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Fabien Robert : « La liberté est la responsabilité de chacun »

Pour inaugurer notre festival off « Liberté(s) ça presse », Fabien Robert, premier adjoint à la mairie de Bordeaux en charge de la culture et du patrimoine, a répondu à nos questions sur le sens de la liberté dans le contexte social actuel et sur les menaces qui pèsent sur celle-ci dans la presse.

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Fabien Robert : « La liberté est la responsabilité de chacun »

Diverses déclarations du président Emmanuel Macron et celles de différents responsables politiques comme Jean-Luc Mélenchon, ont provoqué une défiance croissante vis-à-vis des journalistes. Parallèlement, la convocation par la Direction générale de la Sécurité intérieure (DGSI) de journalistes professionnels nourrit l’inquiétude au sein de la profession. La loi pour lutter contre les Fake News soulève beaucoup de questions, tout comme la révision annoncée de la loi de 1881.

Pourtant, la liberté de la presse est peu présente dans la saison culturelle Liberté ! de la Ville de Bordeaux, qui commence aujourd’hui. Questions à Fabien Robert, premier adjoint au maire en charge de la culture.

Fabien Robert, Premier adjoint de la Ville de Bordeaux (SB/Rue89 Bordeaux)

Liberté

Rue89 Bordeaux : Quel qualificatif donneriez-vous pour le terme liberté ?

Fabien Robert : C’est très compliqué de définir le mot liberté par un seul mot. C’est un droit et aussi un devoir. Simplement on vit une période où la question de la liberté est vécue comme un droit. C’est précisément une période individualiste. On est passé de l’homme à l’individu, avec tout ce que ça implique d’égoïsme. La liberté est devenue un droit.

A d’autres périodes, après la guerre notamment, on a vécu la liberté comme une chance, comme une responsabilité. Si je dois choisir un mot pour liberté, ce serait responsabilité. Effectivement, la liberté n’est pas éternelle et n’est jamais acquise. Elle impose des responsabilités pour être effective. Elle est la responsabilité de chacun.

Pensez-vous que tous les citoyens français aient conscience de cette responsabilité ?

Non, je ne crois pas. Je crois qu’on manque de recul si bien qu’on ne se rend plus compte que le régime de la démocratie libérale, au sens le plus noble du terme, pas au sens économique, est un régime extrêmement minoritaire à l’échelle temporelle de l’histoire de notre pays.

« La démocratie autoritaire est aux portes de la France »

Nous n’avons pas toujours vécu en démocratie. Quand on s’est révolté en 1789, on a traversé un siècle entre Restauration, République, Révolution, pour arriver à une stabilité avec la IIIe République. On a l’impression que ceci est acquis définitivement. Absolument pas. La démocratie autoritaire et sécuritaire est aux portes de la France.

Certes, la France est plus préservée que certains pays de l’Est parce qu’on a pas la même histoire, mais on n’est pas à l’abri. Non, tous les citoyens n’ont pas conscience de la chance et de la responsabilité que nous avons d’être libres.

Vous admettez donc que la liberté est menacée ?

Oui elle l’est. Nos libertés publiques peuvent s’effriter sans que l’on s’en rende réellement compte. Sous l’ère Sarkozy, il y avait eu le projet très contesté de fichier de renseignements Edvige. On a encore aujourd’hui des possibilités de dérives, non pas radicales, je dirais presque indolores. Sur lesquelles il faut rester vigilants. En montant cette saison culturelle, j’ai pris le pari de choisir ce thème il y a deux ans. Je ne pensais pas qu’il serait aujourd’hui d’une actualité aussi brûlante.

Vous reconnaissez que le titre Liberté porte à confusion dans un contexte social secoué. N’est ce pas ambigu de choisir ce titre ?

Je pourrais comprendre qu’il soit ambigu s’il n’y avait pas le point d’exclamation. Il a toute son importance. Il est là depuis le début, on ne l’a pas ajouté en cours de route. Dès lors que la ville et la métropole choisissent le thème Liberté !, qui est, d’une certaine manière, un thème assez radical, quand on voit les spectacles comme Milo Rau, quand on donne les clefs d’un temple protestant à Gonzalo Borondo, et je pourrais en citer d’autres… on est dans une forme de radicalité assumée.

Ça aurait été inquiétant si on avait dit : « Bon Dieu, Bordeaux, Montesquieu, Montaigne… tout va bien, on est sur les terres de liberté… » Non, ce n’est pas ce qu’on dit. Je pense que ce thème n’est pas ambigu. Il correspond à un besoin d’expression des artistes et de la population. Je le répète, ce thème renvoie aussi à l’idée de la menace. Ce n’est pas du tout un satisfecit.

Gilets jaunes

Avez-vous tiré des leçons du mouvement des Gilets jaunes sur la liberté d’expression ?

