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L’Apeef, association gérant la crèche du Jardin de l’eau vive, est à la dérive

A moins d’un mois de la rentrée, l’incertitude est totale pour les familles dont les enfants sont gardés au Jardin de l’eau vive, ou suivent des ateliers à la Maison des enfants et à la Maison soleil. L’Apeef, l’association déficitaire qui gère ces trois sites, vient de les informer que ses activités pourraient cesser, faute de nouvelle subvention de la mairie de Bordeaux.

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L’Apeef, association gérant la crèche du Jardin de l’eau vive, est à la dérive

C’est par un mail lapidaire envoyé le 1er aout que l’Apeef (association petite enfance, enfance et famille) a annoncé à ses bénéficiaires la fin possible de ses activités. Motif : la structure, qui exploite trois sites d’accueil des enfants et d’animation – la Maison des enfants, la Maison soleil et le Jardin de l’eau vive –, n’a pas obtenu de la mairie de Bordeaux une subvention complémentaire, selon ce courriel de sa direction :

« Nos demandes financières, qui nous auraient permis d’assurer la continuité des services que nous proposons à plus de 1000 familles de Bordeaux depuis plus de 30 ans, sont refusées. Il a même été évoqué la possibilité de démanteler nos activités en les faisant reprendre par d’autres associations dès le premier septembre 2018. »

Enfin, poursuit le message, « la convention quinquennale de mise à disposition de locaux municipaux ne serait pas renouvelée au 1er octobre nous laissant sans possibilité de poursuivre nos actions éducatives, culturelles et artistiques ». Toutefois, dans un premier temps, la rentrée est simplement repoussée au 4 septembre, prévient l’association, qui demande aux parents de se rapprocher des trois sites pour plus d’informations.

Au Jardin de l’eau vive (Parents eau vive/DR)

Depuis ce mail du 1er aout, la direction de l’Apeef est aux abonnés absents. Ni les parents, ni la mairie, ni Rue89 Bordeaux ne sont parvenus à la joindre. Le siège de l’association, à la Maison des enfants, dans le centre de Bordeaux, est fermé.

A découvert

L’épée de Damoclès pend depuis quelques temps sur l’Apeef, en pleine crise interne. Son budget accuserait un déficit oscillant selon nos sources entre 250 000 et 300 000 euros. L’association, qui emploie actuellement  110 salariés (75 équivalent temps-plein), a beaucoup grandi avec la réforme des rythmes scolaires. Désormais enterrée, celle-ci nécessitait en effet des animateurs extérieurs dans les écoles pour les TAP (temps d’activité périscolaire).

Pour ses activités, notamment la crèche du Jardin de l’eau vive, dans le quartier Saint-Michel, l’Afeep a reçu l’an dernier une subvention de fonctionnement de 1,65 million d’euros de la part de la mairie de Bordeaux, son principal bailleur avec la CAF (caisse d’allocation familiale). Ses difficultés l’ont poussé à demander à la Ville une aide supplémentaire de 200 000 euros supplémentaires pour combler son déficit. En vain.

Mise en cause dans le mail de l’association, la mairie s’est fendue ce lundi d’un courrier aux familles. Elle tente de les rassurer – « Soyez certains que nous mettons tout en œuvre dans la mesure du possible pour que l’accueil des enfants soit assuré dès la rentrée » – et motive sa décision  :

« Pour l’heure, les projections budgétaires transmises par la direction de l’association pour garantir à la ville la pérennité de l’association dans des proportions de financement public raisonnable et le niveau de subvention complémentaire sollicité (200 000 euros, NDLR) ne nous permettent pas de donner une réponse favorable à l’Apeef. »

Frais et émoluments

La ville rappelle que « depuis quelques années la situation financière de l’association est précaire », et qu’elle lui « a demandé à maintes reprises, en vain, un plan de redressement permettant d’être assuré de la pérennité de l’activité d’accueil des enfants ».

« En 2018, la situation s’est aggravée, au point que le commissaire au comptes de l’association a produit une alerte économique formelle et que le conseil d’administration a démissionné. A ce jour, l’association n’a plus de président », précise la missive.

« La mairie n’a pas à se substituer à l’Apeef pour équilibrer le budget de l’association, ce serait complètement illégal », indique à Rue89 Bordeaux Emmanuelle Cuny. L’adjointe au maire en charge de l’éducation souligne que ce n’est « pas un problème de qualité de ce qui est présenté par l’Apeef, mais un problème de frais de gestion, bien au delà de ce que font d’autres associations ».

