Le 15 juillet, alors que la France remportait la Coupe du Monde de football, Caroline Miquel, elle, perdait tout. Cette maraîchère a vu ses « jardins inspirés », une oasis de biodiversité de 4 000 m², décimés par les violents orages qui ont frappé la Gironde ce soir-là. Elle venait de déménager son exploitation au domaine des Jalles, au Taillan Médoc, et s’apprêtait à en récolter les premiers fruits. La tempête a frappé la veille de la première cueillette de tomate.
Soucieuse d’une alimentation saine et propre, Caroline Miquel porte ce projet depuis maintenant trois ans. Fondée sur le respect du vivant, l’agriculture en biodynamie vise à favoriser la fertilité des sols et à renforcer la santé des plantes, en prenant en compte les rythmes de la terre et le calendrier lunaire. La jardinière se veut ainsi « gardienne de semences paysannes » anciennes et contemporaines.
Des grêlons de la taille d’une cerise
Mais neuf minutes ont suffi à anéantir le fruit de 7 à 8 mois de travail. Alors qu’elle regardait le match de football, c’est le ton grave qu’un collègue l’informe de la catastrophe météorologique. Le domaine serait totalement inondé. Sur place, Caroline Miquel découvre avec stupeur l’ampleur des dégâts : l’eau lui arrive jusqu’aux chevilles, les grêlons ont dévasté tous ses plants.
Son récit, celui d’une agricultrice désemparée face à l’étendue des pertes et livrée à elle-même, semble tristement ordinaire. Caroline Miquel accuse le coup de la destruction de ses 1 600 pieds, une perte évaluée entre 7 000 à 8 000 euros. Et pas d’assurance pour compenser.
« Même les gros maraîchers n’ont d’assurance que pour leur matériel, comme une serre, un tracteur… mais pas pour les productions, cela coûte trop cher », se désole-t-elle.
Au delà des chiffres, la jardinière est profondément peinée par la perte de ses légumes, dont elle s’est passionnément occupée durant des mois :
« J’ai tout vécu depuis le mois de janvier avec mes graines. J’ai partagé six mois de vie avec. 600 variétés différentes de tomates, 35 pour les aubergines, et puis des poivrons, des courges, des potirons… Maintenant il n’y en a plus. »
La seule solution qui se présente à elle est de renoncer à son rêve et de trouver un emploi salarié. L’ampleur de sa désolation, par rapport à la liesse des Français en ce jour de fête, fait alors réagir ses amis.
Élan de solidarité
Pour parer à la destruction de ses récoltes, les amis de Caroline Miquel, maraîchers, restaurateurs et militants des semences paysannes, s’organisent. Alain Darroze, chef cuisinier du Pays basque, a en premier l’idée de faire appel à la solidarité des gens. Deux amies de la maison écocitoyenne de Bordeaux et du mouvement des Colibris proposent alors de monter une cagnotte solidaire sur Le Pot commun. Mais la maraîchère désapprouve, gênée :
« Au départ, j’étais contre car je ne voulais pas profiter des autres. J’ai finalement accepté parce que je n’avais pas le choix. C’était ça ou renoncer au métier que j’aime. »
Très rapidement, un véritable réseau de solidarité se tisse sur la toile, dans le monde de la restauration et des associations.
Dès le lendemain de l’orage, Nicolas Magie, chef cuisinier du Saint-James à Bouliac, lui achète l’ensemble des tomates abîmées par les grêlons, qu’il réutilise sous forme de chutney, sorte de sauce aigre-douce anglaise.
L’association du chef étoilé Michel Trama, « Les Bouffons de la cuisine », partage l’information sur les réseaux sociaux. Le Mouvement de l’Agriculture Bio-Dynamique (MABD) et le site internet de L’Humanité relaient également l’histoire de Caroline Miquel. Sur son blog « Ecologirl », Camille Choplin en appelle à la solidarité de ses lecteurs, qui commandent à la jardinière plus de 400 euros de graines de tomate.
Entrevoir le futur
Surtout, la cagnotte solidaire rencontre un succès fulgurant : plus de 6 500 euros sont levés pour encourager la reprise d’activité de la maraîchère. Close depuis le 5 août, elle continue encore de croître et compte à ce jour 169 participants. Dans un post Facebook, elle a tenu personnellement à remercier chacun de ses donateurs.
« C’est pas qu’une histoire de sous. Le plus important, c’est de m’avoir fait comprendre que c’était important pour eux aussi, que je m’occupe des graines et participe à ma petite échelle à la conservation de la biodiversité », confie-t-elle, la voix tremblante.
Néanmoins, Caroline Miquel préfère garder les pieds sur terre. Cet argent est « un petit matelas qui va [lui] permettre de vivre cette hiver ». Mais c’est aussi un « merveilleux cadeau » qui lui a fait comprendre qu’elle se devait de continuer. Bien qu’elle ait pris conscience de la nécessité absolue de se procurer une serre, ce luxe ne lui est pas encore permis.
Très émue quand elle évoque les encouragements qu’elle a reçu au cours de ce mois, elle reconnaît avoir « beaucoup plus pleuré pour l’émotion suscitée par la générosité des gens que par douleur ». Les navets sont semés, les tomates en fleur, les courges attendues pour l’automne. Caroline Miquel va ainsi pouvoir faire prospérer son jardin inspiré jusqu’à la fin de l’année.
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