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La SNCF de demain se jouera-t-elle à guichets fermés ?

Tombée il y a quelques semaines, l’annonce risque bien de changer les habitudes d’un certain nombre d’usagers de la SNCF dans le département. Bien que rentables, deux points de vente fermeront leurs portes au 1er janvier : la gare de Caudéran-Mérignac, et la boutique située rue Sainte-Catherine.

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La SNCF de demain se jouera-t-elle à guichets fermés ?

Les cheminots parlent d’un coup de massue annuel. Chaque année, une mystérieuse missive tombe en octobre, directement issue des bureaux parisiens. Premiers concernés par ces annonces, les points de vente dépendants de l’activité SNCF Voyages : ainsi, ces dernières années, les gares de Ravezies, de La Médoquine, et les boutiques de Lormont et de Mériadeck ont fermé leurs portes. Géographiquement, les reports de clientèle se sont fait principalement sur les gares de Caudéran-Mérignac, et la boutique Sainte-Catherine. Mais voilà, l’entreprise a décidé de se passer de ces deux bureaux à partir de janvier 2018.

La scène semble se répéter chaque jour. Quelques minutes avant l’ouverture de la gare de Caudéran-Mérignac, quelques personnes patientent devant ce bâtiment spectaculaire. Construite en 1933, cette gare observe une situation centrale, entre le quartier de Caudéran et la ville de Mérignac. Ce lieu fréquenté, qui possédait il y a quelques années encore quatre guichets n’en compte déjà plus que deux, a vu ses horaires rabotés et son ouverture le samedi entérinée.

«Nous n’irons pas sur internet»

Annie, retraitée, apprend que la gare où elle a l’habitude de venir acheter ses billets va fermer ses portes.

« Ce n’est pas normal ! peste-t-telle. On ne peut pas tout faire sur internet ! Je paye souvent mes billets de train par chèques vacances, où vais-je devoir aller ? »

Un autre habitué de cette gare, qui vient acheter régulièrement ses titres de transport pour rallier la capitale, s’étonne de cette décision qui, selon lui, n’a pas de sens :

« Je ne suis pas de la génération internet. J’ai besoin d’aide, et cette gare m’est très utile. Je ne pourrais pas aller à la boutique de la place Saint-Projet, qui est toujours noire de monde ; je n’ai pas le temps d’attendre une heure pour avoir un billet. »

Cet habitué pourra d’autant moins se rendre dans cette boutique de Bordeaux-centre que la SNCF a également décidé de la fermer en 2018. En tout, ce sont 13 postes qui sont supprimés au service commercial de la SNCF.

Annie ressort de la gare de Caudéran dépitée :

« J’étais venue acheter des billets pour ramener mes petits-enfants à Paris. Pour moi, un adolescent et un enfant, j’en ai pour presque 300 euros ! Je vais donc me tourner vers OUIGO et acheter sur internet. La SNCF y propose des prix trois fois inférieurs pour fermer ses guichets. Et quand ceux-ci marchent malgré tout toujours à plein régime, comme c’est le cas ici à la gare de Caudéran-Mérignac, l’entreprise les ferme de force. »

Un couple de retraités, également sous le choc, intervient dans la discussion :

« Ils veulent nous envoyer sur internet. Nous n’irons pas sur internet. Nous irons acheter nos billets à la gare de Bordeaux. »

Gare de Caudéran-Mérignac (Rue89 Bordeaux)

Sollicitée par Rue89 Bordeaux, la SNCF répond par la voix de son service de communication qu’elle n’est pas dans une logique d’économies, mais « s’adapte aux changements d’habitudes de consommation » de ses clients : les deux tiers de ses clients TGV auraient ainsi opté pour un billet électronique, et le nombre d’achats effectués en boutiques et en gares, en baisse constante, représenterait aujourd’hui moins de 20% des ventes de billets TGV. Mais quid des TER et des Intercités ? Pas de réponse de la compagnie, qui devait « revenir vers nous » sur ce point, selon l’expression consacrée.

« Une politique de destruction »

Samedi 28 octobre, rue Sainte-Catherine, à Bordeaux. Une trentaine d’agents SNCF, issus de la filière « vente », « accueil » ou « contrôle » manifestent devant la boutique SNCF. Réunis derrière les drapeaux de leurs confédérations syndicales (CGT/SUD/CFDT), ils interpellent les passants et les usagers d’une boutique fermée ce jour.

Tous l’assurent : la « boutique » ne désemplit pas. Il est même parfois difficile de la fermer le soir. Sébastien Tarbes, un des porte-voix de Sud-Rail témoigne :

« Les boutiques ne cessent de fermer, la SNCF s’est plongée dans une politique ultra-libérale. Cela relève purement et simplement du dogme où l’on ne soucie pas du personnel et, plus étonnant encore, même plus du chiffre d’affaire. Nous sommes dans une politique de destruction. »

La boutique Sainte-Catherine bénéficiait déjà du report de clientèle de la boutique Mériadeck qui a fermé ses portes en 2015 malgré, là aussi, un chiffre d’affaire quotidien « exceptionnel » selon ces cheminots. Jean-Sébastien Montes, membre de la CFDT, ne comprend pas :

« Caudéran-Mérignac et la boutique Sainte-Catherine sont les deux points de vente qui réalisent les meilleurs chiffres d’affaire de l’agglomération bordelaise. La perte de sens du métier de vendeur est totale : nous sommes face à des salariés investis qui dépassent leurs objectifs et qui voient leurs postes supprimés. »

Le portail voyages-scnf.com est le grand gagnant de l’augmentation de fréquentation de près de 75% sur l’axe Bordeaux-Paris suite à l’ouverture de la LGV. Mais les guichets voient inévitablement leur activité augmenter, comme à la gare Caudéran et la boutique place Saint-Projet, où les responsables syndicaux annoncent des objectifs de vente dépassés de plus de 6%.