Oui. En tout cas sur le désir de participation citoyenne. C’est ce qui a guidé mon engagement comme maire de quartier. C’est quelque chose que je pratique. Sans remettre en cause la démocratie représentative, il faut quand même des élus pour arbitrer. Mais il faut qu’on aille plus loin dans la démocratie participative.

Des Gilets jaunes, je retiens deux messages : le premier est le besoin de co-construire la politique publique d’une manière beaucoup plus forte ; le deuxième pointe la fracture territoriale et le fait que la politique d’aménagement du territoire est un échec depuis 15 ans. Aujourd’hui, on se rend compte que si les grandes métropoles ne prennent pas en charge l’aménagement qui va au-delà de leur limites, ce qui n’est pas de leur responsabilité, ça ne fonctionnera pas.

Thibaud Moritz face à la charge des forces de l’ordre (photo Ugo Amez)

Concernant la liberté d’expression des Gilets jaunes, je n’ai pas l’impression qu’elle a été bridée. Le mouvement a pu s’exprimer. La liberté de manifester a été bridée quand on a vu se dérouler sous nos yeux de la casse et de la violence, pas forcément par ceux qui voulaient s’exprimer, mais par des casseurs qui se mêlaient au mouvement. Dès lors que les Gilets jaunes décidaient de manifester, les casseurs venaient. On a jamais pu trier les premiers des deuxièmes. Le mouvement a dû être cadré et encadré. Il y a eu des violences parce qu’on ne pouvait pas laisser piller les centres-villes.

Est-ce qu’il ne fallait pas une réponse plus rapide aux revendications des Gilets jaunes avant qu’ils ne soient rejoints par des casseurs ?

Oui, la réponse du gouvernement a été tardive, mais rien ne justifie la violence. Oui, on a mis du temps à prendre en compte le mouvement.

Il faut aussi reconnaître que le Grand débat a été quelque chose d’inédit. Quand j’entends dire que c’était de la manipulation, tout était joué d’avance, c’est faux. Quand le président de la République, le gouvernement, les préfectures, les sous-préfectures, et les maires, décident d’organiser des débats, c’est la traduction d’une démocratie participative à l’échelle nationale. Et je suis d’avis que ce débat puisse exister tous les ans ou tous les deux ans pour permettre au président de la république et au gouvernement de prendre la température du pays.

« On ne peut pas faire un programme avec ces revendications »

Mais finalement le Grand débat a accouché d’une souris… 

Je ne suis pas d’accord. Le grand débat a permis de faire dire des choses. Il faut néanmoins s’attaquer aux choses dites comme aux choses non-dites.

Suite au Grand débat, le gouvernement a fini par augmenter le Smic de 100 euros (via la prime d’activité, NDLR) et baisser les impôts (sur le revenu, NDLR). Quel gouvernement l’avait fait avant ?

Oui, mais les revendications des Gilets jaunes sont nombreuses…

Vous les avez lues comme moi. On ne peut pas faire un programme avec ces revendications. Mises ensemble, ça ne fonctionne pas du tout. Le gouvernement a donc fait des choix qui ont permis, selon moi, de sortir de la crise intense. Le gouvernement doit continuer à traiter les questions qu’on n’a pas traitées en 30 ans.

Presse

Vous soutenez Emmanuel Macron et son gouvernement actuel. Partagez-vous sa remarque quand il dit que « la presse ne recherche plus la vérité » ?

Non. Parce je ne généralise jamais, ou rarement. Quand j’entends que les politiques sont tous pourris, ça m’agace aussi. Je ne suis pas d’accord avec cette affirmation. Je pense néanmoins que la presse doit s’interroger parce qu’elle a une part de responsabilité, comme tous les détenteurs d’une partie du pouvoir. La presse est un pouvoir, elle a donc des responsabilités. Elle a aussi une responsabilité dans ce contexte.

C’est difficile de le reconnaître, mais il y a parfois des impératifs économiques qui poussent les médias à adopter des manières douteuses pour faire le buzz. Je pense que ça concourt au contexte de dégradation de leur image. Mais je crois que la plupart des journalistes aujourd’hui recherchent la vérité.

Vous dites que la presse est un pouvoir. Vous approuvez Emmanuel Macron lorsqu’il évoque « un pouvoir médiatique » ?

J’ai dit que les médias ont un pouvoir. Mais c’est normal, c’est démocratique, c’est républicain. Vous avez un pouvoir, ou plutôt un contre-pouvoir. Mais la presse n’est pas exonérée des dérives de la société dans laquelle nous vivons.

Les journalistes sont donc des justiciables comme les autres ?

Oui. Comme tous les hommes politiques.

Les convocations par la DGSI ces dernières semaines de neuf professionnels des médias inquiètent la profession. Et vous ?

