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Les accompagnants d’élèves handicapés ne veulent plus être « les invisibles de l’éducation »

Sans contrat de travail, en sous effectifs et parfois pas encore payés pour leur travail du mois de septembre : les AESH girondins manifestaient devant le rectorat de Bordeaux mercredi 9 octobre.

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Les accompagnants d’élèves handicapés ne veulent plus être « les invisibles de l’éducation »

On les connait souvent sous l’appellation d’AVS : auxiliaires de vie scolaire. Au quotidien ils aident, sécurisent et participent à l’autonomie des élèves handicapés dans les écoles, collèges et lycées. Suite aux réformes de l’éducation nationale de ces dernières années, ils ont été rebaptisés AESH, pour Accompagnants d’élèves en situation de handicap.

Mais si leurs missions n’ont pas changé, à l’EREA de la Plaine d’Eysines, un établissement spécialisé dans la scolarisation d’enfants porteurs de handicaps, les AESH sont en grève depuis dix jours. Rejoints par l’équipe éducative dans un mouvement de grève reconductible depuis lundi 7 octobre, ils appelaient à une manifestation devant le rectorat ce mercredi.

Ils étaient donc près d’une centaine, pancartes en main à répondre à l’appel, relayé par l’intersyndicale (CGT, SNEIP, FSU, Snuipp-FSU, Sgen-CFDT et FO), pour dénoncer les dysfonctionnements auxquels font face les 4000 AESH girondins depuis la circulaire Blanquer pour une école inclusive publiée pour la rentrée.

Et ce mercredi devant le rectorat, les discussions relatives à l’absence de contrats de travail, au temps partiel subi ou à la dégradation des conditions de travail du fait de la mutualisation, vont bon train.

Pas de contrats, des retards de salaire et du mépris

« Sur 35 AESH à l’EREA, 12 n’ont toujours pas de contrat de travail ou n’ont pas eu tout ou partie de leurs salaires, tempête Dominique Marchal, délégué syndical CGT Educ’action. Quand on ne touche que 600 euros par mois pour un contrat de 24h et qu’il faut tenir depuis fin août, c’est difficile. »

Lynda, AESH à Merignac, s’inquiète :

« Il me reste 22 euros sur mon compte, j’ai deux enfants à nourrir et toujours aucune nouvelle, je fais comment ? »

A ses côtés Anita, sa collègue, ne décolère pas.

« J’ai appelé le rectorat une quarantaine de fois, ils nous baladent, nous envoient vers le service social comme si on ne savait pas gérer notre argent. »

Une copie de mail du service social en main, Anita renchérit :

« Comme je n’ai pas reçu mon contrat, je ne peux même pas fournir les documents nécessaires. Et de toutes façons, je ne veux pas d’une aide d’urgence, je veux mon salaire ! »

Ces embuches ne font que s’ajouter aux couacs en terme d’affectations que les deux salariées ont rencontrées lors de cette rentrée. Son précédent contrat ayant pris fin le 31 août dernier et, sans nouvelles du rectorat, Anita n’a appris son affectation, par téléphone, que deux jours après la reprise des cours.

« Et si j’ai un accident de la route en allant travailler un matin, qui me couvre ? »

La reconnaissance de la technicité d’un métier où les connaissances médicales et éducatives sont importantes constituent une des revendications principales des AESH (EB/ Rue89 Bordeaux)

Mais un des principaux griefs des agents concerne la mutualisation. Au collège Alienor d’Aquitaine, un AESH en contrat de vingt heures doit ainsi accompagner deux élèves sur trente heures de cours, nous signale Karim Ghanmi, professeur d’histoire-géographie et représentant syndical SUD. Et une telle situation se retrouve dans de nombreux établissements.

« On n’accompagne pas un enfant autiste de la même manière qu’un enfant souffrant de troubles moteurs »

« Du fait de la mutualisation, on se retrouve à suivre plusieurs enfants en même temps, parfois dans la même classe, parfois pas. Alors lorsqu’on accompagne deux gamins, lorsque survient un problème, comment fait-on ? déplore Anita. Pendant qu’on s’occupe de celui qui fait une crise d’épilepsie, on laisse l’autre se débrouiller tout seul… »

Une situation que Laure, AESH mais aussi maman d’un garçon en classe de CM2, bénéficiant d’un accompagnement scolaire depuis l’âge de 4 ans, a vu se dégrader. Malgré le besoin de repères de son fils, en fin d’année scolaire, elle a dû insister pour que son AESH puisse continuer de l’accompagner à la rentrée, même sans changer d’école.