La boutique rue Sainte-Catherine (Rue89 Bordeaux)

Les points de vente et de conseil humanisés sur la métropole se font de plus en plus rares. David Plages de la CGT Cheminots enrage :

« Rappelons que la boutique Sainte-Catherine a été rénovée il y a deux ans, alors que l’entreprise n’est pourtant que locataire. La SNCF avait alors déboursé presque 300 000 euros. Voilà le résultat. »

Les agents insistent : pour eux, la boutique Sainte-Catherine est un attribut vital pour l’entreprise.

« C’est le point de convergence des touristes qui viennent visiter Bordeaux, affirme Véronique Basso du syndicat Sud Rail. Ils prennent des renseignements et organisent leurs escapades vers Arcachon, Saint-Emilion, Biarritz… C’est un sujet qui va au-delà de la SNCF. Est-ce que la ville de Bordeaux donnera demain les moyens à ses touristes qu’elle chérit tant, ne serait-ce que pour organiser leurs vacances ? »

Indignation des élus

Les élus sont eux aussi montés au créneau. Certains se sont rassemblés autour de la gare de Caudéran-Mérignac le lundi 6 novembre, afin de protester contre cette fermeture.

« Nous avons immédiatement alerté les usagers en faisant signer des pétitions sur les marchés de ville, indique Joël Girard, secrétaire de la section du parti communiste de Mérignac. Lors du prochain conseil municipal de Mérignac, nous allons faire voter une motion pour s’opposer à la fermeture de ce guichet. »

Pierre Lothaire, maire adjoint du quartier Caudéran, a lui aussi publiquement exprimé son désaccord sur sa page facebook :

« La fermeture de ce point de vente privera les habitants du quartier d’un service public utile à tous, et plus particulièrement les habitants caudéranais éloignés de la gare Saint-Jean. Ce guichet permet aux personnes âgées et dépourvues d’Internet d’acheter des billets de train. »

Il a également écrit à la direction régionale de la SNCF afin de les appeler à réviser le projet de fermeture et de « faire valoir auprès des décideurs ces arguments de proximité et de service public ».

Estimant également que « l’économie 2.0 ne permet pas de répondre aux besoins de toute la population », Loïc Prud’homme, député France Insoumise de la 3e circonscription de Gironde, compte interpeller Elisabeth Borne, ministre des transports à l’Assemblée.

« La SNCF et le gouvernement partagent cette vision d’une entreprise dématérialisée, néanmoins il y a quand même une volonté affirmée par madame la Ministre de s’occuper du transport quotidien des français. Et ces fermetures touchent quand même à la mobilité quotidienne des usagers. »

Le feu à Saint-Jean

La question de la distribution des billets de chemin de fer est sensible et même assez opaque pour les usagers. Il y a d’un côté les gares TER gérées par l’activité TER, et donc les régions, les boutiques SNCF gérées par l’activité SNCF voyages, et Voyages-sncf.com qui est une filiale du Groupe SNCF.

Ce dernier a tous les attributs d’une agence de voyages classique et a sa propre comptabilité. A titre d’illustration, le site propose des locations de voitures chez un certain nombre d’enseignes qui sont concurrentes d’AVIS, pourtant partenaire historique de la SNCF. De la même manière, le site, qui s’appellera très prochainement « Oui.SNCF », propose des voyages, des billets d’avions, et s’avère être la seule interface où il est possible d’acheter les billets low-cost mis en vente par la SNCF.

Le mal-être des agents SNCF semble venir en partie de là, puisqu’ils se sentent mis en concurrence et en danger par une excroissance de leur propre entreprise. L’entreprise, elle, fait le pari de la digitalisation afin de rester concurrentielle et cette quête de réduction des coûts passe par les fermetures de points de vente humanisés.

La SNCF assure que tous ces gains économiques lui serviront à améliorer la qualité de service. Faux, répond David Plages de la CGT :

« Il suffit de regarder le système marchand autour nous, que cela soit dans les banques et les centres commerciaux. Si des usagers pensent qu’ils vont payer leur billet de train moins cher parce qu’il n’y aura plus de vendeurs, je leur pose la question : quand ils passent eux-mêmes leurs courses aux caisses automatiques, est-ce qu’ils payent leurs courses moins cher ? »

Si bon gré mal gré, les usagers se tournent vers les nouvelles technologies afin de consommer du train, plusieurs catégories de population resteront toutefois orphelines. Et si les deux bureaux SNCF de Caudéran et de Saint-Projet venaient à fermer, ils n’auraient d’autre choix que de se diriger vers la gare TER de Pessac et surtout vers les guichets de Bordeaux-Saint-Jean.

Les membres de l’intersyndicale redoutent que la situation à la gare de Bordeaux, « déjà explosive » du fait du temps d’attente pour obtenir un titre de transport, ne mette la sécurité des agents en péril à compter du 1er janvier prochain.


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