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A Bordeaux, Le Carillon sonne l’heure de la solidarité entre commerçants et SDF

En avril 2018, Le Carillon ouvrait une antenne à Bordeaux. Objectif de ce réseau solidaire : faciliter le quotidien des sans abris à travers des petits services rendus par les commerçants et changer le regard porté sur les personnes à la rue en recréant du lien entre concitoyens. 47 enseignes ont déjà rejoint l’association qui envisage de s’étendre vers le quartier de la gare.

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A Bordeaux, Le Carillon sonne l’heure de la solidarité entre commerçants et SDF

Pictogrammes blancs sur fond bleu symbolisant un téléphone, une enveloppe, des toilettes, un couteau suisse… Si vous les avez vus sur la vitrine d’un commerçant bordelais, alors c’est que celui-ci fait partie du réseau Le Carillon.

Créé en 2015 à l’initiative de Louis-Xavier Leca, il s’agit du premier projet de l’association La Cloche qui mène des actions d’inclusion pour les personnes sans domicile :

« En échangeant avec les commerçants de mon quartier, je me suis rendu compte que certains étaient prêts à offrir des petits services à ceux dans le besoin », explique ce dernier.

C’est ainsi que le premier collectif de commerçants proposant des micro-services est né dans le 11e arrondissement de Paris. Aujourd’hui, Le Carillon est implanté dans huit villes en France, dont Bordeaux depuis le mois d’avril 2018, alors que le nombre de sans-abris ne cesse d’augmenter en Gironde.

Le fonctionnement est simple : les commerçants partenaires signalent par le biais de vignettes collées sur leur devanture les services accessibles à tous et gratuitement. Une vingtaine ont été identifiés, parmi lesquels : prendre un verre d’eau, utiliser les toilettes, réchauffer un plat, récupérer les invendus, accéder à une trousse de soins de premier secours, faire garder ses affaires pour une journée, affranchir une lettre ou tout simplement discuter.

Les pictogrammes permettant d’identifier les commerces membres du réseau (LD/Rue89 Bordeaux)

Café en attente

Certains commerçants peuvent aller plus loin en proposant des produits solidaires « suspendus ». Ce sont souvent des cafés ou des repas qui ont été payés par des clients mais aussi des rendez-vous offerts par un coiffeur et « mis en attente pour votre (leur) voisin sans domicile ».

Cette personne peut accéder à un produit ou service en échange d’un bon, directement épinglé dans le commerce en question, ou qui lui aura été remis par des bénévoles de l’association lors d’une maraude.

« Quand on vit dans la rue, on a tendance à se refermer et ne plus avoir confiance en soi, raconte Sylvie, bénévole, qui a aussi connu l’errance. Avec ces petits gestes simples, c’est une façon de leur redonner de l’espoir, de leur dire ‘’non, vous n’êtes pas seuls’’ et aussi de changer le regard que les gens peuvent avoir sur ces personnes. Toutes ces actions se sont des prétextes pour recréer du lien social. Les maraudes, ce n’est pas une simple distribution d’objets avec un parcours à faire. On va à la rencontre des gens, on discute 10, 15 minutes, parfois plus, selon leur envie et leur besoin. »

Parmi la quinzaine de bénévoles, certains ont connu la rue, d’autres pas, quelques uns y vivent encore aujourd’hui, mais pour tous, s’investir au sein du Carillon sonnait comme une évidence. Pour Leslie Rialhe, qui co-dirige l’antenne de Bordeaux avec Mathilde Beauvois, la force de ce réseau tient justement dans le fait de pouvoir recréer du lien avec les individus isolés en leur permettant de s’impliquer dans des projets :

« Dans mon engagement associatif je me suis rendu compte que c’était souvent des relations verticales avec les sans domicile, aidant – aidé. Et là on crée des relations horizontales, on est dans la rencontre, le partage, on crée des choses tous ensemble. C’est comme ça qu’on remobilise ! »

Rendez-vous mensuels

Tombola, soupe impopulaire, pique-nique solidaire : toutes les occasions sont bonnes pour se retrouver entre commerçants, habitants et sans abris. Ce mois-ci, le rendez vous est donné à La Zone du Dehors (cours Victor-Hugo) pour « Les livres vivants du Carillon ».

Après la lecture d’un ouvrage sur le sans abrisme, les bénévoles raconteront leurs histoires et anecdotes à qui voudra bien les consulter. D’ici quelques mois, un match de rugby solidaire devrait être organisé avec les joueurs d’Ovale Citoyen, partenaire du Carillon.

Soupe impopulaire : les carillonneurs se mettent aux fourneaux pour les habitants du quartier. (Photo Le Carillon)

A Bordeaux, sur environ 400 commerçants sollicités, seulement 47 ont répondu à l’appel. Parmi eux, certains acceptaient déjà de répondre à certains besoins vitaux pas toujours facile d’accès pour les SDF, en ouvrant la porte de leurs toilettes ou en servant un verre d’eau, d’autres ont été encouragés par Le Carillon.

