, « on peut ainsi basculer dans la dépression et le burn-out à cause de l’envahissement de toutes les sphères personnelles par le professionnel, et les difficultés à gérer ces temps là » :
« On parle de technostress lié à ces sentiments d’être débordés, au « multitasking ». Entre 50 et 70% des cadres parlent d’une dégradation de leurs conditions de travail liée au numérique, et 59% à 65% craignent des effets délétères pour leur santé – problèmes de dos, de posture ou d’activité trop sédentaire… Un tiers de cadres disent avoir observé dans leur entourage des cas de burn-out liés à une utilisation immodérée des TIC. »
Le numérique aurait ainsi, selon Nadège Soubiale, une responsabilité non négligeable dans l’accroissement des cas de burn-out en France.
4 – Parce que la loi l’encourage
Le droit à la déconnexion est désormais reconnu, et c’est l’une des (timides) avancées pour les salariés de la loi El Khomri, qui avait reçu un rapport sur ce sujet : elle oblige depuis le 1er janvier 2017 les entreprises de plus de 50 salariés à prévoir des dispositifs de déconnexion et à engager des concertations sur les processus de régulation.
Lors d’un débat récemment sur la Digital Detox récemment organisé à Darwin par le Social Media Club, le juriste Loïc Lerouge a toutefois regretté le choix d’un « droit mou ». Pour ce chercheur au CNRS et à l’Université de Bordeaux, il dépend en effet de la mise en place d’une charte dont l’absence n’est pas sanctionnée quand la négociation n’a pas abouti ou n’est pas possible.
« Cette loi n’est pas contraignante et c’est un problème, reconnait Nadège Soubiale. En dépit de toutes les limites, elle toutefois permis de dire que l’hyperconnexion n’est pas une question individuelle. Pendant très longtemps, le cadre légal a jugé qu’il appartenait aux salariés de réguler leurs pratiques, dédouanant totalement les logiques managériales, la pression du chronomètre, la compétition interne dans les entreprises. La loi El Khomri a au moins cet avantage d’obliger à ce que cette question de la déconnexion soit débattue avec les partenaires sociaux. C’est un premier pas. »
Un pas déjà franchi par quelques entreprises, poursuit la chercheuse en psychologie Nadège Soubiale :
« La dégradation de la qualité au travail, les burn-out, ont un coût économique. Orange est ainsi un pionnière car elle a été éclaboussées par le scandale de la vague de suicides. Même si ceux-ci n’étaient bien sûr pas seulement aux TIC, cela a obligé l’entreprise à réfléchir à toutes les questions de bien-être. »
5 – Parce que des solutions existent
Aujourd’hui, si le droit à la déconnexion pendant les temps de repos des salariés est reconnu, une entreprise ne peut pas être mise en cause pour entrer en contact avec eux, sauf si cela relève du harcèlement moral.
Mais cette situation évolue lorsque la charte d’entreprise sur la déconnexion est mise en place. Pour se prémunir juridiquement, il appartient alors à l’employeur de faire suffisamment de prévention pour que les employés ne souffrent pas d’hyper-connexion. Pour répondre à ce défi et se positionner sur un marché émergent, des sociétés proposent des solutions clé en main, à l’image de Calldoor, basée à Bidart, au Pays Basque.
Pour contrôler la flotte de smartphones des salariés, elle propose d’envoyer des messages de prévention sur les terminaux numériques à une heure définie comme celle où ils peuvent se déconnecter, ou même de carrément les bloquer .
Pour Loïc Lerouge, d’autres solutions existent, comme organiser des plages horaires où le salarié est contactable en télétravail, et d’autres où il ne l’est pas.
« La déconnexion ne doit pas être organisée comme un règlement de plus, de manière rigide, mais être l’objet de négociations, et d’une bonne compréhension par l’ensemble des salariés, des syndicats, des managers… », conclut Nadège Soubiale.
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