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Biodynamie, la médecine chinoise des plantes

De plus en plus de viticulteurs s’y mettent. Petits ou gros, grands crus classés ou simples vins de France, ils ont recours aux techniques de la biodynamie pour cultiver leur vigne. Formateur et consultant en la matière, Jacques Fourès nous donne sa vision, avec une obsession : renforcer les mécanismes naturels de la vigne et de son sol.

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Biodynamie, la médecine chinoise des plantes

Cet article vous est offert par Revue Far Ouest.

Cette année, seulement 36 domaines viticoles étaient certifiés en biodynamie par le label Demeter en Gironde, auxquels s’ajoutent 13 domaines en conversion. Le chiffre reste mince, mais en forte progression : ils étaient seulement 29 en 2015. Au niveau national, les surface de vignes cultivées en biodynamie ont doublé entre 2011 et 2016.

De plus, au-delà des chiffres, l’engouement pour ces pratiques est à chercher du côté d’un certain nombre de grands châteaux (ou de taille moyenne), qui les utilisent souvent sans demander la certification (afin de conserver la possibilité de traitements conventionnels), ou sur une petite partie seulement de leurs vignes.

Après avoir été lui-même viticulteur dans le bordelais, Jacques Fourès est aujourd’hui président de l’association régionale Aquitaine Biodynamie, rattachée au Mouvement de l’agriculture biodynamique. Formateur et consultant, il accompagne actuellement une vingtaine de domaines, en Gironde et dans le Sud de la France. « Je suis les exploitants sur 2 à 3 ans, et puis je les laisse voler de leurs propres ailes, sauf les grands crus qui veulent être tenus par la main » précise-t-il. Entretien.

Rue89 Bordeaux : En quoi consiste l’approche de la biodynamie ?

Jacques Fourès (DR)

Jacques Fourès : C’est un peu comme la médecine chinoise : nous cherchons à ne pas créer les conditions de la maladie. Il s’agit d’une prophylaxie, qui passe surtout par deux choses : nourrir la plante avec un sol qui va bien, et exciter son action immunitaire.

Cela signifie-il que la plante peut se défendre toute seule face aux maladies, par exemple le mildiou ?

Lorsqu’une plante est attaquée, par exemple par le mildiou, elle réagit en produisant des stilbènes dont le fameux resvératrol, un antioxydant beaucoup utilisé en cosmétique aujourd’hui. Quand ça marche bien, on peut voir les taches de mildious sur les feuilles entourées de liège : la plante tue les cellules autour de la tache, de sorte que le champignon ne peut pas se reproduire. La vigne sacrifie un morceau de feuille pour se défendre, et le champignon meurt, desséché. Mais on ne voit pas ça souvent, il faut des années de biodynamie.

Donc la biodynamie a besoin d’autres produits pour faire face au mildiou…

Oui, la biodynamie autorise 3kg de cuivre par hectare et par an (contre 6 pour l’agriculture biologique, en moyenne sur 5 ans). Il faut du cuivre pour empêcher le champignon de s’installer. On utilise aussi des tisanes, par exemple à base de prêle. Mais cela ne permet pas de remplacer le cuivre. Il est indispensable, du moins dans certaines régions (le pire étant le Jurançon, très humide).

Mais la quantité de cuivre utilisée, si on la rapporte au poids total du sol d’un hectare, est très faible. Avant, on mettait 8 ou 10  kg de cuivre par hectare à chaque traitement. Cela a empoisonné le sol, car il ne pouvait pas absorber de telles doses. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Cette année, j’ai des viticulteurs qui ont travaillé avec 1 kg de cuivre, dans des régions pourtant sensibles. En Corse, où la météo est moins pluvieuse, certains se limitent à 500 g.

« Les sols sont éteints »

Quelle est la différence entre bio et biodynamie ?

Le bio arrête de nuire en supprimant les produits toxiques. C’est un premier pas. La biodynamie est bio en premier lieu. Mais elle va plus loin, en cherchant à développer davantage les défenses immunitaires de la plante. Les préparations qu’elle utilise améliorent la texture du sol, sa capacité à faire de l’humus. Et finalement la plante nourrie d’humus est mieux équilibrée, elle a de meilleures défenses immunitaires. De ce point de vue, la biodynamie est plus sécurisante que le bio.

On prend plus de risques (car le cuivre n’est pas pénétrant). L’année dernière, suite à un orage énorme à Pessac-Léognan, tout le cuivre a été lessivé, donc la plante pouvait être infectée en fin de pluie. Le cuivre n’est actif qu’en préventif.

Pourquoi la vigne est-elle si vulnérable aux maladies, en particulier ici au mildiou ?

