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Sur les traces de la Révolution française à Bordeaux

Que reste-t-il du Bordeaux révolutionnaire ? De l’enthousiasme de 1789 à l’exécution des députés Girondins, auxquels rend hommage la colonne de la place des Quinconces, la ville porte les traces, souvent discrètes mais réelles, de l’Histoire.

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Sur les traces de la Révolution française à Bordeaux


Retrouver le Bordeaux révolutionnaire en arpentant les pavés de la capitale girondine : c’est ce que propose le Café historique, lors d’une visite conduite par Frédéric Bechir. Le 16 mai dernier, en fin d’après-midi, une vingtaine de passionnés suivent l’historien et guide conférencier. Du Palais Rohan au monument aux Girondins sur la place des Quinconces, le groupe s’arrête devant plusieurs sites importants, emblématiques de cette période tumultueuse, ou ignorés du commun des mortels. Derrière ces murs se sont pourtant sans doute noués quelques moments clés de l’Histoire de France. En voici quelques exemples.

Bienvenue rue J’adore l’égalité

La rue Montbazon était baptisée rue J’adore l’égalité sous la Révolution (SB/Rue89 Bordeaux)

Depuis la rédaction des cahiers de doléances, les Bordelais suivent avec passion les débuts de la Révolution. Le 17 juillet, lorsqu’ils apprennent la chute de la Bastille, ils se pressent par milliers dans le Jardin Public, arborant des cocardes tricolores. A l’appel d’un fils de négociant, Jean-Baptiste Boyer-Fonfrède, 10000 volontaires forment une armée révolutionnaire pour défendre les libertés. Un comité des Quatre-Vingt-Dix, émanation des 240 élus des habitants et des corporations de la ville, se constitue.

Après la nuit du 4 août et l’abolition des privilèges, l’enthousiasme redouble. Plusieurs rues vont être rebaptisées : l’actuelle rue Montbazon prend par exemple un nom politique, et poétique : « J’aime l’égalité ».

« Sous l’impulsion des clubs et des lectures publiques de journaux, l’entrée en politique des Bordelais s’est faite dans leurs quartiers, où se constituent, à partir de 1790, sur le modèle parisien, des sections de citoyens, creusets de la Révolution », écrit Anne-Marie Cocula, présidente honoraire de l’Université Bordeaux Montaigne (Histoire de Bordeaux, Le Pérégrinateur, 2010).

On comptera 28 de ces sections, comme les Sans-culottes aux Chartrons, le Champ de Mars au jardin public, L’Esprit des Lois aux allées de Tourny, les Hommes Libres à Saint-Michel…

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Ces Girondins issus du club des Jacobins

Le couvent des Dominicains (aujourd’hui appelé cours Mably), siège de la Société de Amis de la Constitution (SB/Rue89 Bordeaux)

Le 2 novembre 1790, la Révolution met les biens des congrégations religieuses à la disposition de la Nation. A Bordeaux, la Société des Amis de la Constitution, un des deux grands clubs de la ville avec le Café National, est créée en avril 1790 et s’installe dans des locaux de l’ancien couvent des Dominicains (l’actuelle Cours Mably).

Plus connue sous le nom de club des Jacobins, la section bordelaise de la Société compte dans ses rangs nombre de ceux qui, après leur élection comme députés, constitueront à Paris le groupe des Girondins, notamment l’avocat Pierre Victurien Vergniaud. Partisan de la monarchie constitutionnelle, ce dernier devient un vibrant Républicains après la tentative de fuite de Louis XVI à Varennes, le 20 juin 1791.

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L’église devenue temple de la Raison

L’église Notre-Dame a abrité le culte de la Raison, puis de l’Être Suprême (SB/Rue89 Bordeaux)

A Bordeaux, après l’adoption de la constitution civile du clergé, 73 prêtres ont accepté de prêter serment, 124 ont refusé. Le nombre important de réfractaires est lié au passé très catholique de la ville. L’archevêque de Bordeaux démissionne et s’exile à Londres.

Pendant la politique de déchristianisation, la cathédrale Saint-André deviendra un magasin à fourrage, l’église Notre-Dame sera transformée en Temple de la Raison (l’actuelle place du Chapelet est d’ailleurs rebaptisée place de la Raison), puis dédiée au culte de l’Être suprême instauré par Robespierre.

(SB/Rue89 Bordeaux)

La Révolution crée en effet ses propres cérémonies, comme la fête de la Fédération, le 14 juillet. Une autre a également célébré la première abolition de l’esclavage, le 4 février 1794. On doit celle-ci à un ancien avocat bordelais, Etienne de Polverel, et à un autre révolutionnaire girondin (d’Oyonnax), Léger-Félicité Sonthonax : les deux hommes, commissaires civils de la République à Saint-Domingue, prirent la décision d’émanciper les esclaves de la colonie française, qui venaient de se soulever. En avalisant cet acte, la Convention vota l’abolition générale. Mais Napoléon Bonaparte reviendra dessus en 1802.

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Vergniaud et la révolte de Bordeaux

Rue du Hâ, la maison de Pierre Victurien Vergniaud, un des leaders des Girondins (SB/Rue89 Bordeaux)

Au 41 rue du Hâ, aucune plaque ne signale qu’une des grandes figures de la Révolution a vécu dans cette maison : Pierre Victurien Vergniaud. Elu en octobre 1791, l’avocat siège à gauche de la nouvelle Assemblée législative avec ses amis de Bordeaux, Ducos, Gensonné et Guadet. Leur groupe, auquel sera donné le nom de Girondins, devient majoritaire, notamment grâce aux talents d’orateurs de Vergniaud, nommé à la présidence de l’Assemblée, puis de la Convention.

