En janvier 2018, un responsable girondin du Front national publie un post Facebook d’une maraude qu’il a effectué auprès des « compatriotes » sans-abri à Bordeaux :
« … nous avons distribué de la nourriture et du réconfort à des compatriotes SDF qui dormaient dehors malgré le froid et la pluie. »
Dans les commentaires, les félicitations et les encouragements se multiplient, certains opposant les SDF aux migrants :
« SDF zéro, ça passe par zéro migrants », « Malheureusement l’état ne s’occupe plus des sans-abris il préfère les migrants », « pendant ce temps les préfets réquisitionnent des chambres d’hôtel à 150€ la nuit aux frais du contribuable pour loger des étrangers hors la loi, sans visas et sans droit de rester sur le sol français », « Bravo, les nôtres avant les migrants », « Nos SDF sont délaissés par les pouvoirs publics au profit des immigrés illégaux (euh pardon, le politiquement correct aimerait que j’emploie le terme “migrants”). « Macron préfère aidé les émigrants », « C’est effectivement lamentable de laisser nos compatriotes dans la rue alors que d’autres arrivent et ont tout ce qu’ils veulent ! »
« Merci pour l’invit »
Faut-il ignorer ces remarques sous prétextes qu’on ne doit pas leur donner de l’importance ? La réponse, certes, pourrait être mitigée. Mais rappelons-nous le deuxième tour de la dernière élection présidentielle, et avant elle celle de 2002. Les signaux qui appellent à la vigilance ne manquent pas et il est temps de s’y atteler.
Dès 2015, Pascal Pistone, musicien bordelais, lance la page Facebook « Merci pour l’invit ! ». Il y publie le message d’un SDF bordelais Antoine qui prend au mot tous ceux qui s’indignent de l’accueil des migrants et réfugiés sous prétexte qu’on ne fait rien pour les sans-abris.
En effet, s’occuper des « nôtres » et s’occuper des « autres » n’est pas la même chose. Accueillir des migrants ou des réfugiés demandeurs d’asile, il faut être encadré par des associations agréées. Quant à accueillir un SDF, c’est beaucoup plus simple : rien n’empêche à l’inviter pour passer la nuit au chaud !
Concurrence
En juin 2016, à un an de la présidentielle, le nouveau prétexte de l’extrême droite est « le contribuable ». Le député européen FN Nicolas Bay publie une tribune à charge où il accuse « la maire de Paris Anne Hidalgo [d’utiliser] l’argent des contribuables pour loger des immigrés illégaux », en réaction à l’annonce de l’ouverture prochaine d’un centre de transit à Paris.
Europe 1 se saisit de l’appel et interroge plusieurs responsables de structures sociales. Christine Laconde, directrice du Samu Social, répond sèchement : « Les nouveaux migrants ne chassent pas les sans-abri, ça n’a ni queue ni tête. »
En novembre 2016, France Info s’empare également de la question : « Peut-on vraiment opposer migrants et sans-abri ? » Cette fois-ci, la confusion n’est pas venue de l’extrême droite mais de Jean-Pierre Pernault. Après un sujet sur les maraudes de la Croix-Rouge pour les SDF diffusé jeudi 10 novembre au journal de TF1, le présentateur lance ainsi un reportage sur le centre pour migrants de la Chapelle à Paris : « Voilà, plus de place pour les sans-abri mais en même temps les centres pour migrants continuent à ouvrir partout en France. »
Florent Gueguen, directeur général de la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (FNARS), n’écarte pas le risque d’une « concurrence » entre migrants et sans-abri. C’est pourquoi la FNARS a demandé à l’État de mettre à disposition de tous les sans-abri les places de Centres d’accueil pour migrants qui resteraient vacantes.
« Une indignation saisonnière »
En décembre 2017, à la même période que l’action du responsable local relatée plus haut, Les Décodeurs du Monde s’attaquent au sujet pour répondre à une nouvelle sortie de Nicolas Bay sur le plateau de CNews : « On fait une Journée des migrants, on n’a jamais fait une Journée des SDF ! On est en plein hiver, il y a des migrants clandestins qui sont logés dans des hôtels pendant que des SDF dorment dans la rue. » Les journalistes démontent ce qu’ils appellent « surfer sur une indignation saisonnière ».
« Fait-on plus pour les réfugiés que pour les SDF ? » Non, cette question ne conduit pas à « la peur du terrorisme et du racisme ». Non, le débat ne sera pas « islamophobe » et ce « drôle de sujet » ne divise pas au lieu d’unir. Il est nécessaire de combattre les idées reçues sur l’accueil des migrants et la prise en charge des sans-abri. Ce terrain propice aux interprétations les plus farfelues et aux rumeurs les plus folles, il est temps de l’occuper avec l’information la plus juste et la plus éclairante.
Pour répondre à cette question, Rue89 Bordeaux a invité Alain Régnier, délégué interministériel chargé de l’accueil et de l’intégration des réfugiés, qui débattra avec des intervenants locaux connaissant parfaitement le terrain : Pascal Laffargue, d’Emmaüs Gironde, Alexandra Siarri, adjoint au maire de Bordeaux en charge de la Cohésion sociale, et Pierre Grenier, le délégué national pour la région Sud Ouest de la Cimade.
Ils répondront aux théories infondées de certaines idéologies extrêmes, sans esquiver la problématique d’un manque de moyens généralisé.
Le budget de l’hébergement d’urgence, bien que passé de 1,5 milliard dans le Projet de loi de finances (PLF) 2016 à 1,7 milliard dans le PLF 2017, ne répond pas à la demande toujours croissante.
Terre d’asile exemplaire ?
Mais la France n’est pas non plus une terre d’asile exemplaire. Aux États généraux des migrations qui ont eu lieu au Rocher de Palmer le 24 mars en ouverture de la programmation Bienvenue, Isabelle Rigoni, maître de conférences en sociologie au centre Émile Durkheim, a démontré dans une étude que, rapportée à sa population, la part des demandes d’asile est moins élevée en France que dans d’autres pays européens. L’Hexagone était même en-dessous de la moyenne de l’Union européenne en 2015, année des grands flux migratoires.
Ce n’est pas pour autant que les sans-abri sont en voie de disparition. La Fondation Abbé-Pierre a noté une augmentation de +17 % en France entre 2016 et 2017. Les chiffres sont tout aussi affolants dans toute l’Europe où 11 millions de ménages sur 220 millions n’ont pas de logement personnel.
Le système d’hébergement d’urgence en France semble aujourd’hui à bout de souffle et les actions concrètes sont dérisoires face aux annonces grandiloquentes d’Emmanuel Macron.
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