La biodynamie s’intéresse beaucoup à cette question. Il y a deux réponses. La première, c’est le sol. Les sols ne fonctionnent pas aujourd’hui, ils sont éteints. Même en bio, les sols ne reprennent pas très vite de la vie. On sait pourquoi : quand on met des fongicides, on ne tue pas le sol, on le déséquilibre. Normalement, il y a constamment une bagarre dans le sol entre champignons et bactéries. Les fongicides tuent les champignons au profit des bactéries, et quand il y a trop de bactéries, cela entraine un phénomène de pourrissement, le dégagement de méthane, au lieu du compostage qui dégagerait du gaz carbonique.

Les sols manquent alors d’oxygène, et ils se tassent de plus en plus. Leur perméabilité passe de 15-20mm d’eau absorbée par heure à 3mm/heure. Les rivières débordent car le sol n’absorbe plus la pluie, comme si on mettait de l’eau sur un papier glacé en pente. Alors que si on la met sur un buvard, elle est absorbée avant d’arriver en bas. Par conséquent, les racines des plantes remontent en surface pour capter de l’air et de l’eau. J’ai beaucoup de châteaux qui viennent en biodynamie car ils se rendent compte que leur vigne n’exploite plus leur terroir.

Microcosmos

Et que propose la biodynamie face à cela ?

Le but de la biodynamie, c’est de faciliter la vie de tous les micro-organismes du sol. Quand un sol est vivant, ces micro-organismes rendent la texture du sol souple et perméable, de sorte que l’eau et l’air peuvent y passer et entrer en profondeur. Par exemple, avec des engrais verts [graminées et légumineuses semées entre les rangs de vigne puis coupées et laissées sur place], on alimente la faune du sol avec la cellulose des herbes. Les racines des graminées restent dans le sol et sont mangées par les micro-organismes, laissant à leur place des microfissures, des petits tubes qui retiennent l’eau.

Augmenter la porosité du sol, sa capacité de rétention d’eau, cela fait partie de sa fertilité. En biodynamie, même en climat sec comme en Corse ou dans l’Hérault, on arrive à retrouver de l’humidité à 20 cm de profondeur, là où la terre était sèche et morte sur 60 cm.

Pour revenir à la vulnérabilité des vignes, quelle est votre deuxième explication ?

Le mode de reproduction. On sait que quand une plante est multipliée par reproduction végétative, c’est-à-dire par bouture ou greffe, elle dégénère un petit peu. Les plantes doivent repasser par la graine pour reprendre de la vitalité. Or la vigne n’est reproduite que par greffe. Car si on repasse par la graine, on n’est pas sûr que la future plante sera du même cépage.

Depuis 60 ans, l’Inra a cherché les meilleurs merlot, cabernet, cabernets sauvignon. Résultat : on n’a que 3 ou 4 clones par cépages. Et ça, ce n’est pas très bon. Des Suisses ont fait un gros travail de recherche de variétés résistantes, afin de supprimer le cuivre. Ils ont semé quelque chose comme 20 000 graines, pour ne retenir que les plants qui convenaient.

« La greffe, facteur de stress pour la plante »

C’est la même démarche que suivent le CIVB et l’Inra…

Oui, et cela va dans le bon sens. Sauf que si on cultive ces variétés comme on le fait généralement en pépinières aujourd’hui, c’est-à-dire sur des terrains non favorables, des sols qui ne fonctionnent pas, avec des produits, etc., alors la vigne part avec un bagage très mauvais. Mais c’est mieux de faire en sorte que tous les pieds n’aient pas les mêmes caractères : cela donne une variété de goût, tous ne réagissent pas pareil aux maladies, ne fleurissent pas en même temps, etc.

La greffe est aussi un facteur de stress pour la plante. La greffe en oméga, très facile à faire et la plus répandue, a entraîné des maladies du bois : un morceau de bois mort reste au centre de la greffe, entraînant des maladies comme l’esca. Alors que la greffe anglaise n’a pas ce problème. Il y a plein de choses comme cela à perfectionner.

Au milieu des débats nourris sur les pesticides, comment la biodynamie se développe-t-elle ?

Plus vite qu’on ne l’avait prévu. Cette année, on a été juste pour fournir les préparations à tous ceux qui en voulaient. Actuellement, nous sommes en train de réfléchir à comment affronter cette augmentation rapide. Beaucoup de gros exploitants doublent leur surface en biodynamie. De plus en plus de grands crus travaillent essentiellement au cuivre, avec de petites doses. Mais on a du mal à leur faire planter des engrais verts. Je me bagarre avec eux. Il y a aussi des vignobles de 40 ha, et d’autres plus petits.

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