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Municipales : Vincent Feltesse court en solitaire vers la mairie de Bordeaux

L’ex-conseiller de François Hollande à l’Élysée est pour l’instant le seul candidat déclaré à la mairie de Bordeaux en 2020 (ou 2021).  Problème : depuis sa défaite contre Juppé en 2014, Vincent Feltesse a quelque peu fait le vide autour de lui. L’ex-président de la communauté urbaine compte sur son think tank, Bordeaux métropole des quartiers, sa connaissance des dossiers, et, pour l’heure, une absence d’adversaire à gauche.

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Municipales : Vincent Feltesse court en solitaire vers la mairie de Bordeaux

« Quand on court le marathon, comme moi, il vaut mieux se concentrer sur sa foulée que se caler sur le rythme des autres. » A l’issue d’une rencontre avec les journalistes, récemment au Club de la Presse, Vincent Feltesse revendique sans complexe, et tout en étirant ses jambes, l’application de ce précepte sportif à la politique.

Sèchement battu dès le premier tour des municipales en 2014 – 22,8% des voix, contre 60,95% à Alain Juppé –, éjecté de la présidence de la communauté urbaine (aujourd’hui Bordeaux Métropole), il se forge alors malgré tout une conviction : l’ex-maire de Blanquefort sera un jour celui de Bordeaux. S’il n’a jamais dévié de cet objectif, la trajectoire de la course est en revanche plus sinueuse, et toujours plus solitaire.

Après sa défaite à Bordeaux, ce proche de François Hollande ne tarde pas à rejoindre le président de le République comme conseiller. Cette expérience à l’Élysée, qu’il relate dans son dernier livre, « Et si tout s’était passé autrement » (Ed. Plon) l’éloigne toutefois des dossiers locaux, ainsi que du groupe socialiste au conseil municipal qui lui retire le leadership après sa tentative avortée de candidature aux législatives. Les responsables locaux du PS ne comprennent guère la contradiction entre l’engagement national de Vincent Feltesse et son cumul de mandats locaux – il est conseiller municipal et métropolitain, mais aussi élu à la région depuis 2015.

« Le même raisonnement que Macron »

En froid avec ses camarades, sans appui de militants, comment partir désormais à l’assaut du Palais Rohan ? Au Club de la Presse, Vincent Feltesse affirme ne plus croire aux partis, une formule du XIXe siècle qui ne correspondrait plus selon lui aux réalités du XXIe. Il en veut pour preuve le succès récent d’En Marche ! (ou de la France Insoumise, même s’il ne s’y réfère pas).

« Je fais le même raisonnement au niveau local qu’Emmanuel Macron au niveau national, nous répond-il. La question n’est pas de savoir sous quelle étiquette on agit, mais de se demander ce qu’on fait maintenant pour la ville. C’est aussi ce que tente Alain Juppé en lançant un exercice prospectif sur la métropole. La question de la surchauffe – les embouteillages, la flambée des loyers… – va cannibaliser les mois qui viennent. C’est pour y réfléchir que nous avons créé Bordeaux Métropole des Quartiers 2020, il y a deux ans, pour faire remonter de nouvelles idées. Je continue à faire le pari de la société civile. »

Vincent Feltesse (SB/Rue89 Bordeaux)

Car en 2014, Vincent Feltesse était l’artisan de l’ouverture de sa liste à des personnalités non encartées, comme Nicolas Guenro, directeur de Citiz Bordeaux et élu au conseil municipal. Ce dernier fait partie des fondateurs de BMQ2020, dont l’un des principaux animateurs est Marc Langlois. Cet ancien cadre de Free et CDiscount, fondateur d’une association de parents d’autistes, et actuellement président d’Aquinum (association de professionnels du numérique), a été embauché au conseil régional d’Aquitaine en tant que chargé de mission sur le numérique. Certains affirment que c’est pour se mettre au service de Vincent Feltesse, ce que dément l’intéressé : Marc Langlois affirme travailler pour BMQ « sur ses jours de congés et pendant ses vacances ».

L’enjeu de BMQ, pour lui, est que les gens « surmontent leur défiance du politique, se réapproprient le débat ; qu’ils viennent parler de Bordeaux plus que de l’avenir du PS, même si nous sommes clairement de gauche ».

