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Un revenu universel d’activité pour « trier les pauvres »

Alors que le gouvernement vient de lancer la concertation sur un « revenu universel d’activité », Timothée Duverger, maître de conférences associé à Sciences Po Bordeaux, dénonce la « logique libérale » d’un projet visant « à remplacer la pauvreté « oisive » par la pauvreté « laborieuse » ». L’auteur de « L’invention du revenu de base, la fabrique d’une utopie démocratique » (Le Bord de l’eau, 2018) plaide toujours pour l’expérimentation d’une allocation automatique, ouverte aux jeunes, et sans contrepartie.

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Un revenu universel d’activité pour « trier les pauvres »

Le gouvernement a donné le coup d’envoi de la concertation sur le « revenu universel d’activité » (RUA) le 3 juin. Objet flou, sa seule dénomination mérite que l’on s’y attarde pour essayer d’en saisir les contours.

Revenu d’abord. Alors que l’été dernier le Président de la République dénonçait le « pognon de dingue » mis dans les prestations sociales pour une efficacité jugée limitée, il a décidé de mener une réforme visant à rassembler les prestations sociales dans une allocation unique. C’était bien sûr oublier que l’effort pour lutter contre la pauvreté ne représente que 2,6% du PIB mais parvient à réduire la pauvreté de 24% à 13,6%, ce qui fait de la France l’un des pays les plus performants d’Europe.

Universel ensuite. La terminologie, empruntée au projet de Benoit Hamon, est ici clairement dévoyée. D’universel, ce revenu n’a que le nom. Sous condition de ressources, il n’est pas certain qu’il soit versé automatiquement et, surtout, la condition de recherche d’emploi sera durcie.

« Trier les pauvres »

Ce qui nous amène enfin à l’activité. Car si le revenu universel de Benoit Hamon préservait l’existence des allocataires, celui d’Emmanuel Macron prévoit de les ramener à l’activité. Entendez l’emploi. Qu’importe la qualité de celui-ci, les conditions de travail ou le niveau de rémunération. Quiconque refusera plus de deux offres d’emploi dites raisonnables en sera radié.

Le RUA est donc une mesure de simplification administrative, dont le principal objectif est la rationalisation des aides sociales pour inciter financièrement au retour à l’emploi. C’est une aide ciblée sur les populations pauvres qui, selon une logique libérale, vise à remplacer la pauvreté « oisive » par la pauvreté « laborieuse », cela en moralisant les allocataires renvoyés à leur responsabilité individuelle. À travers ce gouvernement moral, il s’agit de trier les pauvres de « bonne volonté » et les pauvres à sanctionner. À charge de la sorte pour l’aide sociale de servir d’amortisseur au marché du travail.

Au-delà de cette philosophie générale, le diable se trouve comme souvent dans les détails. Le gouvernement a d’emblée posé la contrainte d’un budget constant. Or il annonce dans le même temps vouloir réduire le non recours aux aides – on estime que 35% des personnes éligibles au revenu de solidarité active (RSA) n’y accèdent pas.

3,55 millions de perdants

C’est la quadrature du cercle. Comment peut-on réduire le non recours – c’est-à-dire augmenter le nombre d’allocataires – à budget constant ? Et c’est sans compter les nombreux perdants issus de la seule fusion de prestations sociales aux règles de calcul aujourd’hui différentes. Les premiers chiffrages réalisés par l’actuel rapporteur de la concertation, Fabrice Lenglart, estiment à 3,55 millions le nombre de foyers perdants.

D’autres questions vont également se poser. La fusion des aides personnelles au logement (APL) ne cache-t-elle pas la volonté d’y faire à nouveau des coupes sombres ? Leur appliquer une condition de recherche d’emploi ne revient-il pas à remettre en cause le droit au logement ? Cette seconde question se pose également pour les personnes touchant l’allocation aux adultes handicapés (AAH), dont l’accès à l’emploi est pourtant plus difficile, et plus encore pour les personnes au minimum vieillesse, qui sont à la retraite…

Droit à l’expérimentation

On comprend mieux pourquoi le gouvernement, s’il compte faire voter la loi en 2020, n’envisage son application qu’en 2023, après l’élection présidentielle. Cela ouvre en tout cas un espace pour défendre le droit à l’expérimentation locale de solutions alternatives.

La proposition de loi d’expérimentation d’un revenu de base des 18 départements emmenés par la Gironde, rejetée par la majorité En marche, prévoyait par exemple une allocation automatique, ouverte aux 18-24 ans et sans contrepartie. Elle créait ainsi un filet de sécurité pour tous ceux qui ne sont pas couverts par les minimas sociaux, les jeunes qui en sont injustement exclus bien qu’étant la catégorie d’âge la plus pauvre (un quart des jeunes vivent sous le seuil de pauvreté contre 13,6% pour l’ensemble de la population) et les personnes ne recourant pas à leurs droits.

S’il la concertation puis le débat parlementaire ne permettent pas d’infléchir l’orientation du RUA, il restera toujours les urnes lors de la prochaine élection présidentielle.


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