Dans le centre commercial Meriadeck à Bordeaux, il y a bien sûr Auchan. Incontournable. Présent depuis plus de 35 ans au côté du supermarché, le restaurant Flunch est aussi un repère pour beaucoup des clients, des habitants ou des salariés du quartier – 15000 actifs qui travaillent dans le quartier passent ainsi tous les jours par la galerie marchande entre midi et deux, et plus de 500 vont tous les jours manger chez Flunch.
Ce lundi, une poignée de facteurs qui s’était mis en grève pour leur condition de travail entre dans cette enseigne de restauration – ne dites plus « cafétéria », ça la vexerait –, où se joue aussi en sourdine un grand changement.
La messe pour la cafet’
Pourtant, rien n’y parait. Les files d’attente sont importantes. Les tables sont presque toutes prises. Les étals semblent pleins. Un jour visiblement normal. Mais le diable se niche dans les détails. Seule une des trois machines à café fonctionne. Il n’y a plus de vins disponibles à la pompe. Rien ne sort du distributeur de mayonnaise.
Une rupture de stock ? Une salariée du restau nous répond, franchement désolée :
« Comme on va fermer, on ne remplit plus. »
La messe est dite pour la cafet’ popu du centre de Bordeaux. Ce mercredi 14 mars à 14h, les grilles se fermeront une dernière fois sur le Flunch. Adieu les menus entrée-plat ou plat-dessert pour dix euros (boisson comprise, mais sans île flottante). Ciao les assiettes de légumes à volonté pour cinq euros. Bye bye, steaks frites et fish and chips, bonjour fringues et fashion victims : c’est une boutique de vêtements, l’enseigne Mango, qui va remplacer le Flunch.
« Ce qui me gène le plus, c’est pour les habitués… », soupire notre interlocutrice.
Celle-ci, qui se prépare à contrecœur à finir sa carrière au Flunch de Bouliac se sent presque garante d’une mission de service-public. Car le restaurant affiche en effet des prix imbattables en plein centre-ville. Et la clientèle est éminemment populaire. Une vieille dame, qui ne mange visiblement pas tous les jours à sa faim, profite ainsi d’un plateau laissé sur une table pour terminer un quart de poulet entamé.
Une autre, son plateau en main, Anne-Marie cherche une table où s’assoir. Haussant les épaules, elle est au courant de la fermeture programmée. Est-elle une habituée ?
« Un peu… Je viens le matin et des fois le midi. Mon bus me dépose devant. Je prends un café. Des fois, une viennoiserie. Ça draine pas mal de monde et il y a des prix raisonnables. Bon, le même bus (la ligne 15) peut me conduire au Flunch de Bordeaux Lac. »
Elle ne parle pas à beaucoup de monde mais aime venir inlassablement ici : pas cher et animé.
Bail et stratégie
« C’est dommage qu’ils ferment, estime aussi Dominique, assistante administrative de 52 ans. Je viens trois ou quatre fois par mois, quand je n’emporte pas ma gamelle au travail. C’est bon et varié, j’aime bien prendre la formule légumes à volonté, et je peux payer avec ma carte Auchan (Flunch est aussi la propriété du groupe Mulliez, NDLR). Et puis autour, il y a bien la Brioche Dorée, mais on ne va pas manger des sandwiches tous les jours, ni se faire un gastronomique ! »
Côté restauration dans la galerie de Mériadeck, on ne peut en effet compter que sur un fast-food (Quick), ou sur des formules snacking et repas sur le pouce (Brioche dorée, Bagel corner, Dubernet…) et des bars à smoothies. Une lacune dont est consciente Éléonore Baloud directrice du centre commercial, racheté en 2014 par pour la foncière néerlandais Wereldhave :
« Nous n’avons rien contre l’enseigne Flunch, qui a une clientèle familiale et propose une cuisine malgré tout assez saine. La clientèle de notre centre est d’ailleurs extrêmement mixte et cela va perdurer. Nous avons beaucoup de visiteurs à petit budget, des familles monoparentales, des personnes âgées, mais aussi des étudiants, des cadres ou des employés de bureau. C’est capital de développer notre pôle de restauration pour les salariés des entreprises et administrations du quartier qui cherchent de quoi déjeuner. Mais cela se fera dans un emplacement dédié, au niveau un du centre commercial. »
Mais sans Flunch, qui n’a « aucune réouverture prévue » en centre-ville. S’agirait-il donc d’une stratégie d’entreprise ? En 2015, alors que Flunch flanche comme analyse Capital.fr, la décision est prise : sortir des galeries commerciales (fermées le soir) et s’orienter vers les entrées d’agglomérations.