Mais deux semaines après la rentrée, l’AESH l’appelle catastrophée parce que le rectorat veux l’affecter ailleurs.

« Le quotidien c’est ça, soupire Laure. Les affectations se font sans prise en compte des niveaux scolaires, des problématiques de santé ou de l’histoire des élèves. Avec la mise en place des PIAL, on dirait qu’ils ont mis des listes (d’enfants) face à des listes (de salariés). Mais avec des enfants qui ont des besoins spécifiques, ça ne fonctionne pas comme ça ! »

La goutte d’eau et le vase

Cette rentrée a en effet été marquée par la mise en place des PIAL, les Pôles inclusifs d’accompagnement localisés, chargés de coordonner le déploiement des intervenants sur plusieurs établissements en fonction des besoins des jeunes élèves.

« Il y a eu une désorganisation totale du fait de ces réformes à la hussarde, les services administratifs se sont retrouvés avec une charge de travail énorme », poursuit Dominique Marchal.

Manifestation AEHS 3
La réorganisation de la gestion des effectifs par pôles d’établissements est souvent évoquée pour expliquer les difficultés rencontrées par les AESH en cette rentrée (EB/Rue89 Bordeaux)

De plus, depuis juillet 2019, les AESH ne sont plus embauchés en contrats aidés. Recrutés directement par l’éducation nationale, la requalification de ces contrats en contrats de droits publics a induit pour les agents une perte de 80 euros de salaire par mois et la non reprise de leur ancienneté. 

A l’échelle nationale, le nombre d’AESH concernés demeure difficile à quantifier mais la situation est dénoncée dans la plupart des académies de France. Et selon Jean-Yves Gazard, trésorier adjoint du Sgen-CFDT, environ 20% des agents auraient rencontré des problèmes de perception de leur traitement ou d’absence de contrats de travail depuis le début de l’année scolaire.

« Tout va bien, ne vous inquiétez pas »

Une délégation a été reçue par le recteur pendant le rassemblement. Contacté par Rue89 Bordeaux, le rectorat ne souhaite pas réagir à la mobilisation de ce jour. Au collège Alienor d’Aquitaine, monsieur Govignon, le principal, reconnait que « le changement de système à compliqué la gestion des payes » mais il ne relève pas de soucis d’organisation. Quant à la dizaine de chefs d’établissements contactés, ils estiment que la situation est en cours de résolution. 

« Le discours institutionnel c’est “Tout va bien, ne vous inquiétez pas”, mais les parents ne sont pas dupes, confie Dominique Marchal. L’inclusion c’est une belle idée mais il faut des moyens derrière. On est dans ce que eux appellent l’optimisation des moyens mais pas du tout dans la prise en compte du bien-être des élèves. » 

Sans formation continue, Lynda et ses collègues se forment ainsi sur le tas.

« J’ai eu une proposition de formation en quatre ans. Quand j’y suis allée, ils s’attendaient à des AESH débutantes et nous ont fait un speech sur le fait d’avoir des stylos en double au cas ou l’élève casse ou oublie le sien… Moi c’est une formation sur l’autisme que je veux ! » 

« Les invisibles de l’éducation ne doivent plus l’être »

« Il faut une reconnaissance du statut et des spécificités du travail d’AESH, ce n’est pas un petit boulot, insiste Dominique Marchal. C’est un métier précaire, essentiellement exercé par des femmes, isolées dans des établissements où elles sont souvent peu nombreuses, employées sur des contrats à temps partiel imposés et sans évolution de carrière possible. Les invisibles de l’éducation ne doivent plus l’être. »

« Nous demandons juste à être payées mais notre employeur nous laisse devant les portes closes. » (EB /Rue89 Bordeaux)

Ce que confirme Christine. AESH à l’EREA, elle est en CDD depuis 12 ans.

« Ma faute ? Avoir changé d’académie en cours de route. Apparemment il n’y a pas de suivi des dossiers donc pas de reprise de l’ancienneté. »

Mais faute de réponse à la hauteur de ses attentes, elle, comme toutes ses collègues, semble plus déterminée que jamais à se mobiliser afin de défendre ses droits.

« Notre métier on le fait avant tout pour les enfants et par passion. Mais quand on sait tout ce que les enfants et leurs familles ont traversé, on ne peut que continuer à résister… »


#éducation

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