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« Sacrifiés de la République », les enfants d’Eysines secouent encore la Gironde

Après la diffusion du documentaire choc de Pièces à conviction, mettant à nouveau en cause le traitement des enfants au CDEF d’Eysines, le département de la Gironde assure que les agents identifiés par le reportage ont été renvoyés. Le parquet a ouvert une enquête.

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« Sacrifiés de la République », les enfants d’Eysines secouent encore la Gironde

« C’était un reportage éprouvant », a réagi ce jeudi Jean-Luc Gleyze, président du conseil départemental de la Gironde. « Nous avons vu des séquences choquantes et insupportables car elles traduisent le mal-être des enfants et la situation de violence » dans lequel ils vivent au CDEF (centre départemental de l’enfance et de la famille), géré par le département.

Ces images ont été tournées fin août en caméra cachée dans le pavillon des 9-11 ans, un des plus dures de ce foyer de 548 places. Et elles sont en effet au cœur du documentaire « Enfants placés : les sacrifiés de la République », diffusé ce mercredi sur France3 dans le cadre de l’émission Pièces à conviction.

Elles montrent les agressions verbales entre enfants et adultes, et surtout la « méthode forte  » employée par certains agents pour « maîtriser » les enfants, plaqués au sol un genou dans le dos ou frappés à coups de coussins et à moitié étouffés dans un canapé.

Dès le visionnage de ce film, en octobre dernier, « nous avons pris des mesures très rapidement », assure Jean-Luc Gleyze. « Nous avons identifié les personnes pour qu’elles ne travaillent plus au CDEF ». Le CDD d’un de ses agents n’a pas été renouvelé et l’employeur d’une autre personne, une société prestataire du centre, a été alerté et a cessé sa collaboration.

« Failles du système »

Le département de la Gironde indique par ailleurs avoir saisi le parquet et une enquête est en cours pour les faits de violence envers les enfants.

« Mais nous n’avons pu agir que deux mois après les faits, le journaliste aurait pu appeler le 119 pour signaler que des personnes étaient en danger », regrette toutefois au passage Jean-Luc Gleyze, sans toutefois mettre en cause le travail de Capa, l’agence de presse qui a produit ce documentaire et démentant les rumeurs de plainte contre les journalistes.

Au contraire : « Cela nous permet de mesurer les failles du système et les corriger ». Celles-ci sont pourtant connues de longue date. Le journaliste qui a mené l’enquête sur l’Aide sociale à l’enfance (ASE), Sylvain Louvet, s’est ainsi intéressé au CDEF d’Eysines grâce à la lettre ouverte de salariés, qui avait déjà déclenché une vive polémique il y a deux ans.

Extrait du documentaire « Enfants placés : les sacrifiés de la République » (capture d’écran)

Ces lanceurs d’alerte avaient recensé « 190 évènements graves » entre 2016 et 2017 et révélé des documents confidentiels sur la situation de mineurs, ce qui leur avait valu d’être sanctionnés par leur direction pour manquement au devoir de réserve. Comment expliquer alors que le centre soit à nouveau dans la tourmente ?

« Nous n’avons pas découvert les problèmes en 2017. Dès 2016 nous étions sur le site avec Jean-Luc et nous savions, plaide Emmanuelle Ajon, vice-présidente en charge de la protection de l’enfance. Je comprends que pour des professionnels ce soit trop long, mais c’est faux de dire que nous n’avons rien fait ».

Victimes et bourreaux

Les élus relèvent ainsi l’augmentation importante des moyens consacrés à la protection de l’enfance – elle représente en 2019 un budget de 236 millions d’euros, en augmentation de 25% depuis 3 ans, permettant de suivre 7000 enfants en milieu ouvert, et autant placés dans des familles ou des maisons spécialisées.

Le président du département promet toutefois des « contrôles inopinés » dans ces structures, et pointe la particularité du CDEF, celle de proposer un « accueil inconditionnel », quel que soit le remplissage du foyer et le parcours des jeunes. « Soit ils sont accueillis là, soit ils repartent à la rue », précise Jean-Luc Gleyze.

Cela explique un des phénomènes les plus choquants relevés par Pièces à conviction : les enfants brutalisés ou violés retrouvent parfois au CDEF leurs bourreaux. Ils doivent partager leur quotidien avec eux, le temps qu’une autre solution d’accueil, en famille ou en foyer leur soit proposé.

« Les personnels sont angoissés, poursuit l’élu girondin. Ils voient revenir des enfants dont personne ne veut. Des enfants qui sont parfois devenus des agresseurs sexuels car ils ont eux-même subi des agressions sexuelles, qui sont rejetés par d’autres structures. La question essentielle, c’est que nous sommes confrontés à des problèmes de santé mentale de certains enfants pour lesquels nous n’avons pas de réponses adaptées à l’heure actuelle. »

« Exemples qui marchent »

Les départements n’ont en effet pas la compétence de la santé et donc pas les moyens de recruter du personnel médical, précise Jean-Luc Gleyze :

« Nous avions envisagé de créer une structure mais en 2016, l’Agence régionale de la santé (dépendant de l’Etat, NDLR) n’a pas fourni les pédopsychiatres qui auraient pu outiller la structure ».

Après avoir sollicité à plusieurs reprises et en vain la ministre de la Santé, la perspective de la diffusion du documentaire de France3 (et la nomination de Christelle Dubos comme secrétaire d’Etat) ont peut-être permis de faire bouger les lignes. Depuis décembre dernier, une réunion mensuelle tripartite (département, ARS, protection judiciaire de la jeunesse) examine au cas par cas les situations individuelles les plus problématiques.

Le département de la Gironde affirme par ailleurs sa volonté d’en finir avec les structures géantes, en multipliant les petites unités insérées en ville. Il évoque « l’ouverture réussie du Pavillon des 6 Papillons », qui accueille 6 enfants dans une maison à Talence, avec des accompagnateurs sociaux et sanitaires ou encore le projet d’ouvrir près de Libourne un « Village des fratries », permettant de ne pas séparer les frères et sœurs.  Des « exemples qui marchent » et peuvent être dupliqués partout en France, selon Jean-Luc Gleyze.


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