Trois tentes à l’arrêt de tram Montaigne Montesquieu et ce message : « T2 idéal étudiant, 15 m², 990€, à saisir. » Semblable à celle des Enfants de Don Quichotte en son temps, c’est la première action menée par le Collectif-Mal-Logement étudiant, depuis sa création la semaine dernière à Bordeaux.
Objectif : « Réunir ceux qui sont concernés pour trouver des solutions d’urgence, puis de moyen ou long terme » détaille Tugdual, l’un des membres du collectif, en licence de science de l’éducation. Pour lui, les cas sont plus nombreux que l’on croit.
« Le mal-logement ne désigne pas seulement les étudiants qui vivent dans la rue mais aussi ceux qui vivent très loin de l’université et qui doivent faire la route ou squatter les canapés des copains, certains dorment dans leur voiture, d’autres vont de location AirBnb en location AirBnb ou cumulent les semaines de sous-location par-ci par là. Sans oublier ceux qui vivent dans des logements insalubres », énumère l’étudiant.
Tugdual est lui aussi passé par là :
« J’ai connu la galère d’habiter à une heure de Bordeaux en train, à devoir me lever à 5h du matin pour aller en cours et attendre plus de deux heures à la gare pour prendre le train de retour… J’ai fini par chercher un logement. C’était vraiment fatigant. »
Après un passage en location, Tugdual a finalement choisi de vivre dans un squat.
« Ça me permet de ne pas avoir besoin de travailler pour payer mon loyer et ça me laisse plus de temps pour étudier et militer. »
5 mois d’attente pour un logement Crous insalubre
Léa est venue apporter son soutien au collectif Mal-Logement étudiant. Après avoir enchaîné les galères de logement, elle a fini par abandonner ses études de sociologie.
« J’avais fait une demande de logement au CROUS, en temps et en heure mais j’ai du attendre le mois de janvier pour obtenir une chambre en cité U. En attendant j’ai été hébergée chez des gens, j’ai dormi dans la rue, mais certaines nuits je ne pouvais pas dormir car j’avais peur. Finalement on m’a proposé un 9 mètres carrés au village 6. Il fallait que je paye d’une traite 110 € de réservation plus 110 € de premier loyer et de caution. »
Une charge importante pour cette boursière, d’autant que le confort n’était pas vraiment au rendez-vous : cafards, chauffage en panne, infiltrations d’eau de pluie et puces de lit ont pourri la vie de Léa. Elle a réussi à changer de chambre, mais pas à continuer ses études de socio :
« L’année suivante, je n’avais plus les moyens de chercher autre chose. J’ai fini par arrêter la fac et chercher du boulot. »
Aujourd’hui, Léa travaille en CDI dans la restauration mais malgré son contrat elle est toujours à la recherche d’un logement depuis le mois de juin et dort chez des amis. Elle s’étonne :
« Je ne comprends pas le fonctionnement du Crous : pendant un an, la chambre voisine de la mienne est restée vide. C’était la pièce que j’occupais l’année d’avant, certes c’était insalubre mais c’est moins pire que d’être à la rue ! »
Effet Parcoursup
Malgré le nombre d’étudiants mal-logés, le camping improvisé près de l’arrêt de tram n’est pas très fréquenté ce jeudi après-midi.
« On a recueilli quelques noms d’étudiants en galère mais malheureusement la plupart de ceux qui n’ont pas de logement, n’ont pas le temps de venir en parler », déplore Tugdual qui tenait également un stand la veille, place de la Victoire pour réunir des témoignages.
Il y a croisé quelques bacheliers qui venaient de connaître leur affectation pour la rentrée.