Cogito ergo sum

L’association organise des séminaires, qui alimentent les « Cahiers de l’avenir » destinés à préparer le projet municipal – le premier, « Habiter Bordeaux », propose notamment des pistes pour augmenter la part de logements sociaux, le second défend entre autres le maintien de la semaine de 4,5 jours. Mais aussi des évènements ouverts à tous, comme « Cogitons », qui a été « un succès », selon Vincent Feltesse :

« Je peux rassembler 200 personnes à une soirée pour échanger sur ces sujets. J’aimerais savoir si le PS ou les écologistes peuvent en faire autant… »

La saillie n’est pas appréciée de ses (toujours) camarades socialistes :

« Parmi les 200 à la réunion, il y avait un certain nombre de socialos aussi, et puis même si la situation est ce qu’elle est, on en a eu besoin du PS en son temps, des fois… », observe par exemple sur sa page Facebook Thierry Trijoulet, premier secrétaire fédéral du parti en Gironde.

En froid avec Vincent Feltesse depuis que ce dernier l’a « remplacée » en tant que suppléant de Michèle Delaunay à l’Assemblée nationale (ce qui lui a permis d’être député lorsque la titulaire était ministre du gouvernement Ayrault), Emmanuelle Ajon, élue municipale PS, abonde :

« C’est un peu lourd de voir ça dans la presse pour les militants, car si on a pu avoir des avances pour payer nos campagnes et être élu, c’est grâce à leurs cotisations et à leur engagement. Un mouvement organisé a plein d’avantages. C’est trop facile de le jeter par dessus bord s’il ne nous sert pas assez. Soit on quitte le PS, soit on travaille sur les façon de le réinventer. »

Vincent Feltesse, lundi 18 avril 2016 devant le palais Rohan (SB/Rue89 Bordeaux)

Fenêtre de tir

Ce que ne veut pas faire Vincent Feltesse pour l’heure, qui critique les conditions dans lesquelles est menée la « rénovation » de son parti. Autant dire que l’ambiance est joyeuse au sein du groupe socialiste à la mairie, poursuit Emmanuelle Ajon :

« C’est comme un couple séparé qui, pour sauver les apparences, vit encore dans la même maison en faisant chambre à part. Mais cela n’améliore pas la communication. Je pense que si nous nous séparions en deux ou trois groupes nous ne serions pas adversaires mais complémentaires et cela serait plus positif. »

Deux ou trois groupes pour 5 élus PS, plus deux écolos, ça fait beaucoup… En fait, l’opposition municipale bordelaise a déjà totalement volé en éclat pour des raisons d’inimitiés personnelles et politiques. Au plus mauvais moment, selon Matthieu Rouveyre :

« On risque d’avoir une vraie fenêtre de tir si Alain Juppé ne se représente pas. Car c’est un peu le bazar à droite : Virginie Calmels est désavouée, et certains comme Alexandra Siarri ou Fabien Robert se mobilisent mais n’ont pas les faveurs du maire. La difficulté, c’est qu’à gauche, on n’est pas à la hauteur. On est très peu nombreux et on n’arrive pas à s’entendre. Le congrès (du PS en 2015, NDLR), puis la présidentielle et les législatives ont créé beaucoup de tensions et de ressentiments, et on a du mal à dépasser ça. »

Vincent Feltesse, qui n’a pas de mot assez durs contre les frondeurs du Parti socialiste, ne s’entend guère avec Matthieu Rouveyre – proche de Benoît Hamon (même s’il ne l’a pas rejoint à Génération.s, préférant pour l’heure rester au PS), il a lui même créé un think tank local, le « Labo bordelais », qui n’est pas une écurie personnelle pour les municipales, affirme-t-il.

Machine à perdre

De son côté, Michèle Delaunay – qui n’écartait pas un temps de se présenter en 2020, mais y a aujourd’hui clairement renoncé –, ne pardonne pas à Pierre Hurmic, élu écologiste, de s’être présenté contre elle aux élections législatives (dont la députée sortante n’a pas atteint le deuxième tour). Et Vincent Feltesse n’a pas digéré que ce dernier, avocat de métier, ait critiqué son recasage par François Hollande à la Cour des comptes, « fait du prince » profitant à un conseiller politique non magistrat de formation…

Pierre Hurmic qualifie Vincent Feltesse de « machine à perdre », exclut désormais toute alliance des écologistes bordelais avec lui lors des prochaines municipales. Il formule d’autres griefs de fond :

« Lorsqu’il détenait le pouvoir, l’ancien président de la CUB a été incapable d’imposer à Alain Juppé la création d’un établissement public foncier pour réfréner la spéculation immobilière. Il avait pourtant une majorité socialiste à la communauté urbaine pour le faire. »

Bien qu’élus sur la même liste en 2014, les écologistes et les socialistes ne font plus de réunions communes pour préparer les conseils municipaux. Delphine Jamet et Pierre Hurmic ne travaillent désormais plus qu’avec Matthieu Rouveyre et Nicolas Guenro (non encarté), à la fois proche des Verts et de Vincent Feltesse.