Je ne connais pas le fond de l’affaire. Mais j’ai l’impression qu’on pense que ces convocations sont des convocations politiques, pour des journalistes qui n’auraient pas bien traité la majorité présidentielle. Je regrette qu’ils n’y ait pas d’autres éléments qui objectivent le contexte.

Ma première réaction était : il y a un problème dans la répartition des pouvoirs en France. Ça m’a interrogé.

Ça ne vous a pas inquiété ?

Je n’ai pas dit que ça ne m’a pas inquiété. J’ai dit ça m’a interrogé.

Mais moi aussi j’ai aussi une question à vous poser. Comment réagissez-vous à l’arrestation de Gaspard Glanz ?

C’est-à-dire ?

Son arrestation a provoqué beaucoup d’indignation mais quand les choses se sont décantées, on s’est rendu compte qu’il n’était pas journaliste. Il n’a pas sa carte de presse.

Le statut de journaliste en France ne se résume pas à une carte de presse (NDLR : pour en bénéficier, son détenteur doit justifier que la majorité de ses revenus provient d’une activité salariée de journaliste).

Si dans ce cas, la carte de presse ne permet pas d’identifier la profession, comment fait-on pour protéger le journaliste et ses sources ? Et ne pas permettre à n’importe qui demain de ne pas bénéficier de ces mêmes protections ? Peut-être qu’il faut se poser des questions de statut pour mieux protéger les journalistes, pour qu’on n’arrive pas à des confusions.

Le New York Times a supprimé les dessins de presse à cause d’un dessin polémique. Est-ce que pour éviter toute polémique on doit porter atteinte à la caricature de presse ?

C’est une reculade. C’est un renoncement extrêmement troublant de la part du New York Times. Quand je disais tout à l’heure que la liberté peut rapidement s’effriter, c’est un très bon exemple.

Le dessin de presse a ceci de fort, et donc de dérangeant, il parle à plus de monde que l’écrit et il parle plus fort. C’est brutal, cela interpelle. Nous avons à Bordeaux des illustrateurs qui en sont l’exemple. Prenez Urbs, pour qui j’ai beaucoup d’admiration, il n’y va pas avec le dos de la cuillère.

Hommage à Charlie Hebdo par Simon Mitteault

Est-ce que la presse à Bordeaux est de qualité et assez diversifiée ?

Nous avons la chance d’avoir un quotidien régional qui accorde depuis longtemps une place importante à la culture. Et ça rejaillit sur toute la culture d’entreprise de Sud Ouest. On a la chance d’avoir ce titre et non pas certains titres du Sud Est de la France que je ne nommerai pas.

Il y a une implication des médias bordelais dans la vie de la cité qui est très forte. Des journalistes peuvent se retrouver par exemple membre d’un jury. C’est une manière de dire qu’on se sent responsable de ce qui se passe sur le territoire. Ce sont des actions qui servent l’intérêt général.

Oui j’ai plutôt l’impression qu’il y a une bonne presse d’actualité, une presse plurielle et diversifiée, avec des contenus de qualité. Je ne suis pas en train de dire que tout va bien. Je sais que pour certains la question du modèle économique est difficile…

Vous avez déjà dit « La presse est libre, moi aussi ». Comment un élu peut être libre ? Et quelles sont les limites de sa liberté ?

Un élu est libre s’il n’est pas dépendant de la politique. Il est libre quand la politique n’est pas son métier. S’il commence à faire de la politique dans l’idée d’un plan de carrière, il est exposé à vouloir arriver à ses fins par tous les moyens ; y compris changer d’idées, changer de parti politique.

Moi j’enseigne depuis 11 ans et je continue à enseigner (il dirige un master d’économie à l’EFAP, école de communication, NDLR). Ma liberté, c’est de pouvoir faire autre chose que de la politique demain. Je ne dis pas que c’est facile. Mais je sais que demain, je pourrais avoir à quitter mon bureau en une demi heure. Cependant, on ne peut pas faire la politique à moitié, il faut s’engager et y aller à fond.

Concernant les limites, un élu ne peut pas tout dire. On est suivi et on est des exemples. J’en ai beaucoup voulu à Nicolas Sarkozy d’avoir sorti des choses comme « casse toi pauvre con ». Il a libéré la parole politique dans le mauvais sens du terme.

Par ailleurs, nous devons nous élus pouvoir dire, exprimer et critiquer sans limite. Je me réfère à mon expérience fort désagréable lorsque Robert Ménard m’a attaqué en diffamation. J’ai découvert, heureusement, qu’en France nous avons une jurisprudence qui considère que le débat politique ne pouvait pas être traité avec la même sensibilité juridique que d’autres débats. On considère que les politiques sont dans le champ du débat d’idées. Si on considère la diffamation en politique comme dans d’autres domaines, alors le débat politique sera vidé de toute prise de risque, de toute réaction et, d’une certaine manière, de tout débat de fond.


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