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« De l’autre côté de l’enfance », des jeunes de l’aide sociale témoins en scène

Présenté lors des Mix MECS (maisons d’enfants à caractère social), le « rendez-vous photographique et sonore » d’Anne-Cécile Paredes est une rencontre avec des individus traversant un moment de marginalité. « De l’autre côté de l’enfance » donne la parole à trois jeunes en service d’hébergement pour mineurs (SHM) et à leur éducatrice. Un récit intime, universel et rempli d’espoir.

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« De l’autre côté de l’enfance », des jeunes de l’aide sociale témoins en scène

Qu’y-a-t-il « de l’autre côté de l’enfance » ? Toujours les mêmes peurs, celle de la solitude, de l’abandon, de la nuit. Privés de l’insouciance de leur jeune âge, à leur arrivé en foyer, trois adolescents racontent la complexité de leur parcours institutionnel, et la difficulté de se construire en marge.

Depuis 2011, le Département de la Gironde et l’Iddac, son agence culturelle, mettent en œuvre des projets artistiques et culturels développés au sein des maisons d’enfants à caractère social (MECS) du territoire, où sont accueillis des jeunes confiés à l’Aide Sociale à l’Enfance. Au cours d’une demi-journée organisée le 13 juin dernier au Glob Théâtre de Bordeaux, les productions réalisées en 2017 et 2018 dans les MECS de Gironde sont présentées aux enfants et aux équipes (voir encadré).

Le projet « De l’autre côté de l’enfance » ouvre les festivités. Le public est d’abord invité à s’asseoir à même le sol, en cercle. Les organisateurs distribuent alors quatre clichés sous forme de carte postale, réalisés par la photographe Anne-Cécile Paredes. Le silence est demandé.

Fragments de vies

Durant 17 minutes, les témoignages de trois jeunes d’un service d’hébergement pour mineurs (SHM) et de leur éducatrice s’entremêlent et se répondent.

Il y a Soukayna, d’origine marocaine, arrivée en France 40 jours après sa naissance, mais qui n’a jamais obtenu la citoyenneté française bien qu’elle y ait fait toute sa scolarité. Francky, originaire de Centrafrique, qui se décrit comme « courageux » mais admet avoir peur de la solitude. Il y a aussi Sarah, qui a débarqué en foyer à l’âge de 11 ans et demi, pour qui « un délinquant, c’est être marié à la rue ». Et Sophie, éducatrice spécialisée, qui confie ses doutes à représenter l’institution, et son attachement au continent africain.

Ces fragments de vie forment un récit à la fois intime et universel, librement mis en scène par Anne-Cécile Paredes. L’habillage sonore, créé par Johann Mazé, lie leur parole et renforce un peu plus l’émotion qui s’en dégage. La force des mots secoue l’audience, conquise.

Les quatre photographies du projet « De l’autre côté de l’enfance » (Anne-Cécile Paredes/DR)

Marginalité et création artistique

« De l’autre côté de l’enfance » est le troisième épisode de la série photographique et sonore « De l’autre côté de… », qui en rassemblera six à terme. Chaque séquence va à la rencontre d’individus qui « traversent des moments de marginalité, et sur qui on peut parfois avoir des à priori, des idées reçues », explique Anne-Cécile Paredes. Le projet artistique explore le milieu de la prostitution, l’univers hospitalier, la solitude des jeunes en service d’hébergement pour mineurs.

Ce troisième épisode est né de la rencontre entre Anne-Cécile Paredes et Sophie Biais, éducatrice du SHM de la MECS Robert Pouget-Pessac. Depuis quelques années, l’institution propose, par le biais de l’Iddac et de l’Aide Sociale à l’Enfance, des activités culturelles et artistiques.

« On choisit les jeunes et on leur propose l’idée, parce que cela s’intègre parfaitement dans leur projet d’avenir, dans leur projet d’intégration », explique Sophie Biais.

Après avoir découvert son travail au festival Chahuts, l’éducatrice a fait part à l’Iddac de son envie de travailler avec la photographe.

« J’ai besoin d’aimer le travail de l’artiste, de voir des choses en commun à partager avec les jeunes. Ce que porte Anne-Cécile m’a tout de suite parlé. »

Vient ensuite le temps de la rencontre entre les jeunes et la photographe, qui les emmène alors découvrir son projet au cours d’une exposition. La phase de création commence par le travail d’écriture. À partir d’un cadre narratif, les jeunes racontent leur histoire personnelle. Ils partagent leur expérience de la solitude et leur vision de la délinquance, avec une humanité qui déjoue toute idée reçue.

Au fur et à mesure de ces séances d’écriture naissent des projections de photographie, dont discutent longuement les participants et l’artiste. Une journée entière est finalement consacrée à la prise de vue et à l’enregistrement sonore. Bien que chaque projet soit individuel, tous participent à la réalisation des quatre clichés.

Un foyer aux murs invisibles

Le SHM accueille en appartement des jeunes mineurs, présentés comme des « incasables », selon les dires de Sophie Biais. Celle qui a participé à la création de ce service de la MECS Robert Pouget définit le dispositif comme « un foyer aux mûrs invisibles ». Il propose à des jeunes au parcours institutionnel difficile de se retrouver seuls dans leur propre logement.

Pour Sophie Biais, le travail de Anne-Cécile Peredes « participe à la mise en œuvre du projet, puisqu’elle propose aux jeunes de se retrouver face à eux-même à travers une œuvre artistique ».

À ses yeux, la réciprocité est le ciment de ces projets développés au sein des MECS : si les éducateurs ont accès à la créations, les artistes, eux, ont accès à la question de la relation éducative.

À travers le processus de création, le fonctionnement de ces jeunes se dessine. Il y a eu la méfiance et le doute vis-à-vis d’Anne-Cécile Peredes, les difficultés qu’elle même a rencontré pour gagner leur confiance. Puis ils se sont lancés, se sont ouverts. Et ont grandi.

« Je sais ce que ça fait d’être applaudi maintenant »

« Nous aussi on se posait des questions sur leur évolution, dans le cadre de notre accompagnement, confie Sophie Biais. Aujourd’hui, quand j’entends l’enregistrement, je me dis qu’ils ont grandi aussi grâce à ça. Ça leur a permis une réflexibilité sur leur propre parcours et sur ce qu’ils sont, chose que moi, éducatrice, je n’aurais pas pu faire, mais que cette rencontre a permis. »

Avec ce projet, une solidarité nouvelle s’est créée entre les jeunes, qui ont pourtant chacun connu des expériences laborieuses avec le collectif. Confrontés à des situations parfois anxiogènes, du fait de la prise de risque que représente l’engagement personnel dans ce travail de création, ils se sont unis.

Francky, un des trois jeunes participants, partage son ressenti : « Je me rends compte qu’on a pas tous les mêmes histoires, mais tous les mêmes présents. » La solitude, la recherche de l’identité, le rapport à la délinquance, sont autant de thèmes abordés par chacun des protagonistes, comme une parole collective, universelle.

Et le jeune homme conclut avec le sourire :

« Grâce à ce projet je sais ce que ça fait d’être applaudi maintenant. »


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