Pour cette même raison, l’Apeef a d’ailleurs atteint le « seuil d’exclusion » de la CAF, la caisse d’allocations familiales, une alerte sur ses coûts trop élevés. Selon Marion Schiegnitz, de l’association Parents Eau Vive , si ces frais se justifiaient en partie par le projet lui-même, ils ont dérapé ces dernières années.

« C’était pour nous un choix de mettre nos deux filles là-bas, commence la jeune femme. Le Jardin de l’eau vive est un vrai jardin, avec un vrai bac à sable, de la gadoue, des escargots, pas une crèche avec un sol synthétique et des surchaussures. C’est un projet porté sur l’ouverture à l’art et inspiré de la Maison Verte de Dolto. Il n’a rien à voir avec d’autres structures plus rentables : l’encadrement est très qualifié, et il est ouvert à des intervenants artistiques extérieurs… Mais M. Marquet, le directeur général, a pris des décisions insensées. Il a renvoyé des salariés avec des ruptures conventionnelles qui coutent très cher à l’association, tout en faisant voter par son assemblée générale une augmentation de son propre salaire, ou en créant des postes au siège, de présidence des pôles petite enfance et enfance. Avant son recrutement en 2014, il n’y avait même pas de directeur général, et les décisions étaient plus collégiales… »

Au Jardin de l’eau vive (Parents eau vive/DR)

L’association des parents et les salariés reprochent également au directeur général – qui n’a pas donné suite à nos demandes d’entretien – de ne pas avoir diversifié les rentrées financières de l’Apeef, en demandant des subventions à d’autres bailleurs de fonds (Europe, direction régionale des affaires culturelles…).

Crèches sous tension

Sa gestion des ressources humaines est aussi mise en cause. Plusieurs licenciements, dont celui du précédent directeur du Jardin de l’eau vive ou d’une représentante syndicale l’a dernier, sont mal passés auprès du personnel, qui s’est mis en grève le 22 mai dernier. Les arrêts-maladie prolongés se sont multipliés, et les quatre (!) coprésidents de l’association ont démissionné cet été. Si bien qu’un administrateur provisoire doit être nommé par le tribunal de grande instance. Une salariée (qui a préféré rester anonyme) résume la situation :

« Nous faisons face à une demande de la mairie de réduire des coûts, à un conseil d’administration qui n’a pas pris la mesure de ses responsabilités et a validé tout ce qui lui a été vendu par la direction, et à un directeur qui a pris le pouvoir et fait énormément de rétention d’informations. On a vu le trou financier se creuser en l’espace de 4 ans, et même l’expert comptable n’a pas eu accès à 15% des documents demandés. Si bien qu’on ne sait toujours pas clairement d’où vient le problème. »

De leur côté, les parents ont tenté de se mobiliser contre la fin probable de la halte-garderie du Jardin de l’eau vive, annoncée à la rentrée 2017. Ils ont lancé une pétition, signée depuis par 589 personnes. Leur inquiétude a été relayée lors du conseil municipal de juin par les élus d’opposition.

Brigitte Collet, l’adjointe en charge de la petite enfance, leur a répondu que si « 2 ou 3 crèches associatives » (sur 35 à Bordeaux) sont « sous tension actuellement », la fermeture du Jardin de l’eau vive était une « rumeur » :

« Il n’en a jamais été question. Il est bien évidemment un point de repère, et une ressource importante pour les enfants et les familles de ce quartier, et nous, nous avons toujours dit que ce point de ressources, ce lieu d’accueil enfants-parents ne fermerait pas au Jardin de l’eau vive. »

Il y a toutefois une nuance avec la structure actuelle, explique Marion Schiegnitz :

« Le projet de la Ville, c’est de transformer le jardin en accueil parents-enfants. C’est ce qu’il fait déjà un jour par semaine, le mercredi, où tout le monde peut venir gratuitement, adhérent de l’Apeef ou pas. Mais ce n’est pas le multiaccueil proposé actuellement, avec une vingtaine de familles qui peuvent laisser 16 ou 17 enfants toute la journée, dont certains ne parlent pas français et sont bien reçus. La mairie veut arrêter ça et se cache derrière des questions de travaux couteux de mise aux normes. On nous a par exemple parlé de 700000 euros nécessaire pour une rampe d’accessibilité à l’étage, alors que l’accueil se déroule au rez-de-chaussée ! »

En outre, les habitants ne comprennent pas que des berceaux puissent être ainsi fermés alors que de nouvelles familles s’installent dans le quartier, et que deux autres projets de crèche municipale ne sont pas encore sortis de terre. Si la déliquescence de l’Apeef se confirme, le Jardin de l’eau vive en paiera sans doute les pots cassés.


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