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30/04/2024 date de fin
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L’ascenseur, un squat social géant se forme à l’Université de Bordeaux

Depuis une quinzaine de jours, un ensemble de bâtiments à l’abandon a été « réquisitionné » à Talence pour héberger des personnes sans domicile, dont plusieurs familles avec enfants. Propriétaire de ces locaux, l’Université de Bordeaux y accueillait des étudiants jusqu’en juin dernier, et souhaiterait les vendre. Il demande au tribunal administratif l’expulsion des squatteurs.

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L’ascenseur, un squat social géant se forme à l’Université de Bordeaux

Changement d’occupants au « site Lamartine », à Talence. Jusqu’en juin dernier, et comme ne l’indique pas son nom de poète romantique, on enseignait surtout les maths aux étudiants de l’Université de Bordeaux (UB) dans cet ensemble de huit bâtiments. L’ »Unité de formation Mathématiques et interactions » y était même hébergée. Et puis plus rien : les ouvertures sont murées, l’université déménage, 2840m2 sont laissés à l’abandon.

Il y a deux semaines, face au nombre de personnes sans abri à l’approche de l’hiver, plusieurs personnes commencent à occuper les lieux. Parmi elles Vincent, salarié, la trentaine, arrivé à Bordeaux il y a deux mois et demi avec son petit frère pour le travail.

« On ne trouvait aucun logement, on nous disait qu’il y avait 3 ou 4 ans d’attente pour avoir un logement social. »

Alors, après avoir « cramé toutes [leurs] économies dans un hôtel puis au camping », ils se mettent à camper sur l’aire d’autoroute de Cestas. Quand un collègue lui parle de l’ouverture de ce squat et qu’il arrive ici, Vincent nous raconte avoir été « le plus heureux des hommes ».

« En tente, tu es trempé tous les matins à cause de la condensation, tu dois démonter le matin, remonter le soir. Ici il fait chaud, on ne subit pas la pluie. »

Déjà une naissance

Pour le moment, une équipe d’une dizaine de personnes s’occupe d’organiser les lieux, de les mettre en état et d’accueillir les personnes à la rue. Dans le bâtiment principal (autrefois baptisé « hôtel de Salles ») on trouve une sommaire cuisine collective, un stock de denrées alimentaires issues de la récupération, et des dortoirs dont un dit « temporaire » pour les personnes de passage.

Selon Vincent, une cinquantaine de personnes avaient dormi ici la veille (mercredi), dont une quinzaine de mineurs, bon nombre de demandeurs d’asile, et au moins un étudiant. « En début de semaine c’était 20. Ça change chaque jour. »

Les occupants sont aidés par des associations (Médecins du monde, Restos du cœur) et des particuliers, comme ce groupe de motards qui récupèrent et redistribuent des meubles. Et la « famille » s’agrandit : une femme enceinte qui logeait ici vient même d’accoucher (à l’hôpital), et devrait bientôt revenir avec son bébé.

Audience électrique

Sur les 8 bâtiments que compte le site, deux ont été mis de côté car jugés trop insalubres et dangereux, et l’un est partiellement fermé pour les mêmes raisons. Mais le reste est en très bon état, juge Vincent, qui a mis ses compétences de technicien supérieur en gestion industriel (« ça correspond à la gestion d’une usine », nous dit-il) au service du collectif.

« Cinq bâtiments sont nickel, ils sont aux normes sanitaires, et l’électricité semble avoir été refaite récemment » assure-t-il.

Autant dire que la position de l’UB, qui a demandé l’expulsion des squatteurs, les fait doucement rigoler. Suite au référé déposé par l’université, une audience a eu lieu devant le Tribunal administratif de Bordeaux ce jeudi. Selon l’avocate de l’UB, « les installations électriques sont assez vétustes, un départ de feu tout à fait probable, surtout si soixante-dix familles s’y installent pendant les quatre mois d’hiver ».

À l’audience, l’avocat des squatteurs, maître Romain Foucard s’est étonné de cet argument :

« Des étudiants ont été accueillis jusque récemment avec un système électrique supposé défaillant ».

« Ni utile ni urgent » de déloger

Sur place, comme nous avons pu le constater, les salles de classes transformées en chambre sont propres, il y fait bon, l’eau chaude est même disponible, et les tableaux électriques ne semblent pas si anciens que cela. Si la lumière fait défaut à l’intérieur, ce n’est pas faute de fenêtres : mais celles-ci ont été intégralement obturées par des murs de parpaings suite à l’abandon du site.

