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Ces cépages résistent et prouvent qu’ils existent

Pour réduire l’utilisation des pesticides, des cépages résistants aux maladies les plus courantes de la vigne, le mildiou et l’oïdium, sont expérimentés dans le Bordelais. Les AOC locales ont déjà prévu l’introduction de ces nouvelles variétés, à condition de lever quelques réglementaires. Cela signerait un retour en force de la sélection variétale, écartée depuis 60 ans au profit de la chimie.

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Ces cépages résistent et prouvent qu’ils existent

Cet article vous est offert par Revue Far Ouest.

Toujours verts, ou presque. En cette fin octobre, certains rangs sont visiblement plus en forme que d’autres dans les vignes de l’Inra (institut national de recherche agronomique), à Villenave d’Ornon, près de Bordeaux. Deux rangées sur trois sont plantées de variétés de raisins traditionnelles, et cultivées soit en système conventionnel, soit en bio. La troisième est constituée de nouvelles variétés créées par les agronomes de l’Inra. 3 hectares sont ainsi plantés, dont les chercheurs bordelais observent la résistance naturelle aux maladies.

Laurent Delière, ingénieur à l’unité mixte de recherche Save (santé et agroécologie du vignoble), arrache quelques feuilles. Sur celles des cépages résistants, les taches de couleur jaune à brune caractéristiques du mildiou sont contenues. Car lorsque la maladie apparaît, la plante développe des mécanismes qui l’empêche de s’étendre. La vigne parvient ainsi à se défendre toute seule, ce qui permet de réduire fortement l’usage des intrants, indique François Delmotte, généticien à l’Inra :

« Aujourd’hui, on sait faire de la vigne sans herbicide, et des méthodes existent contre les insectes. Mais contre les maladies les plus courantes de la vigne, l’oïdium et le mildiou, causées par des champignons parasites, c’est  plus compliqué, et les traitements coûtent très cher. La nouveauté, c’est qu’on a un truc qui marche. Grâce aux essais grandeur nature menés ici depuis 2011, on est arrivés à éliminer 90% des pesticides et intrants par rapport au système conventionnel, et 20% par rapport au bio, puisqu’on réduit aussi l’introduction de soufre et de cuivre. C’est un vrai changement de paradigme : on ne traite plus qu’en dernier recours. »

Comment est-ce possible ? Ces cépages ne sont pas de la vigne génétiquement modifiée, contrairement aux porte-greffes résistants au court noué testés par l’Inra à Colmar, et détruits par des militants anti-OGM en 2010. Ils sont issus d’une sélection variétale qui n’a rien de révolutionnaire :

« Aujourd’hui, on redécouvre quelque chose qu’on avait beaucoup utilisé par le passé, rappelle François Delmotte. Le mildiou et oïdium viennent des États-Unis, où la vigne sauvage, qui a coévolué avec ces pathogènes, est totalement ou partiellement résistantes à ces pathogènes. Quand ces maladies sont apparues au XIXe siècle, on a créé de nouvelles variétés, en croisant des vitis vinifera françaises ou européennes avec des souches américaines, apportant les gènes de résistance qui nous intéressent. »

Le processus est le suivant : castration du parent femelle, suivie de sa fécondation par le pollen du parent mâle. Le pépin obtenu par reproduction sexuée donne une nouvelle variété.

Un cep résistant sur trois

Tout comme avec les porte-greffe résistants aux piqures des pucerons vecteurs du phylloxera, lui aussi importé des States, les nouveaux cépages ont eu un grand succès : en 1958, ils couvrent 30% du vignoble français, soit 400 000 hectares !

« Mais ces hybrides producteurs directs faisaient des vins très mauvais, ou que ne correspondaient pas aux canons du goût, et aux standards d’augmentation de la qualité, incarnés par le classement AOC (appellation d’origine contrôlée), poursuit François Delmottte. Ils ont tous été arrachés, et l’interdiction des variétés hybrides a été inscrite dans les réglementations européennes. On a alors fondé la lutte contre les maladies sur la chimie, et arrêté la création variétale dans la vigne, alors que celle-ci n’a jamais cessé pour les fruits et légumes. »

Dans les « vignes résistantes » de l’Inra à Villenave d’Ornon (SB/Rue89 Bordeaux)

Depuis les années 70, des chercheurs ont toutefois continué à travailler dans l’ombre sur les cépages résistants, notamment Alain Bouquet, un améliorateur de l’Inra. Depuis les années 2000, les équipes de Colmar et Bordeaux sont mobilisés sur ce sujet, avec notamment le soutien financier du CIVB (conseil interprofessionnel des vins de Bordeaux).

La recherche est également active à l’étranger, notamment en Allemagne ou en Suisse, avec le pépiniériste Valentin Blattner. Ce sont deux variétés créées par ce dernier, le Cal 6-04 (en blanc) et le Cabernet Jura (rouge) que Jeremy Ducourt a planté il y a 4 ans sur 3 hectares dans l’Entre-Deux-Mers.

