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Journées du Matrimoine à Bordeaux : dans le pas de celles qui ont fait l’Histoire

Qui a eu cette idée folle d’inventer l’école maternelle ? Une bordelaise nommée Pauline Kergomard. Elle sera à l’honneur ce week-end à l’occasion des premières journées du matrimoine bordelaises. Matrimoine ? Un terme vieux de presque dix siècles que l’association HF utilise chaque année depuis 4 ans, à l’occasion des journées du patrimoine. Objectif : mettre en avant les femmes qui ont marqué leur époque pour rappeler que, de tout temps, elles n’ont jamais été seulement « que des muses ».

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Journées du Matrimoine à Bordeaux : dans le pas de celles qui ont fait l’Histoire

Elle a le regard déterminé et rêveur, les mains jointes sur ses genoux croisés. Sur l’affiche de la première édition bordelaise des journées du Matrimoine, Flora Tristan tient la pose d’un air étonné. Il y a de quoi. Celle qui a donné son nom à l’une des bibliothèques de Bordeaux sera à l’honneur ce week-end. La vie de cette « Aristocrate déchue, Femme socialiste et Ouvrière féministe », comme elle avait coutume de se définir, a failli finir aux oubliettes. D’ailleurs, rares sont les passants qui savent qui se cache derrière ce nom.

C’est pour faire connaître ces femmes artistes, militantes, scientifiques, aviatrices, poètes, résistantes que s’est créé le mouvement HF – pour l’égalité entre les femmes et les hommes – il y a plus de quinze ans.

« L’association est née après avoir fait le constat que les femmes étaient moins présentes que les hommes, notamment dans le monde de la culture, explique Aurélie Lagaillarde, la présidente de l’antenne bordelaise d’HF. Celles d’aujourd’hui mais aussi celles d’hier. Par exemple, c’est bien plus dur de citer dix auteurs que dix autrices, dix peintres hommes que dix peintres femmes. Beaucoup d’artistes étaient connues à leur époque mais ne sont pas passées dans la postérité. »

Affiche de la première édition des Journées du Matrimoine à Bordeaux

En passionnée d’histoire de l’art elle se félicite des initiatives telles que la visite « Femmes peintes, femmes peintres » du Musée des Beaux-Arts organisée le 8 mars, à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes – « l’occasion de rappeler que les femmes ne sont pas que des muses », le slogan de ces journées du matrimoine.

De Rosa Bonheur  à Catherine Marnas

Aurélie Lagaillarde cite aussi l’immense tableau de Rosa Bonheur (1822-1899), peintre animalière bordelaise, exposé au Musée des Beaux-Arts, ou encore les expositions du CAPC qui mettent régulièrement en avant des artistes féminines.

« Parmi les œuvres d’art classiques exposées aux Musée des Beaux-Art celles qui sont anonymes ou signées avec des noms d’hommes ont très bien pu être réalisées par des femmes qui signaient rarement de leur nom » raconte Aurélie Lagaillarde.

Aurélie Lagaillarde, présidente d’HF Bordeaux (KLC/Rue89 Bordeaux)

Mélissa Mangnez, la cofondatrice de l’association HF à Bordeaux, ajoute :

« Souvent, on ne se souvient de ces femmes qui ont franchi les siècles, que comme des muses alors qu’elles même exposaient, c’est le cas de Kiki de Montparnasse. »

C’est en réalisant un mémoire sur la mise en scène des femmes au théâtre qu’elle a pris conscience des inégalités, « notamment dans l’obtention de subvention, la place qu’on leur réserve dans les programmations, leur cantonnement aux spectacles jeunes publics, ou à leur apparition rarement en solo en haut de l’affiche sauf si c’est en duo avec un homme ».

« Elles ne représentent que 11% des spectacles programmés sur toutes les scènes et parce qu’elles ne reçoivent que 4 à 12% des pavés, pardon des récompenses énumérait Carole Thibaut, la directrice du centre dramatique national de Montluçon lors de la fausse cérémonie des Molières à Avignon », raconte Mélissa Mangnez.

Celle-ci a vu un changement au TnBA depuis l’arrivée de Catherine Marnas à la direction du théâtre bordelais, en 2013. « Les femmes sont plus présentes dans la programmation », sourit Mélissa Mangnez qui développe elle-même une activité de scénographe.

