L’initiative Bienvenue a vu le jour en automne 2017 pour organiser des manifestations artistiques et culturelles, ainsi que des débats sur la thématique de l’accueil des réfugiés. D’abord sur la métropole bordelaise pour sa première édition en 2018, la deuxième édition s’est déroulée dans plusieurs lieux en Gironde.
Eric Chevance est membre de la collégiale du collectif Bienvenue, devenue association en 2019.
Rue89 Bordeaux : La question de l’accueil des réfugiés en France est souvent réduite aux chiffres. En 2018, 120000 réfugiés ont demandé l’asile en France. Ceux qui veulent semer le trouble évoquent l’équivalent d’une ville comme Rouen. Ceux qui veulent relativiser parlent de moins de 0,2% de la population française. Que pensez-vous de la logique des chiffres ?
Eric Chevance : La question qui se pose n’est pas tant le nombre des demandeurs d’asile en valeur absolue. Ce qu’il faut évaluer, c’est notre capacité à penser et à mettre en œuvre des politiques d’accueil à la fois juste, à la fois digne et à la fois pertinente ; notre capacité à évaluer finalement en quoi ces personnes peuvent ou pourraient enrichir notre pays.
Notre pays s’est construit avec différentes vagues d’immigration. Au XXe siècle, elles ont été souhaitées par la France parce qu’il fallait reconstruire après guerres. Et on a pu les intégrer dans les années 1980. On a pu les intégrer parce qu’il y avait la volonté de le faire.
Il s’agit donc d’une volonté politique d’accueillir, surtout en concertation avec le reste des pays européens pour une politique commune. Ainsi ces chiffres n’auront plus le sens qu’on veut leur donner aujourd’hui.
La politique française est-elle connue ? On peut rappeler, juste pour l’exemple, qu’elle a récemment refusé d’accueillir le navire en grande difficulté de Carola Rackete.
D’un côté, on a des déclarations, d’un autre, on a les faits. Chaque fois qu’on accueille une dizaine de migrants, la France se glorifie. En réalité, quand il y a une vraie décision à prendre, même symbolique, il n’y a plus personne.
On ne peut que s’interroger sur la politique de la France et la mettre en perspective avec la loi dite Asile et immigration qui a été votée l’année dernière. Celle-ci durcit clairement les conditions d’accueil. Les autorités veulent convaincre les personnes de ne pas venir en France. Alors que le gouvernement français se donne le droit de critiquer la politique de Matteo Salvini qui a décidé de fermer les frontières de l’Italie.
La politique de la France s’installe dans les esprits et dans les territoires. On se souvient des décisions de la maire de Calais en 2017 de ne pas fournir de l’eau et des repas aux migrants dans sa ville. Ce qui se passe là est symptomatique et significatif de la politique de non-accueil.
N’est-ce pas le règlement Dublin qui génère cette politique ?
C’est un des pires règlements qui a été mis en œuvre à l’échelle de l’Union européenne. Ça met en première ligne les pays en bordure de la Méditerranée. On pourrait imaginer que le règlement est une des raison de l’arrivée de l’extrême droite en Italie. L’Europe s’est totalement déchargée sur l’Italie et sur les autres pays à ses portes.
Sans oublier que ce règlement provoque l’errance comme l’a évoqué La Cimade. Il faut noter que pour un nombre de réfugiés, certains ont des contacts, des relais ou de la famille dans tel ou tel pays européen. Ces contacts pourraient les aider pour l’intégration, l’emploi et le logement. Ce qui permettrait de soulager les structures et de faire des économies.
Par ailleurs, ce règlement empêche les associations en charge de l’intégration de faire leur travail et d’avoir un réel suivi.
L’occasion d’évoquer les initiatives associatives ; que pouvez-vous nous en dire ?
Ces initiatives sont de plusieurs ordres. Il y a des associations investies dans l’accueil, l’intégration et l’apprentissage des personnes qui entrent dans le pays. Et il y a aussi les initiatives citoyennes.
Cédric Herou le dit : « je ne suis pas militant, j’ai vu des gens en grande difficulté autour de moi et j’ai décidé de les aider en les accueillant chez moi. » C’est plus qu’une initiative citoyenne, c’est quelque chose d’humain. C’est ça finalement, l’accueil est un devoir humain.
A la frontière italienne, l’initiative a été humaine et citoyenne avant d’être associative. Les habitants ont d’abord réagi parce qu’ils rencontraient des personnes démunies dans la rue. Ils ont tout naturellement ouvert leur portes. Et devant l’afflux de plus en plus important, ils se sont organisés et ont dû se mettre en association.
Le collectif Tous migrants est un collectif de montagnards. Ils ont dit de façon très claire, quand une personne est en péril dans la montagne, on va la sauver. On ne se pose pas la question de savoir qui elle est et d’où elle vient. Avec de telles volontés, on dit qu’à Briançon il n’y plus personne dans les rues.
Est-ce qu’un réseau existe entre les associations de plusieurs villes ?
Il commence à y avoir un réseau de solidarité. Cette année, le collectif Bienvenue a été invité pour participer aux Rencontres de la Haute Romanche. Nous avons rencontré des association des Hautes-Alpes. A Briançon par exemple, les arrivées sont quotidiennes depuis trois ans. Malgré la volonté de tous, il y a un véritable épuisement. Mais il ne peuvent pas s’arrêter. Certains ont vu leur vie se transformer par ce phénomène.
On savait ce qui se passait dans ces régions. On a bien vu les qui existaient d’une ville à l’autre. A Briançon, les migrants sont de passage. Bordeaux est parfois une destination finale. Cette mise en réseau permet un suivi qui a pu se consolider avec ces rencontres.
Un mot sur l’accueil des réfugiés à Bordeaux et sa région ?
Je ne sais pas quoi en dire. Ce que je sais c’est qu’il y a 2000 personnes à la rue dans la métropole, réfugiés ou pas, alors qu’il y a beaucoup de logements vides. Ce que je sais c’est qu’il y a un certain nombre de squats qui ont été évacués par la Préfecture.
Il y a de plus en plus de citoyens qui sont sensibilisés et qui sont convaincus qu’il faut faire quelque chose, et qui répondent parfois aux appels des associations pour des dons. On sent bien qu’au niveau de l’opinion publique, il y a une évolution. Celle-ci pourra peut-être faire plier les politiques.
Il y a des exemples au niveau national qui prouvent l’apport des migrants dans la vie locale et économique. Je peux citer l’exemple de Saint-Etienne-de-Baïgorry. Je peux aussi citer l’exemple d’un réfugié soudanais qui a été formé à l’agro-écologie et qui a réussi son intégration parce qu’on lui a donné sa chance.
Sur le plan local, on sait qu’on a besoin de saisonniers. Il y a donc des emplois pour ces réfugiés qui ne demandent qu’à travailler. C’est une initiative qui leur permettraient de s’intégrer et qui peut répondre à des besoins précis.
Chargement des commentaires…