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« Dans l’ombre du brasier » d’Hervé Le Corre, le polar au cœur de l’Histoire

Revoilà Pujols, le tueur en série de l’auteur bordelais, encore plus terrifiant en 1871, durant l’épisode final de la Commune de Paris.

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« Dans l’ombre du brasier » d’Hervé Le Corre, le polar au cœur de l’Histoire

(DR)

Le dernier livre d’Hervé Le Corre, « Dans l’ombre du brasier », vient de sortir aux éditions Rivages et, déjà, les critiques sont unanimes pour en saluer la réussite. Je m’en voudrais de faire entendre une voix discordante : c’est un tout grand bouquin. Il se passe durant la Semaine sanglante, l’épisode final de la Commune de Paris sur lequel on passe généralement bien vite (sauf pour répéter le mythe des « pétroleuses »), crime fondateur de la Troisième République, jamais assumé – qu’on songe au nombre d’artères dans nos villes dédiés à Thiers !

Les exécutions sommaires qui marquèrent la reconquête de Paris par l’armée versaillaise sont difficiles à chiffrer – entre 10 et 20000, selon toute vraisemblance. Et c’est sans compter avec les procès, les emprisonnements, les bannissements.

Tel est le contexte choisi par Le Corre pour ce qui se situe dans la suite de « L’Homme aux lèvres de saphir ». Le trait d’union entre les deux livres est Pujols, le tueur en série qui, dans « L’Homme aux lèvres de saphir », suivait à la lettre l’itinéraire criminel de Maldoror – il n’a pas baissé sa cadence !

Violence

Il y a bien une intrigue policière. Des jeunes filles disparaissent et tombent sous la coupe d’un photographe porno et de Pujols aidé du conducteur de fiacre Clovis Landier, et, parmi elles, Caroline à la recherche de laquelle Nicolas, son amant, et Antoine chargé par la Commune des affaires de police vont se lancer, par des voies différentes et sans jamais se croiser. Les obstacles sont nombreux dans une ville où tout s’effondre.

Mais cette intrigue n’est qu’un prétexte. Ce qui intéresse Le Corre, au premier chef, c’est de nous immerger dans ce petit peuple parisien qui combat avec l’énergie du désespoir contre les lignards, contre la désorganisation militaire des Gardes nationaux et contre ses propres peurs. Ce que les Prussiens n’avaient pas osé faire, les Versaillais l’accomplissent : ce bombardement de Paris, ce pilonnage sans trêve des fortifications d’abord, des barricades ensuite jusqu’au nettoyage par le feu et le fer de cette racaille qui a osé faire trembler l’ordre bourgeois.

La peinture que Le Corre fait de ces combats de la dernière chance, des immeubles en feu, éventrés, décapités, de l’inégalité entre les armes des uns et des autres est hallucinante – on ressent physiquement l’impact des balles, les baïonnettes qui s’enfoncent dans la chair, les blessures ouvertes, les crânes écrasés, les jambes arrachées, la chaleur, la soif, les odeurs de sueur, d’excréments et de gangrène. L’ultra-réalisme des descriptions de Le Corre a valeur poétique et politique tout à la fois – il n’est jamais trop tard pour rappeler ce que les Versaillais de tout crin et de toute époque sont capables de faire pour maintenir leur ordre. Les crimes sexuels ne sont qu’une métaphore de cette violence fondamentale.

La rue de Rivoli après les combats et les incendies de la Commune (cc Domaine public, Wikipedia)

Questions

Comme toujours dans le hurlement des combats, s’ouvrent des moments de paix et de pur bonheur. Car il faisait beau en ce printemps 71, le parfum des lilas pouvait éclipser celui de la poudre, la Seine passait sous les ponts toujours aussi belle et il y avait des ciels couleur de paix et d’espérance. Entre deux assauts, on entend des rires et de la musique, des enfants jouent.

Et puis l’amour, et puis l’amitié qui viennent prolonger et justifier la douleur des rêves brisés. L’amour de Nicolas et de Caroline, celui d’Antoine pour sa femme et ses enfants qu’il ne reverra pas. L’amitié entre Nicolas, Joseph dit le Rouge et Adrien – la mort d’Adrien est une des pages les plus bouleversantes du livre. Et ces amours, ces amitiés ont une dimension réellement lustrale : c’est le cas pour Clovis, le complice de Pujols ; mais aussi pour ces autres personnages couverts de boue, de sang, de plâtre qui ont un désir quasi compulsif de se laver.

Paris brûle. Les espoirs qui ont fait se lever des milliers d’hommes et de femmes pour bâtir une société plus juste, qui leur ont fait accepter de mourir pour cette cause qui les dépassait, ont-ils été à jamais réduits en cendres ? Attendent-ils qu’un nouveau vent de liberté les rallument ? Le livre de Le Corre aide à se poser ces questions.

« Faut-il donc que le rêve que font ensemble les prolétaires d’Europe soit à ce point puissant qu’il transporte des cœurs vaillants par-delà fleuves et monts, abandonnant ceux qui leur sont chers ? » (p.117)

Roman noir ? Certains le diront et qu’il y a des lois du genre. Je m’en moque personnellement. De la littérature, oui, de la belle littérature. De celle qui donne à voir et à penser.

Rencontre avec Hervé Le Corre
La Machine à Lire, place du Parlement à Bordeaux
Jeudi 31 janvier à 18 h 30
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#Hervé Le Corre

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