« À quelques jours du début des cours, forcément ils ne trouvent rien. C’est compliqué pour eux qui sortent du Bac, ils doivent à la fois trouver un appart’ au dernier moment et se familiariser avec le fonctionnement de l’Université. »
Hélène Velasco-Graciet, la présidente de l’Université Bordeaux-Montaigne, confirme à Rue89 Bordeaux :
« Les admissions tardives sur Parcoursup ont eu un impact sur la recherche de logements, certains sont allés dormir à l’hôtel pour pouvoir assister aux premiers jours de cours. »
Ce constat sera sans doute abordé lors du bilan de la plateforme Parcoursup attendu à la fin du mois. La ministre de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal a annoncé récemment à l’AFP l’amélioration de l’affectation des logements étudiants par le Crous pour qu’elle soit « plus en lien avec la plateforme Parcoursup ».
Le logement étudiant reste toujours « un problème à franchir », disait le 28 août dernier Alain Rousset, président de la Nouvelle-Aquitaine, à Frédérique Vidal lors de sa visite à Bordeaux pour inaugurer la résidence Simone-Veil, une cité universitaire de 257 places. La Région et l’Etat ont signé un contrat qui devrait permettre d’inaugurer 2000 nouveaux logements d’ici 2020. Et 1500 logements supplémentaires devraient sortir de terre avant la fin du quinquennat, dans le cadre du plan logement.
Du côté du Crous, l’objectif de 12 000 logements contre 10 200 actuellement n’est pas encore atteint mais les rénovations se poursuivent. Le Crous entamera la réhabilitation des bâtiments E et F du Village n°3 à Pessac (300 logements réhabilités au total) en septembre 2019 et la construction du Village n°4 bis offrant 400 places de plus à Pessac pour la rentrée prochaine.
Couchsurfing chez les profs
En attendant, face à l’afflux de nouveaux étudiants et au manque criant de logements, accentué par l’effet Airbnb, les universités doivent bricoler. Celle de Bordeaux a appelé son personnel à accueillir des étudiants, dans un mail envoyé le 6 septembre dernier par la vice-présidente vie étudiante et vie de campus :
« Comme vous le savez certainement il est de plus en plus difficile pour nos étudiants de trouver un logement à Bordeaux. Nous avons, en ce début du mois de septembre, sur nos différents campus de nombreux étudiants qui recherchent encore un logement, sans résultat, alors même que les étudiants internationaux ne sont pas tous arrivés. Déjà l’an dernier, nous vous avions sensibilisés à cette situation, en faisant appel à ceux qui avait la possibilité d’héberger, provisoirement ou non, un étudiant dans l’urgence. Grâce à vos réponses, plusieurs situations avaient pu être débloquées. Nous renouvelons cette année notre appel à bonne volonté, car trouver un logement pour certains étudiants est encore plus compliqué cette année que les précédentes. »
Selon Blandine Lacassagne, chargée de communication à l’Université de Bordeaux, « la situation ne s’améliore pas » :
« Nous avons lancé une plateforme pour que les membres du personnel puissent mettre en location une partie de leur logement ou des studios. Et nous organisons chaque année un job-dating mais il y a de moins en moins d’annonce. »
Un constat qui fait écho au chiffre établi par l’Union des syndicats de l’immobilier (Unis) en Aquitaine en juin dernier : il y aurait 34 % de logements destinés à la location classique de moins par rapport à l’an dernier. Face à la situation, l’Université réfléchit même, en partenariat avec le Crous a un dispositif d’urgence pour éviter que les étudiants ne se retrouvent à la rue.
Un recensement à partir de lundi à Bordeaux Montaigne
« L’an passé, certains étudiants venus de l’étranger ou français ont du renoncer à s’inscrire à Bordeaux faute de logement », déplore Hélène Velasco-Graciet, qui voit régulièrement des étudiants dormir dans leur voiture garée sur le campus.
« Déjà l’an dernier, le recteur avait lancé un appel aux propriétaires de logements privés pour mettre leurs appartements en location aux étudiants. »
Pour recenser les étudiants qui n’ont pas encore trouvé de logement, un questionnaire sera envoyé à partir de lundi aux étudiants via leur ENT, à condition d’avoir créé son compte sur l’interface de travail.
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