« En informatique, je suis au niveau zéro et je viens ici pour tout apprendre, de l’utilisation du clavier à l’envoi de mails », affirme Sophia.
Dans le local d’Emmaüs Connect aux Aubiers, ils sont douze novices comme elle à participer ce mercredi après-midi à un atelier de formation aux rudiments du numérique.
D’origine ivoirienne, la jeune femme (35 ans) a vécu 18 ans à Florence, en Italie, où son travail dans une usine de produits cosmétiques ne lui a jamais donné l’occasion de bosser sur des ordinateurs. En France depuis quelques mois, elle veut suivre une formation d’auxiliaire de vie, mais a besoin de maîtriser cet outil pour ses démarches
« Je n’ai pas d’ordinateur chez moi et maintenant tout se fait par Internet, alors je suis un peu bloquée, affirme Claude, 54 ans, autre participant à la session. Avant j’avais des personnes qui pouvaient m’aider dans ma famille, mais j’ai eu pas mal de problèmes personnels. C’est le CAIO (centre d’accueil et d’information et d’orientation pour les personnes en errance à Bordeaux) qui m’a orienté vers Emmaüs Connect pour apprendre à faire des démarches en ligne, chercher du travail… »
13 millions de Français hors ligne
Claude en est à sa troisième session, qui se tiennent le mercredi après-midi pour les débutants. Installée depuis un an et demi dans le quartier des Aubiers, l’association estime avoir accompagné ainsi 450 personnes.
Aujourd’hui, plus de 39% des Français sont en difficulté sur le numérique, et 13% d’entre eux sont en situation de précarité sociale. Selon des chiffres présentés l’an dernier lors de la visite du secrétaire d’Etat Mounir Mahjoubi chez Emmaüs Connect, aux Aubiers, il y aurait 13 millions de Français exclus du numérique.
« Je ne me rendais pas compte du nombre de personnes concernées, et j’ai eu un déclic lors du passage de Mounir Mahjoubi à Bordeaux », relève Paul Soncourt, un bénévole de l’association.
A la recherche d’un emploi « qui a du sens » après des années dans une grande entreprise de matériaux de construction, le jeune homme a décidé de se rendre utile en attendant.
« Je viens d’apprendre à des gens à faire un copié-collé. Et j’ai fait découvrir à d’autres Youtube, Google Map, ou encore Whatsapp à des personnes qui peuvent désormais à nouveau communiquer avec leurs proches à l’autre bout du monde. Ça a changé leur vie ! L’enjeu consiste d’abord à lever les peurs des gens, pour qui l’ordinateur est un objet mystérieux et complexe. Ensuite les progrès sont très rapides. »
Cherche 20 bénévoles
Quand il aura décroché un poste, Paul compte bien rester impliqué dans Emmaüs Connect, dont il s’occupe du pôle vie associative à Bordeaux. L’antenne bordelaise a actuellement une quarantaine de bénévoles, et aimerait en recruter 20 de plus.
« Nous devons être plus nombreux car il y a beaucoup à faire, explique Alice Chupin, responsable d’Emmaüs Connect à Bordeaux. On a de belles histoires avec les gens qu’on accompagne, on voit que ça fonctionne, que débloquer le frein numérique leur a permis d’en lever d’autres. Mais il faut pouvoir s’adapter à chaque demande. Un senior et un jeune à la recherche d’un emploi n’ont pas forcément les mêmes besoins. »
Emmaüs Connect vend aussi du matériel d’occasion à tarif solidaire pour ses bénéficiaires. L’antenne bordelaise a toutefois une quinzaine de personnes en attente d’un ordinateur, car elle a du mal à trouver des donateurs. Elle lance donc un appel aux entreprises et aux administrations qui lorsqu’elles renouvellent leur parc informatique jettent leur vieux matériel.
« Si on veut avoir des actions plus pérennes, nous avons aussi besoin de financements à long terme, et de personnel », ajoute enfin Alice Chupin, seule salariée permanente à Bordeaux.
La couleur de l’argent
Quid de la stratégie nationale d’inclusion numérique annoncée précisément aux Aubiers ? Alors que le coût de la réduction de la fracture numérique avait été évalué à plus d’un milliard d’euros sur six ans (mais pourrait faire économiser 1,4 milliard par an), le gouvernement ne pourrait y consacrer que quelques millions d’euros, à travers notamment un « pass numérique ».
« Mais pour l’instant, on n’en voit pas la couleur, indique Alice Chupin. Au contraire, ces annonces ont accru la compétition entre associations, et tout le monde se bouscule pour avoir des financements… »
La responsable d’Emmaüs Connect table aussi sur des partenariats avec Pôle Emploi ou la CAF, pour aider les allocataires dans la digitalisation des démarches. Sans accords avec ces institutions, pas question qu’Emmaüs Connect joue les sauveteurs des naufragés du numérique.
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