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Qui veut vraiment sortir le bordelais des pesticides ?

Alors que la Commission européenne doit se prononcer sur l’autorisation du glyphosate, médecins et collectifs anti-pesticides montent au créneau dans la région pour demander l’interdiction des produits les plus dangereux. Ils manifesteront ce dimanche à Listrac-Médoc, pour dénoncer l’inertie des pouvoirs publics et de l’interprofession viticole.

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Qui veut vraiment sortir le bordelais des pesticides ?

Après les revers judiciaires, c’est l’heure de la contre-offensive sur le terrain. Plusieurs décisions de justice ont récemment donné tort aux victimes des pesticides – non-lieu dans l’affaire de Villeneuve sur Blaye, où un épandage avait provoqué des malaises parmi les enfants d’une école jouxtant les vignes, puis refus de la reconnaissance post mortem de maladie professionnelle d’un viticulteur, la frère de Marie-Lys Bibeyran.

« Cette série de décisions pose un problème grave », estime cette dernière. Car si sur ces affaires judiciaires, « aucune n’aboutit à une condamnation des coupables, quelle victime peut donc encore espérer justice et réparation ? »

Son Collectif Info Médoc Pesticides, et 8 autres associations et syndicats (Générations Futures, Confédération Paysanne, CGT Pauillac…) appelle à une marche blanche ce dimanche à Listrac-Médoc « pour dire non au déni, non à la double peine de la maladie et du silence ».

« Nous demandons aux pouvoirs publics de reconnaître les préjudices sanitaires supportés par les travailleurs agricoles, et d’ouvrir les tableaux de reconnaissance en maladies professionnelles, affirme le Collectif Info Médoc Pesticides. Nous souhaitons également que les populations environnantes – en particulier les enfants – ne se retrouvent plus « prises en otage ». Enfin, nous souhaitons que les viticulteurs qui ont choisi de convertir leur exploitation en agriculture biologique soient soutenus, et encouragés. »

A votre santé

Parmi les associations appelant à manifester dimanche figure Alerte Médecins Pesticides. Avec l’Union régionale des médecins libéraux Nouvelle-Aquitaine (URPS), elle a demandé ce mercredi au gouvernement français de ne pas voter le renouvellement d’autorisation du glyphosate (demande entendue ce jeudi). La Commission européenne, à laquelle vient de s’opposer le Parlement, doit en effet se prononcer sur une éventuelle interdiction de cet herbicide, classé « cancérogène probable » par le CIRC (centre international de recherche sur le cancer), une agence de l’OMS (organisation mondiale de la santé).

« On constate comme tous nos confrères une augmentation de certains cancers, des tumeurs rares qui deviennent fréquentes, notamment le lymphome non hodgkinien (un cancer du sang), dont une expertise de l’Inserm a démontré le lien avec le glyphosate, abonde le docteur Pierre-Michel Perinaud, président d’Alerte Médecins Pesticides. Le Circ classe le glyphosate comme cancérogène probable pour l’homme, mais certain chez l’animal, et génotoxique. Pourquoi le principe de précaution qu’on met si haut dans le pays ne s’applique pas à cette thématique des pesticides ? »

Les tracteurs de pesticides quitteront-ils les vignes un jour ? (XR/Rue89 Bordeaux)

Il en va de la santé des agriculteurs, mais aussi de celle de l’ensemble de la population, estime Jean-Luc Delabant, médecin généraliste à Bordeaux et secrétaire du pôle aquitain de l’URPS

« Les gens sont surexposés dans le monde agricole, mais après épandage, l’herbicide se retrouve dans l’eau des nappes et des rivières, et tout le monde est soumis au bruit de fond. Des molécules peuvent être nocives même à très petites doses, comme les perturbateurs endocriniens, ou inoffensives seules, mais dangereuses en effet cocktail. Il faut donc obtenir l’interdiction de certains produits toxiques, mais ça n’arrivera pas du jour au lendemain. Notre rôle c’est de faire adopter à la population des modes de vie qui peuvent faire diminuer leur exposition ».

Zéro CMR, c’est possible

Arrêter par exemple d’utiliser du Roundup dans son jardin, ou de mettre à son chien un collier anti-tique au fipronil… Et pour les agriculteurs, passer au Zéro CMR, les produits phytosanitaires cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques (toxiques pour la reproduction humaine), comme le recommande un récent rapport de l’ONU.

C’est possible et sans forcément se convertir au bio, selon les collectifs anti-pesticides et la Confédération Paysanne. Ils ont ainsi récemment présenté à Bordeaux deux exemples de traitement du vignoble sans phytos en contenant. Dans une propriété de 70 hectares près de Bergerac (le nom n’a pas été divulgué), des substances actives, autorisées en agriculture biologiques, ont été utilisées contre le mildiou, l’oïdium, la cicadelle de la flavescence et les vers de grappe. Résultats : la récolte a été protégée des maladies, les rendements maintenus sans embauche de nouveau salarié, et une économie de 7000 euros réalisés dans les charges de produits phytos.

« Cela prouve qu’il y a des choses très concrètes à faire, souligne Valérie Murat, d’Alerte aux toxiques. Alors qu’avec Ecophyto (le programme national de réduction des pesticides, NDLR), des centaines de millions d’euros ont été dépensés pour rien, puisque l’utilisation et la commercialisation n’a cessé d’augmenter jusqu’en 2014″.

Selon les initiateurs de cette expérience, « une première étape vers la sortie des pesticides serait l’accompagnement gratuit dans des programmes de traitements du vignoble sans CMR ». Car, déplore Valérie Murat, « les chambres d’agriculture propose bien l’intervention de conseillers, qui font un état des lieux de l’utilisation des pesticides et proposent des produits de substitution aux CMR, mais ce service est payant ».

