Sur le tract, une simple annonce comme on pourrait en voir pour des manifestations littéraires champêtres. « Lire dans les vignes du Château Picque Caillou » n’en est pas à sa première édition. Celle de 2018 est fournie : presque une vingtaine d’auteurs pour à peine huit heures de programme. Autant dire que les interventions vont se dérouler au pas de charge.
Cette manifestation qui se déroule dans les rangs de vignes d’un des derniers vignobles urbains, château Pique-Caillou à Mérignac, est proposée par une certaine Anne Brassié. Celle-ci est journaliste et critique littéraire, sous le nom d’Anne Auger, et a collaboré avec des médias d’extrême droite comme Minute, Présent ou Rivarol. Elle fut même la présidente de l’association des amis de ce dernier de 2001 à 2009, après avoir remplacé Jean-François Chiappe, défenseur des courants monarchistes et catholiques, un temps vice-président du comité central du Front national et soutien de Jean-Marie Le Pen à l’élection présidentielle de 1988.
« Des écrivains que nous admirons »
Anne Brassié présente cette journée sur le site de l’extrême droite bordelaise, Info Bordeaux, comme « une réunion d’amis autour d’écrivains que nous admirons depuis longtemps ».
Parmi les invités, on retrouve Françis Bergeron, défenseur de groupuscules nationalistes et catholiques traditionalistes ; Alain de Peretti, un vétérinaire à la retraite anciennement FN, proche du Bloc identitaire aquitain et fondateur de Vigilance Halal ; Catherine Rouvier, militante FN anti divorce, anti « travail féminin », anti avortement, anti préservatif et toute autre forme de contraception ; Stéphanie Bignon, « connue pour son livre sur le féminisme » selon Anne Brassié alors cofondatrice avec Élisabeth de Malleray de l’association « Terre et Famille » ; Jean de Viguerie, ancien membre du conseil scientifique du FN… pour ne citer qu’eux.
Cette réunion est organisée avec la participation d’une librairie en ligne girondine, « Livres en Famille » installée à Préchac dans les locaux d’une autre librairie, Les Buissonnets, à l’origine de la conférence d’Éric Zemmour à l’Athénée municipal de Bordeaux en 2016.
Livres en famille est la nouvelle formule de la librairie Saint-Jacmes, auparavant installée au pied de la Grosse cloche rue Saint-James, en face de l’église Saint-Eloi. Sur le blog royaliste, La Charte de Fontevrault, un post annonce en juillet 2015 que « la librairie Saint-Jacmes à Bordeaux déménage pour mieux servir à Préchac ».
Hommage à Dom Gérard
Selon Anne Brassié, l’édition de 2018 est l’occasion de rendre hommage à Dom Gérard pour « le dixième anniversaire [de son] rappel à Dieu » :
« Nous sommes dans sa famille, cette célébration s’imposait d’autant plus qu’il attachait une grande importance à la culture et admirait Charles Péguy. »
Charles Péguy est un intellectuel, d’abord engagé dans le socialisme libertaire et anticlérical, il se rapproche ensuite du catholicisme et du nationalisme pour enfin axer son œuvre dans une profonde foi chrétienne. A Lyon, un Cercle Charles-Péguy est très actif au sein des milieux catholiques et de droite libérale-conservatrice.
Mais Dom Gérard est bien plus qu’un admirateur de Charles Péguy. Ce natif de Bordeaux est le fondateur de l’abbaye Notre-Dame-de-l’Annonciation du Barroux. Il mène un combat contre l’avortement et, le 24 octobre 1994, le moine bénédictin s’enchaîne aux grilles de l’hôpital de Grenoble. Cela lui a valu un passage devant le tribunal correctionnel où il a plaidé « la loi de Dieu qui transcende toutes les lois ». Le journal Libération évoque alors un militant qui « n’en est pas à son premier combat au sein de l’extrême droite » :
« Tout hôte du Barroux, placé sous surveillance vidéo dès son entrée, peut se procurer les tracts, journaux, pétitions et programmes de la galaxie des associations opposées à l’IVG ou les invitations aux “séminaires d’été” organisés par le réseau des associations catholiques traditionalistes proches du FN. »
Dom Gérard, de son vrai nom Gérard Calvet, est issu d’une famille réputée du négoce de vin. Son descendant, Paulin Calvet a repris la gestion du château Pique-Caillou, à Mérignac, après avoir épousé une des filles du propriétaire, Alphonse Denis. La devise du château est « Le style, c’est l’homme ». Comme toujours.
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