Les femmes ne courent pas les rues

Samedi et Dimanche, Aurélie Lagaillarde, Mélissa Mangnez et Aurélie Fraysse, les trois fondatrices de l’association HF à Bordeaux guideront les visiteurs à quatre reprises dans les rues de Bordeaux portant des noms de femmes.

Et il faudra marcher un peu car c’est peu dire que ces panneaux ne courent pas les rues : seule une rue sur dix portaient le nom d’une femme en 2014 dans la métropole bordelaise avait estimé un ingénieur, Armand Gilles, après avoir épluché les registres des communes de l’agglomération.

Hey @Bordeaux on parle de toi et du genre des nom de rues du coté de @datagouvfr https://t.co/wdApQztIjG

— Armand Gilles (@arm_gilles) 16 décembre 2014

« Les rues qui portent des noms de femmes sont rarement en plein centre-ville, ce sont des impasses ou des rues d’habitation, il y a peu de cours ou d’avenues dédiés à une femme. Exception faite bien sûr pour la rue Sainte-Catherine qui est le prénom d’une sainte ! Certaines rues ont juste des prénoms féminins comme l’impasse Marion qui est l’une des plus petites artères de Bordeaux, elle mesure 15 mètres de long ! C’était peut-être le nom de famille des propriétaires… »

Tout comme à Paris, Lyon, Rennes ou Toulouse, les balades guidées, à pied ou à vélo prévues ce week-end seront l’occasion d’en apprendre plus sur les femmes qui ont marqué leur époque et leur ville : l’aviatrice Maryse Bastié qui a passé son brevet de pilote à l’aéroport de Bordeaux, les résistantes Marguerite Craust, Manon Cormier et Laure Gatet, les artistes Rosa Bonheur et Jean Baldé, l’industrielle Marie Brizard qui a donné son nom à l’apéritif et a légué son entreprise à la femme de son neveu, ou encore Pauline Kergomard, la fondatrice de l’école maternelle. Sans oublier Flora Tristan dont la tombe située au cimetière de la Chartreuse à Bordeaux a été payée par un fonds ouvrier en remerciement de son engagement pour la défense de leurs droits.

« Flora Tristan était de tous les combats. L’écrivaine engagée et révolutionnaire, mariée à 17 ans à un homme brutal, s’est battue pour le droit des femmes à divorcer et avoir la garde de ses enfants », ajoute Aurélie Lagaillarde.

C’est sur la tombe de Flora Tristan qu’elle a choisi de conduire les visiteurs pour raconter son histoire.

Définition !

Ce qui vient des mères

Loin de la guerre sémantique qui a enflammé les claviers des internautes sur la création ou non d’une catégorie matrimoine sur wikipédia, les trois bénévoles se défendent de vouloir simplement « réserver une place aux femmes pour qu’on les y trouve car l’histoire les a invisibilisées » insiste Mélissa Mangnez.

« Il n’y a pas de concurrence entre le patrimoine et le matrimoine, poursuit Aurélie Lagaillarde. Le but c’est que ce soit complémentaire, complet et mixte. »

Elle tient en outre à rappeler que le mot n’est pas un néologisme.

« On a retrouvé des textes du 12e siècle où l’on déclarait le patrimoine et le matrimoine puis il a été employé par Christine de Pizan en 1405. »

Fin 2017, le groupe Europe-Ecologie Les Verts du Conseil de Paris avait proposé de revaloriser l’héritage des femmes artistes et intellectuelles en renommant « les Journées du matrimoine et du patrimoine ». Une proposition qui avait été jugée superflue par la majorité municipale. Gilles Boyé, linguiste et morphologue à l’Université Bordeaux Montaigne, précise :

« Sur la forme, matrimoine rentre dans l’architecture classique. Le terme matrimonial, qui existe officiellement semble être un dérivé de matrimoine. Finalement il y avait une sorte de lacune à ne plus utiliser le nom dont découlait l’adjectif. »

La boucle est bouclée. En attendant de le voir entrer dans le prochain dictionnaire, ou que Stéphane Bern en fasse un loto, le matrimoine de Bordeaux est à voir ce week-end.


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