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Pas de révolution à la tête des ultra-riches girondins

Comme tous les ans, le magazine d’économie Challenges [n°528, juillet-août 2017] vient de publier une étude sur les ultra-riches français. Le palmarès des fortunes girondines reste trusté par les grandes familles du vin, suivis des patrons du BTP.

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Pas de révolution à la tête des ultra-riches girondins

On sera tout d’abord déçu. En effet, on reste ici dans le classique, le monde du vin pour l’essentiel. Contrairement à Paris, bien sûr, et à quelques métropoles régionales, comme Lyon, on n’y voit pas fleurir des patrons de l’économie nouvelle, ni des animateurs du secteur du luxe (autre que le vin). On n’y discerne pas d’innovateurs, d’animateurs de la troisième révolution industrielle, de sociétés de progiciels ou de commerce sur internet.

Un seul cas tranche, celui des frères Harari (259e avec 335 millions d’euros, en hausse par rapport à leur 400e rang l’an dernier), qui animent Lectra, une firme d’électronique de découpe de textiles et de cuir de 260 millions d’euros de chiffre d’affaires, donc une PME à l’échelle mondiale, forte de son inventivité de niche.

Un Gifi, pas de Gafa

L’agglomération fourmille d’ateliers de création, de PME innovantes, de plateformes de partage du travail de prospective… Mais elles n’atteignent pas une taille ou une réussite qui leur aurait permis d’accumuler du capital personnel ou familial, ou elles n’ont pas été suffisamment grosses pour attirer des repreneurs permettant à leurs propriétaires de faire fortune ipso facto.

Même dans l’agroalimentaire, l’Aquitaine n’a pas sécrété d’ultra-riches, peut-être parce que les groupes dominants y sont des coopératives, et aucun groupe de distribution ne s’est affirmé. Ni les transports ou la logistique (malgré le mini-groupe Sarrat), ni les services collectifs n’ont généré de capitalistes à la hauteur de ce classement.

Des exceptions en béton

Heureusement, la dynastie Fayat (deux génération à sa tête) est venue titiller (de loin) les Bouygues. Les dirigeants du 4e groupe de BTP français atteignent tout de même le 51e rang (avec 1,5 milliard, tout de même la moitié de la fortune des Bouygues, au 30e rang). C’est la première génération qui anime le promoteur immobilier Pichet, dont la famille émarge au 101e rang.

À la fois héritier d’un nom glorieux et entrepreneur remarquable, Philippe Ginestet a réussi à propulser son groupe de distribution Gifi, au point de reprendre récemment Tati (141e rang, 600 millions).

Eux aussi enracinés dans la bourgeoisie girondine, mais surtout actifs en Nouvelle-Calédonie, les établissements Ballande (grande distribution, mines, élevages…) ont résisté au temps (235e, 350 millions). Une autre vieille famille, les Allard restent riches grâce à leur compagnie d’assurances Filhet-Allard (429e, 160 millions). Les Galland, les patrons de la fonderie Le Bélier ont réussi à s’extraire de la crise des années 1990-2000 et ont maintenu leur position (413e, 170 millions).

Un capitalisme du vin classique

Au sein de l’économie girondine, le leader du classement, Pierre Castel se rapproche de l’âge centenaire et anime un groupe aquitain et transnational bien représentatif du capitalisme des vins et des bières, Castel, ce qui permet à son patron et à sa famille de se hisser au 9e rang (avec 11,5 milliards d’euros).

Peut-on admettre que Philippe Sereys de Rothschild (avec son frère et sa sœur) est girondin malgré sa multi localisation et qu’on peut dès lors prendre en compte son 110e rang (775 millions – devant les autres branches Rothschild, 151e et 254e) ?

Déjà riches de deux générations aux manettes, les Magrez ont réussi leur reconversion des alcools courants aux grands crus (130e rang, 650 millions). Les Moueix sont bien plus « anciens » et leur mélange de production et de négoce (Duclos) de vin leur a réussi (202e rang, 420 millions).

Tout aussi classique est le club de « l’aristocratie du bouchon » que constituent les dynasties girondines, dont certaines remontent aux « temps anciens », comme les Barton ou les Mähler-Besse. Il comprend deux douzaines de propriétaires et/ou négociants : la famille Delon (Léoville Las Cases et autres propriétés) (234e, 355 millions), les Borie (Bruno et Marie : 261e, 330 millions ; François-Xavier : 346e, 220 millions), les Boüard et De Laforest (268e, 320 millions), les Cazes (273e, 315 millions), Philippe Castéja (301e, 290 millions), la famille Manoncourt (Château Figeac) (321e, 250 millions), les Vauthier (360e, 210 millions), les Lurton (famille d’André : 363e, 205 millions ; Henri : 382e, 215 millions), Allan Sichel (365e, 200 millions), les Castéja (388e, 190 millions), les Barton (295e, 180 millions), les Mähler-Besse (395e, 180 millions), les Janoueix (410e, 175 millions)

Les capitalistes reconvertis tiennent bien leur rang : Corinne Mentzelopoulos tire parti du joyau qu’est Château-Margaux (135e rang, avec 640 millions). Ayant vendu son entreprise d’hypermarchés et acheté des vignobles, Gérard Perse aura réussi sa reconversion (227e rang, 370 millions), tout comme les Genty-Cathiard (château Smith-Haut-Lafitte, Caudalie) (358e rang, 215 millions). Philippe Cuvelier, riche grâce à la vente d’un distributeur d’articles de bureau en 1992, s’est constitué un beau patrimoine viticole (334e rang, 245 millions), tout comme Didier Cuvelier (443e, 150 millions).

Rien de très nouveau dans ce classement ! On est loin de la plasticité du capitalisme des temps nouveaux. Et pourtant l’économie aquitaine tourne bien, mais c’est qu’elle bénéficie des usines et services de grands groupes français (comme Casino avec C-Discount, Dassault, Thalès, Safran, etc.) ou étrangers (consultants, pharmacie, etc.).

Une dizaine de milliards d’euros en jeu

Son histoire a été celle de rachats de sociétés familiales dont l’argent a été généralement investi ailleurs, d’où l’appauvrissement du terreau d’où voir émerger des ultra-riches. Par chance, les piliers du temple du vin restent solides, tandis que des tempietto abritent une demi-douzaine de patrons dans d’autres secteurs, ce qui est bien peu mais déjà rassurant car on peut compter sur leur énergie, comme chez Fayat, Pichet ou Ginestet, qu’on aime ou non le capitalisme et les inégalités qu’il sécrète.

Si l’on brasse les chiffres, on peut penser que les montants totaux ainsi brassés restent modestes à l’échelle du grand capitalisme français et mondial. Les patrons actifs hors du vin pèsent ensemble 3,680 milliards ; sans les Castel et les Rothschild, les patrons du vin rassemblent 4,485 milliards, tandis que les parvenus du vignoble atteignent 1,615 milliard. C’est une dizaine de milliards d’euros qui en jeu, et un peu plus d’une vingtaine avec les Castel – mais ils sont localisés fiscalement en Suisse…

D’un coup d’un seul, les animateurs des Gafa (Google, Amazon, Facebook, Apple) ou les entrepreneurs du luxe brassent bien plus de milliards. Ce modeste essai doit ainsi inciter le lecteur à méditer sur l’évolution de l’économie girondine, sa place dans le capitalisme français et mondial, sa capacité à sécréter des ultra-riches.


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