La totalité des ouvertures avaient été murées (BG/Rue89 Bordeaux)

Devant le tribunal, l’avocate de l’université a fait référence à un « projet » qui viendrait s’établir sur ce site. Mais sans pouvoir en dire plus. Selon Maître Foucard, « il n’y a aucun projet sur le lieu pour lequel un acte de déclassement allait être pris ». L’expulsion n’est donc ni « utile » ni « urgente » estime-t-il, la présence des deux critères étant nécessaires pour prendre une telle décision.

Les nouveaux habitants sont donc plutôt confiants dans la décision du tribunal, qui doit être rendue publique d’ici mardi prochain. En attendant, ils travaillent à aménager les lieux.

« Petit à petit on va réhabiliter. On a débouché les WC qui en avaient besoin, on commence à démurer certaines fenêtres », explique Vincent.

Des parpaings au mafé

Les bâtiments sont répartis au milieu de grands arbres. Un petit chemin sillonne entre les pelouses. Stéphanie habite ici depuis plus d’une semaine. Dans le bâtiment où se trouve sa chambre, elle a aménagé une pièce en cuisine, et son mafé est déjà réputé :

« Ces jeunes font tout ce qu’ils peuvent pour qu’il y ait des abris. Quand on est là, on est en famille, on partage tout. Tu ne prépares pas à manger que pour toi, mais tu vas proposer aux autres, surtout aux familles qui ont des enfants car c’est eux qu’on protège d’abord. »

Dans la cuisine aménagée par Stéphanie (BG/Rue89 Bordeaux)

Dans le bâtiment suivant, ça sent bon le poulet qui rissole par l’entrebâillement d’une porte. À l’intérieure, Kankou veille sur sa fille qui dort. Elle est partie en 2017 de Guinée-Conakry et arrivée en France en octobre dernier. Après s’être présentée à la PADA, elle logeait dans une famille d’accueil :

« Mais je devais partir le matin à 6h, avec ma fille. On était très fatiguée. Maintenant on se couche bien, on se lève, on fait notre programme. Aujourd’hui j’ai inscrit ma fille à l’école, elle devrait commencer lundi. »

Ascenseur social

S’ils ne sont pas expulsés, les habitants comptent installer un magasin gratuit dans l’ancienne bibliothèque, un atelier mécanique, ainsi que « des activités dans tous les domaines ». En tout cas, assurent-ils, « cela doit être un lieu interculturel ».

Ils ont déjà baptisé leur squat, qui pourrait devenir l’un des plus grand de l’agglomération : l’ascenseur, en référence à celui qui se trouve dans le bâtiment principal. « Il fonctionne, il a même été révisé cet été » s’enthousiasme Vincent, qui n’avait jamais vécu dans un squat. « Et puis ça fait penser à l’ascenseur social. On voudrait donner un coup de pouce et aider les gens. »

« C’est magnifique la solidarité qu’il y a entre nous. C’est ce qui fait qu’on a pu gérer en si peu de temps l’arrivée des familles. Je ne m’attendais pas à un tel engouement » poursuit-il.

Du côté de l’UB, nous n’avons trouvé aucun interlocuteur disponible pour nous répondre. D’après son site internet, les activités d’enseignement et de recherche qui se trouvaient ici ont été transférées sur le campus de Talence afin de « permettre la libération puis la valorisation des 2 840 m² du site de Lamartine à Talence ».

« Les activités du site Lamartine ont été transférées… » dit le panneau de l’Université (BG/Rue89 Bordeaux

Une « valorisation » qui reste pour l’heure mystérieuse. Mais qui faisait déjà parler en 2011, et avait suscité la création d’un « collectif du parc Lamartine ». Les riverains alertaient alors des « conséquences que pourront entraîner la cessation d’activité de cet établissement public dont l’environnement végétal contribue pour beaucoup à la qualité de vie de votre quartier ».

Les choses pourraient maintenant s’accélérer, alors que l’UB est en train de devenir propriétaire de son patrimoine immobilier. L’objectif, affiché, étant que la « valorisation » de certains espaces rapporte de l’argent afin de financer l’entretien du reste des locaux et du campus.

« On les embête parce qu’ils ne pourront plus faire ce qu’ils veulent ici », conclut Pablo, l’un des nouveaux squatteurs.

A Lamartine, l’équation s’annonce en effet compliquée pour l’université.


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