Dans le bureau du 3e étage de la Bourse du Travail de Bordeaux, deux femmes se retiennent d’exploser. Ces auxiliaires de vie sociale (AVS) racontent l’assistance qu’elles apportent à nos aïeux et surtout leurs conditions d’existence actuelles. Isabelle Sauvaget décrit :
« On gagne entre 800 et 1100 euros pour 105 à 140 h par mois et des journées qui peuvent s’étendre de 9h à 21h avec trois coupures dans la journée. On a de trop petits salaires pour mettre de l’argent de côté, on n’a pas de dépassement possible sur notre compte. »
Pour cette AVS salariée par Valoys 33 Service sur le secteur Saint-Médard-en-Jalles – Mérignac, comme pour ses collègues, les complications viennent d’arriver avec le retard de paiement dans leur paie :
« Comme la carte bleue ne passe plus, on ne peut pas prendre l’essence dont on a besoin pour nos tournées… La direction refuse de donner des bons d’essence. C’est la solidarité entre copines qui fonctionne en donnant quelques euros… »
A ses côtés, sa collègue du Bassin d’Arcachon, Valérie Biout, complète :
« Avec ce non-paiement, j’ai eu des rejets de prélèvements sur mon prêt puis sur la facture EDF. Je ne pourrai pas donner les 200 euros à ma fille pour lui payer l’université. Et après ça ce sont les agios qui s’accumulent. »
Toutes deux maitrisent leur colère mais leur quotidien est devenu un calvaire. Elles sont auxiliaires de vie sociale (AVS) depuis un peu plus de deux ans dans cette entreprise. Fières de leur métier qu’elles savent utiles, elles ne vont « jamais travailler avec des boulets aux pieds » sourit Valérie.
Vendu à d’autres… 9 jours plus tard
Il s’agirait selon l’Insee de la « profession la moins bien payée de France » et aux conditions de travail difficiles. Ces deux déléguées CGT s’inquiètent avec leurs collègues de n’être plus payées du tout. Si le salaire est versé le 15 du mois, un acompte arrive toujours deux semaines avant. Mais pas ce mois-ci. Une goutte d’eau de trop dans un vase déjà bien plein.
Le syndicat avait déjà alerté Jean-Luc Gleyze, président du département de Gironde (qui finance largement l’entreprise). Dans un courrier envoyé fin août et consulté par Rue89 Bordeaux, il dénonce le manque de prestations chez certains bénéficiaires, des démissions, du harcèlement, des burn-out, le manque de service d’astreinte, l’absence de mutuelle pour certains salariés.
Il y a un mois surtout, le climat se dégradait fortement pendant la canicule. Le thermomètre social manquait déjà d’exploser. Le 22 août, les salariées apprenaient qu’une partie de l’entreprise allait être vendue… 9 jours plus tard. Le sort de 34 salariées (sur 95 divisées sur 3 secteurs) semblait déjà scellé.
« Nous avons découvert que les démarches avaient commencé le 21 juin mais jamais nous n’avons été mis au courant – pas même lors de la réunion du CSE (Conseil Social et Economique) du 5 juillet. Il y a délit d’entrave », estime Valérie Biout.
Des débrayages sont effectués, l’inspection du travail est mobilisée. Le projet de cession n’est pas abandonné mais remis pour octobre puis finalement pour novembre.
Torture versus clous
C’est « de la torture mentale » accuse Valérie Biout qui avec son syndicat note que 6 des 7 déléguées CGT sont sur le secteur appelé à être vendu. Le directeur Olivier Thomas justifie calmement son choix de vendre par des « raisons personnelles ; ma condition physique ne me permet pas de gérer Bordeaux et le Bassin d’Arcachon. »
Les salariées veulent faire une proposition de reprise sous forme de Scop (coopérative). La direction n’est pas forcée de l’accepter ni d’en faire une priorité.
En cas de transmission de l’entreprise à ses salariées, seront elles en mesure de transformer leurs difficiles conditions de travail ? Aux missions déjà prenantes (faire la toilette, préparer et donner les repas, discuter avec des personnes dépendantes), des plannings à rallonge s’ajoutent, comme l’explique Valérie :
« J’habite Audenge. De 8h à 9h30 je suis chez une personne à Andernos. Puis jusqu’à 11h, je n’ai rien, je rentre chez moi pour une demi heure. De 11h à 12h45, je suis à nouveau à Andernos puis chez une autre personne à Audenge jusqu’à 14h. Je reprends à 18h à Andernos pour finir ma journée à Audenge à partir de 19h55 jusque 21h. »
Ces 60 km de route quotidiens s’ajoutent à la fatigue du métier. Pour le salaire, seules les heures chez les bénéficiaires sont payées. Par ailleurs, les frais s’accumulent, les kilomètres ne sont pas remboursés s’ils concernant des trajets depuis ou vers le domicile de la salariée. Ils ne sont payés qu’entre deux bénéficiaires au tarif de 20 centimes par kilomètre. La CGT demande le double.
Certaines salariées se verraient proposer « 120 km à faire dans la journée » lors de journées de remplacements. Selon les déléguées CGT, celles qui refusent reçoivent des avertissements pour refus de mission. La direction affirme quant à elle s’appuyer sur le « volontariat » de ses collaboratrices.
Décalage de paiement de salaires
Elle admet un « décalage de paiement de 50000 euros » et promet de rembourser les « frais liés » à ce « décalage » dans le paiement des salaires.
Un acompte est encore attendu par la moitié des salariées selon la direction qui promet de procéder à un maximum de paiement par virement « heure par heure ».
« Tout sera réglé au plus tard en début de semaine prochaine » (cette semaine, NDLR) veut rassurer Olivier Thomas.
Les AVS sont à très grande majorité des femmes de « mamans seules ou de femmes de plus de 50 ans qui ont du mal à trouver d’autres emplois » décrivait Isabelle Sauvaget début septembre sur la radio La Clé des Ondes. Très loin d’un quelconque plafond de verre, elles restent collées à un parquet de plomb.
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