Ces cafétérias, implantés à 80% dans les hypermarchés, souffrent en effet par ricochet de la crise de fréquentation des grandes surfaces. Et Flunch appartient à Agapes, le groupe de la richissime Association familiale Mulliez, propriétaire d’Auchan et d’autres chaînes de restos (Les 3 Brasseurs, Pizza Paï, O’Sushi, So Good…).
Mais la déléguée syndicale centrale de la CGT, 1er syndicat de Flunch, bat en brèche cette idée :
« Ça n’a rien à voir avec une stratégie d’entreprise, pour une fois », se désespère Marie-Josée Bienvenu.
« Nous fermons à contrecœur »
Le bail dans la galerie commerciale n’a pas été renouvelé pour la cafétéria indique aussi un document du syndicat CFDT qui précise que cette décision remonte au 22 décembre… 2015. Le prix de loyer proposé aurait été trop élevé. « Economiquement, ce n’était plus viable », analyse Marie-Josée Bienvenu.
« Comme vous le savez peut être, suite à la résiliation de notre bail nous fermons le restaurant de façon définitive dans 2 jours (ce mercredi, NDLR), explique sans filtre à ses clients la direction du restaurant sur son site web . C’est pourquoi nous n’avons pas fait réparer notre machine à café (il y en a 2 dans le restaurant) et que nous n’avons plus de sets a plateaux. Nous fermons le restaurant à contrecœur, et cette décision n’émane pas de nous. »
Jointe par Rue89 Bordeaux, celle-ci nous a renvoyé vers le groupe Flunch, qui n’a pas donné suite à notre demande d’entretien. Éléonore Baloud dément cette version des faits :
« Les baux arrivaient à leur fin, mais ce n’est pas une décision financière. Comme dans un couple, c’est une séparation par accord mutuel. Il est clair que Flunch n’est pas une enseigne qui se développe en centre-ville, et elle ne voulait pas investir dans le restaurant de Mériadeck. Celui-ci n’avait pas fait de travaux depuis très longtemps et son concept est vieillissant. Par ailleurs, les études marketing montrent que l’image du rez-de-chaussée (où se trouve Flunch) n’est pas assez attractive. Il nous fallait travailler le lieu d’appel pour donner envie de monter dans les étages, avec des concepts modernes très orientés shopping, mode ou déco, et des magasins qui manquaient dans le centre-ville, comme Courir ou Mango. »
Bref, une cafétéria, ça fait moins chic que des boutiques.
Les salariés fluncheront ailleurs
Quid des salariés du Flunch ? C’est la question que les clients posent aux salariés de leur connaissance :
« — Tu vas où ? A Bouliac ?
— Non à Mérignac, moi. »
Une vingtaine en contrat à durée indéterminée (CDI) se sont vus proposer un reclassement dans un Flunch de l’agglomération bordelaise (Bordeaux Lac, Bouliac ou Mérignac). Dans un second document du syndicat CFDT, on apprend notamment que les aménagements horaires ne seront en revanche pas transférés avec la mutation et qu’il faudra se former pour des « polycompétences ».
« Y’a qu’à Flunch qu’on peut fluncher ». Mercredi à 14h, ce slogan restera. Mais ce ne sera plus possible dans le centre de Bordeaux.
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