« Beaucoup de ceux qui ont refusés de nous rejoindre se basaient sur des préjugés, pour eux ’’la présence d’un SDF donnerait un coup à leur image’’, révèle Julien, un bénévole. Au moins ceux qui sont engagés sont volontaires et accueilleront les bénéficiaires chaleureusement. On reste flexible en leur proposant, s’ils le souhaitent, de déterminer un créneau horaire pour les recevoir. »

La liste des commerçants du réseau est transmise aux personnes sans domicile lors des permanences, tous les jeudis au Tchaï Bar (rue du Mirail) de 15h à 17h ou via les partenaires sociaux (SAMU Social, Secours Populaire, Réseau Paul Bert, Ovale Citoyen etc.). C’est ainsi que Bernard, en est devenu l’un des premiers bénévoles ambassadeurs :

« J’ai découvert par hasard Le Carillon alors que j’allais au Secours Catholique pour prendre une douche. Ça me fait plaisir d’être dans cette association parce que ça me permet de bouger, de rencontrer des gens. À la soirée « Révèle tes talents », j’ai montré que j’étais ventriloque et depuis je partage cette activité artistique avec Dominique, un autre bénévole. »

Des débuts timides

Bien que l’initiative soit lancée depuis dix mois dans la capitale girondine, les commerçants partenaires n’ont pas rencontré beaucoup de bénéficiaires. François, engagé depuis le mois de novembre, « n’a vu personne passer » dans son magasin Herbéo de la rue des Ayres. L’herboriste, qui offre mensuellement cinq soins naturels contre les petits soucis du quotidien, tente de positiver :

« Si personne n’est venu c’est surement qu’ils n’ont pas eu de douleurs. »

Même son de cloche chez Pierre-Louis qui offre 20 cafés suspendus par mois dans son établissement Petit Pierre situé à coté de la porte de Bourgogne :

« Pour l’instant personne ne s’est présenté par l’intermédiaire du Carillon. L’avantage c’est que je suis dans un quartier populaire qui est aussi un lieu de transit, donc je croise souvent des gens dans le besoin. S’ils viennent ici, je leur offre un bon pour un café sinon je vais directement à leur rencontre et je leur apporte une viennoiserie, lorsqu’il m’en reste. »

C’est certainement le Wanted Café, lieu de rencontre entre café-restaurant-coworking du quartier des Capucins, qui a reçu le plus de visites. Depuis cinq mois, 50 cafés et 20 repas suspendus ont été consommés et aujourd’hui l’ardoise accrochée dans la vitrine affiche 43 cafés et quatre repas en attente.

Une démarche pas instantanée

Bien qu’il soit difficile de déterminer le nombre de bénéficiaires du réseau, les bénévoles les estiment à une cinquantaine. Il est tout aussi compliqué de dénombrer la quantité de produits mis en attente : « il y a plus de dons que de bénéficiaires », « quand une personne paie un bon, généralement une autre entend et en achète un aussi » se sont réjouis plusieurs commerçants.

Vendus à un tarif solidaire chez les commerçants partenaires, des « bons » sont à disposition des nécessiteux (LD/Rue89 Bordeaux)

Pour faciliter la démarche, certains carillonneurs accompagnent les personnes sans abri à aller consommer solidaire. Généralement, la démarche n’est pas instantanée et nécessite un travail de plusieurs semaines pour faire tomber les appréhensions :

«  Des fois on craint le regard des autres, il peut y avoir de la réticence, témoigne Antho. Certains, comme moi, font des stages de réinsertion ou cherchent du travail et ne sont pas toujours disponibles aux heures d’ouverture des commerces. J’en connais qui, sans ça, n’auraient pas de quoi manger ou la possibilité d’aller aux toilettes. Il y a le coiffeur aussi, j’y vais la semaine prochaine d’ailleurs, parce que pour le boulot, les cheveux longs, ça le fait moyen ! »

Le Carillon pourrait retentir dans le quartier de la gare

Pour le moment, le réseau se déploie uniquement dans l’hyper centre de Bordeaux : de la Victoire au cours de l’Intendance, en passant par la rue Sainte-Catherine et jusqu’aux quais de la Garonne. Les carillonneurs souhaitent d’abord consolider leur présence dans le secteur en sollicitant des commerçants plus variés notamment des pressing pour permettre aux sans abris de laver leur linge.

S’il venait à s’étendre, le réseau viserait plutôt du côté de la gare Saint-Jean. Maëva, stagiaire au Carillon, réalise en ce moment un diagnostic de territoire pour évaluer l’idée :

« Il y a déjà beaucoup d’associations qui sont actives par là bas. C’est pas le secteur le plus facile, il y a beaucoup de passage : des gens qui viennent d’arriver, qui ne connaissent pas Bordeaux et qui cherchent un endroit pour dormir seulement une nuit. L’été il y a surtout des mineurs. »

Pour continuer à se développer, Le Carillon, compte particulièrement sur les dons des particuliers et micro-dons des entreprises. La semaine dernière, une convention a été signée avec l’agence immobilière Stéphane Plaza à Bègles : à chaque estimation immobilière, 5€ seront reversés au réseau bordelais. Une première pour celui-ci qui dépend aujourd’hui des subventions publiques et qui souhaiterait se tourner davantage vers des financeurs privés.


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