Dephy nature

A partir de 600 euros par an, répond-on du côté de la chambre d’agriculture de la Gironde, et 1500 euros pour un contrat avec 10 visites dans l’année.

« Ce n’est pas non plus énorme, et les programmes sans CMR sont très vite rentabilisés, indique son vice-président, Patrick Vasseur. Et il faut bien payer nos conseillers, alors que les financements publics sont en baisse. On doit équilibrer. »

Les subventions concernent les conseils pour la conversion en bio (à hauteur de 40% de la facture pour les viticulteurs), et les actions du plan Ecophyto, à savoir le réseau des Fermes Dephy, dont les résultats sont intéressants, mais limités.

« Nous enregistrons entre 20 et 25% de baisse de l’usage des produits phytosanitaires en viticulture, poursuit Patrick Vasseur. Certaines exploitations ont réussi 50%, d’autres n’ont pas diminué. Nous avons 4 réseaux en Gironde, qui ont chacun entre 2 et 12 exploitants. En France, l’ambition est de passer de 3000 à 30000 exploitants engagés dans les fermes Dephy. Mais Ecophyto 2 a été validé il y a deux ans, ce n’est pas de notre faute si l’État met autant de temps à mettre en place les financements. On sent pourtant que la demande est forte chez les viticulteurs. Si il y a une responsabilité à trouver dans l’utilisation très importante des pesticides, il ne faut pas la mettre sur le dos des agriculteurs. »

Les critiques des collectifs anti-pesticides visent d’ailleurs d’autres cibles, à commencer par l’Etat. En effet, le dernier arrêté Phyto « transfère la responsabilité pénale des pathologies liées à l’exposition des pesticides, des firmes de l’industrie chimique qui produisent les pesticides et des services de l’Etat qui les homologuent, vers les ouvriers agricoles « , selon qu’ils se sont ou non protégés avec les équipements spéciaux…

C’est par où la sortie ?

Ils pointent également les institutions locales de la viticulture bordelaise :

« Le 6 juillet 2016, la région Nouvelle-Aquitaine, la Chambre d’agriculture et les Vins de Bordeaux ont signé une convention pour une réduction de l’usage des produits phyto, rappelle Valérie Murat. Alain Rousset évoquait un objectif à moins 20%, pour passer à 30% ou 40% ensuite. Bernard Farges, ex président du CIVB (conseil interprofessionnel des vins de Bordeaux), indiquait que les Vins de Bordeaux ont pour objectif la diminution forte, voire la sortie de l’usage des pesticides. Le problème, c’est que depuis la signature de ce plan, rien ne s’est passé : pas de calendrier, aucun budget alloué, pas de direction claire sur le changement de modèle technique et économique. »

Projection de « Stop pesticides » sur la façade de la Cité du Vin (©About Light and Men/Kami)

A la région Nouvelle-Aquitaine, on nous répond que plusieurs actions ont été lancées : 13 projets sur les « pulvérisateurs du futur » retenus après appel à manifestation d’intérêt ; signature avec la profession d’un « Pacte Bio visant à renforcer l’appui à la viticulture biologique qui est une des réponses (mais pas l’unique) à ce défi de réduction d’intrants (18.000€/an et par exploitation pour la conversion et 10.000€/an et par exploitation pour le maintien) ; ou encore lancement prochain « en partenariat avec la Chambre d’agriculture de la Gironde d’un appui technique à destination des viticulteurs « conventionnels » ciblé sur la réduction d’intrants. »

Joint par Rue89 Bordeaux, le CIVB réserve quant à lui ses réponses à la conférence de presse de rentrée, le 10 octobre prochain. Son actuel président, Allan Sichel, s’est certes prononcé pour une baisse de l’usage des pesticides. Mais pour les collectifs anti-pesticides, « l’interprofession campe sur des mesures bien en dessous des enjeux », comme la « certification environnementale », une charte non contraignante, sans cahier des charges, mêlant allègrement bio et conventionnel.

Effet spritz

Dominique Techer, secrétaire départemental de la Confédération paysanne de Gironde, dénonce en outre des liaisons dangereuses, notamment pour les coopératives « juges et parties » : elles vendent des pesticides et les conseils pour réduire leur usage, à l’instar d’Euralis. La Cave des Hauts de Gironde (les Vignerons de Tutiac) dispose de plusieurs permis de commercialisation pour des produits tels que le Harpon P, un fongicide dont la substance active, le mancozèbe, est en cause dans l’intoxication des écoliers de Villeneuve sur Blaye.

Selon le vigneron de Pomerol, interdire les produits les plus dangereux pourrait pourtant être un argument de vente, à l’instar du Prosecco italien, qui a banni les pesticides CMR e son appellation, histoire d’empêcher tout effet cocktail pour le sprtiz.

Mais pour Patrick Vasseur, de nombreux agriculteurs ont « la grande crainte de se retrouver dans une impasse technique si on devait interdire certains produits. C’est aussi pour cela qu’on mène des expérimentations comme l’entretien du sol pour ne plus avoir recours aux herbicides. »

Le docteur Jean-Luc Delabant estime quant à lui que la « dynamique actuelle est plutôt positive, même si le bordelais est très en retard par rapport à la Bourgogne, où tous les grands crus sont en bio ou en biodynamie :

« Mais c’est plus facile de faire du qualitatif sur des petites surfaces et quand vous êtes dans le très haut de gamme. Beaucoup de viticulteurs du bordelais ne peuvent se permettre de perdre X% de rendement alors que leur marge est déjà à 0. »

D’où, souligne Valérie Murat, les objectifs a priori incompatibles du CIVB de sortie des pesticides en baissant les prix du tonneau.


#Pesticides désintox

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