Contre l’avis de Robespierre et de quelques figures de la Montagne et des Jacobins, dont font encore partie les Girondins, ceux-ci entraînent la France dans la guerre, comme moyen de faire tomber les monarchies et d’affaiblir Louis XVI. Il votera d’ailleurs la mort du roi, en janvier 1793. Mais les débâcles militaires, l’influence grandissante de la Commune de Paris et des Montagnards auront raison des Girondins, qui avaient tenté de faire arrêter Marat.

Vergniaud (DR)

Robespierre les accuse d’avoir pactisé avec La Fayette et Dumouriez, les généraux français passés à l’ennemi. Le 2 juin, les Girondins sont exclus de la Convention et du gouvernement. Sentant le vent du boulet, Vergniaud avait lancé le 5 mai un appel à la révolte – « Hommes de la Gironde, levez vous ! » – contre « les factieux ».

Le 9 juin, une commission populaire de salut public est instaurée à Bordeaux par 49 membres issus d’instances municipales ou départementales. Ils jurent notamment « de maintenir la liberté, l’égalité, la République une et indivisible, la sûreté des personnes et des propriétés ».

Mais minoritaire et isolée, incapable de lever des troupes, elle doit se dissoudre le 2 août.  Trop tard : la répression est en marche.

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La Terreur et Notre Dame de Bon Secours

La guillotine était installée au n°10 de la place Gambetta (SB/Rue89 Bordeaux)

L’ex place Dauphine, rebaptisée place Nationale, la « montagne » de Bordeaux devient le lieu symbolique de la Terreur montagnarde. La guillotine est installée au n°10 de la place, dans un renfoncement de la façade. Les condamnés sont essentiellement les insurgés « fédéralistes » qui ont tenté de soulever la ville après la proscription des Girondins de la Convention. Mais aussi des prêtres réfractaires, et une trentaine de négociants inculpés de « crime contre le peuple » – en cette période de disette, ils sont accusés d’avoir spéculé sur le cours des biens alimentaires.

301 exécutions capitales se déroulent à Bordeaux en 298 jours. C’est beaucoup, mais bien moins qu’à Nantes (10000 morts) et Lyon (1700), où les commissaires Carrier et Fouché mènent une répression sanglante. Jean-Lambert Tallien, envoyé à Bordeaux en octobre 93 par la Convention, est d’ailleurs rapidement rappelé à Paris pour justifier d’un trop grand nombre d’acquittement.

« Thérésia Cabarrus, ex épouse du marquis de Fontenay, et proche des Girondins, aurait fait pression sur Tallien pour lui faire cesser ses exécutions, explique le guide conférencier Frédéric Bechir. Brillante et très belle, elle bénéficiait de l’oreille de Tallien, qu’elle épousera par la suite. Elle était sollicitée par de nombreux Bordelais pour qu’elle intercède en faveur de leurs proches, ce qui lui vaudra le surnom de Notre Dame de Bon Secours. »

Pourtant, regrette l’historien, rien n’indique que Thérésia Cabarrus vécut au 23 cours de Verdun, elle n’a pas eu droit à une statue, et seulement une rue porte son nom, à Pessac.

Les appartements de Thérésia Cabarrus, cours de Verdun (SB/Rue89 Bordeaux)

Son rôle dans l’histoire de France est pourtant déterminant : emprisonnée au Fort du Hâ et sur le point de passer en jugement, elle pousse Tallien à entrer dans la conjuration contre Robespierre. Elle sera ainsi surnommée Notre-Dame-de-Thermidor, car elle aurait sauver ainsi de nouvelles vies. En fait, l’épuration qui suivra le renversement de Robespierre sera tout aussi sanglante que les précédentes.

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 Les Girondins repêchés par la mémoire

Plaque hommage aux députés de la Gironde (SB/Rue89 Bordeaux)

Cent ans après le début de la Révolution, la ville de Bordeaux décide d’ériger un monument place des Quinconces, à la gloire de ses députés martyres de la Terreur. Si Vergniaud a refusé de fuir, et a été guillotiné le 31 octobre 1793 à Paris avec 21 autres députés girondins, d’autres (Barbaroux, Buzot, Pétion) ont tenté de se cacher du côté de Saint-Emilion, chez Guadet, qui sera finalement arrêté et exécuté à Bordeaux.

Célébrés par Lamartine dans son « Histoire des Girondins » – un nom donné après coup -, ceux-ci ne sont pourtant pas que des victimes expiatoires des Montagnards, estime Frédéric Bechir :

« Les Girondins ont voté la guerre, et pour juger Marat, ils ont créé un tribunal révolutionnaire qui s’est retourné contre eux. »

Le projet initial de monument n’a toutefois pas réalisé en entier : les deux groupes de statues représentant huit des principaux députés ne seront jamais réalisés et leurs emplacements sur le socle de la colonne, en arrière de chacune des deux fontaines, demeurent toujours inoccupés.

Seule une plaque de la colonne portant leurs noms a été finalement été installée qu’en 1989. Elle comporte 8 noms et selon Frédéric Béchir une aberration : François Bergoeing, qui n’a pas été exécuté mais a fini sa vie naturellement à Bordeaux, en 1829.


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