« Ces variétés étaient les plus intéressantes pour être proches de nos sauvignon, colorés et fruités, souligne cet œnologue. On confond le blanc avec les cépages classiques. Le rouge est plus atypique, il ressemble plus à des cépages du sud, comme le syrah. »

Doses homéopathiques

Le château de Beauregard Ducourt est ainsi le seul de la région à cultiver des cépages résistants à des fins de production dans la région. Dans quel but ?

« Le principe, c’est d’être respectueux de l’environnement, et on est très contents, répond Jeremy Ducourt, par ailleurs vice-président de l’association Piwi France pour la promotion des cépages résistants. On utilise 80% de produits phytosanitaires en moins que la viticulture traditionnelle, et on n’utilise plus de molécules de synthèse. Nous utilisons encore du cuivre et du soufre, mais moins qu’en agriculture biologique : en bio, on est à 4 kilos de cuivre par hectare et par an, nous sommes à 1 kilo. Cela permet de réduire aussi le nombre de passages d’engins. C’est donc une belle perspective pour l’avenir. »

Le changement se fait toutefois encore à dose homéopathique : si Jeremy Ducourt compte bien planter 4 hectares supplémentaires de cépages résistants, cela ne représentera au mieux que 2% de la surface de son exploitation. Il faut dire que ces cuvées résistantes n’ont pour l’heure le droit d’être commercialisé que sous l’appellation vin de table, et non en AOC, ce qui s’avère bien sûr beaucoup moins rentable.

« Il faut trouver des marchés au fur et à mesure, poursuit Jérémy Ducourt. Notre objectif est de vendre 50 à 60 000 bouteilles dans trois ans, sur les 3 millions d’équivalent bouteille produits chez nous. L’idée est d’avoir un produit uniquement issu de nos variétés résistante pour pouvoir communiquer sur le caractère écologique et innovant. Nous, on s’est affranchi du carcan de l’AOC pour mener ces expérimentations, mais certains voient ça comme un frein. Si on veut accélérer le mouvement et ne pas être tout seul, il va falloir que ces expériences rentrent dans le schéma classique. »

Les résistants sortent du maquis

Un premier pas a été franchi cette année : parmi les mesures agro-écologiques adoptées par l’AOC Bordeaux et des Côtes figure ainsi la possibilité de « cultiver et revendiquer en AOC (appellation d’origine contrôlée) d’autres cépages que ceux autorisés dans le cahier des charges, à hauteur de 5 % de la surface totale de l’exploitation et de 10 % de l’assemblage final ».

Les viticulteurs qui veulent tester la trentaine de variétés résistantes bientôt disponibles, pourraient ainsi intégrer leur production dans les appellations prestigieuses (Graves, Pomerol , Cotes de Bordeaux…). A condition cependant que l’Inao (Institut national de l’origine et de la qualité), puis la réglementation européenne, donne son feu vert à une réintroduction des rouges et des blancs résistants.

3 hectares de cépages résistants planté à Villenave d’Ornon (SB/Rue89 Bordeaux)

Bernard Farges, du CIVB, se dit toutefois très optimiste. Le processus pourrait selon lui prendre « quelques mois », et se discuter dans le cadre des futures négociations de la politique agricole commune.

« Nos interlocuteurs sont très ouverts, car cela fait sens dans l’optique d’une possible diminution ou d’une sortie des pesticides. Il faut attendre ce temps réglementaire, mais nous agissons par anticipation, pour pouvoir être prêt dès lors que les autorisations seront là. »

Observatoire

D’ici là, l’Inra va appuyer les viticulteurs désireux de tester ces nouvelles variétés. Les questions de qualités organoleptiques ou de préservation de la typicité des terroirs vont notamment se poser. Pour favoriser les retours d’expérience, l’organisme public et l’IFV (institut français de la vigne et du vin) viennent ainsi de créer un observatoire national du déploiement des cépages résistants. Jusqu’à quel point ceux-ci pourraient se développer ?

« Il ne faut pas trop rêver non plus, tempère Laurent Delière, de l’Inra. Les cépages résistants ne sont pas LA solution miracle qui va tout régler, mais un élément de la stratégie. On pourrait par exemple les planter aux abords des écoles, pour prévenir les risques. En outre, il reste à éclaircir deux questions : celle de la durabilité de la résistance de ces cépages aux maladies, et celle du développement des maladies secondaires. Le fait de ne plus traiter du tout ne pourrait-il pas favoriser la réapparition de pathologies, comme le black rot ? Lors de nos essais, il nous a fait perdre la moitié d’une récolte lorsque nous avons appliqué la stratégie minimum d’un passage d’intrants au lieu de 15. »

Pour essaimer, ces nouvelles variétés vont devoir à leur tour lever quelques résistances.

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