« Ma petite action au quotidien est de faire en sorte que tout le monde se parle encore, indique Nicolas Guenro. La raison pour laquelle j’ai dit oui aux municipales en 2014, et pour laquelle je participe à BMQ, c’est que Vincent Feltesse a fait un bon président de Bordeaux Métropole et ferait un bon maire de Bordeaux. Entre ce qu’il pense et sa capacité technique à exercer un mandat au quotidien, j’estime qu’il en est capable, et il n’y a pas tant de gens que ça qui le sont. Ce qui m’intéresse aujourd’hui, c’est de travailler sur des choses concrètes, et des choses intéressantes sont sorties comme les cahiers de BMQ2020. C’est bien de se mettre en ordre de marche, mais je suis aussi conscient que ce ne sont pas les projets qui font les élections. Cela se joue avant tout sur les capacités de rassemblement et d’incarnation, une rencontre entre une personne et une ville. »

Vent de droite

Et ce sont là « des sujets d’inquiétude » pour Nicolas Guenro :

« La gauche dans son ensemble est sortie atomisée de la présidentielle puis des législatives, et la recomposition est en cours. Je considère que les positions ne sont pas irréconciliables mais il y a des choses qui font que les gens s’éloignent. Aujourd’hui je vois beaucoup de réflexions à beaucoup d’endroits et qui vont dire la même chose : il faut concilier le social et l’environnemental. Si on continue à travailler chacun de notre côté, ce sera difficile de tout faire au dernier moment. »

Vincent Feltesse, le 6 octobre 2016 (SB/Rue89 Bordeaux)

Que les élections municipales aient lieu en 2020 ou en 2021, la situation bordelaise ne devrait pas se décanter avant 2019, moment retenu par Alain Juppé pour annoncer s’il se représente. Dès l’année prochaine, après son congrès, le Parti socialiste aura arrêté sa ligne et clarifié sa position face à Emmanuel Macron. Qu’il s’affirme dans une opposition de gauche et des caciques locaux du PS inquiets pour leur (ré)élection pourraient se rapprocher de La République en marche, si le vent souffle toujours vers la droite.

Alors que Bordeaux a plébiscité Macron, cela pourrait-il être le cas de Vincent Feltesse, qui a noué des contacts avec les équipes locales de La République en Marche ? Réponse de ce dernier au Club de la Presse :

« Je continue à être redevable à Macron du renouveau qu’il a apporté face aux dérives autoritaire de Trump, Orban, Poutine… Mais je ne suis pas d’accord avec lui sur pas mal de sujets sinon j’aurais déjà eu l’occasion de le suivre. Son premier budget est une forme de redistribution à l’envers qui me laisse perplexe. J’ai une sensibilité de gauche que j’ai toujours et que je garderai tout au long de ma vie. (…) Mais l’idéologie socialiste correspondait à un moment de l’Histoire ; aujourd’hui nous sommes en train de passer à autre chose. »

Vincent Feltesse ne s’interdit donc rien. Fort de sa légitimité d’ancien président de la CUB, et depuis la tribune que lui offrent ses différents mandats, il tente de lancer des débats pour les années à venir : mise à l’étude d’un péage urbain, New Deal financier entre la métropole et les communes pour financer des équipements publics comme les écoles, écotaxe poids-lourds dans la région Nouvelle-Aquitaine…

Certains doutent de sa capacité à être un Macron bordelais, d’apparaitre comme un candidat anti-système. Quelle que soit son aptitude à séduire la « société civile », il devra aussi rassembler dans un espace politique limité, entre la droite juppéiste et les forces à gauche du PS… et notamment la France insoumise. S’il n’a pas encore défini sa stratégie pour les municipales, le mouvement de Mélenchon promet de présenter un.e candidat.e à Bordeaux, où il a obtenu de bons résultats en 2017.


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