
Effet boomerang pour Bordeaux Métropole : elle avait saisi le tribunal administratif pour homologuer l’accord de médiation conclu avec le groupement conduit par Fayat, qui réclamait une rallonge pour achever la construction du pont Simone-Veil. Le jugement rendu le 15 juillet dernier dénonce cette transaction « déséquilibrée » aux dépens de la métropole et des contribuables. La métropole fait appel, le chantier est à l’arrêt.
Le pont Simone-Veil avait déjà trois ans de retard dans la vue. A quand va être à nouveau repoussée la livraison du nouveau franchissement sur la Garonne entre Bègles et Floirac, initialement espéré pour 2020, puis 2023 ? Mystère. Car le chantier est à nouveau partiellement interrompu, pour une durée indéterminée. Motif : le 15 juillet dernier, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté l’homologation de l’accord entre la métropole et Razel-Bec, filiale de Fayat.
Cette transaction, conclue le 5 mars dernier à l’issue d’une procédure de médiation, devait mettre une fin au différent entre Bordeaux Métropole et le groupement en charge du chantier du pont, conduit par Razel-Bec. Ce dernier réclamait un délai supplémentaire, et surtout une rallonge de 18 millions d’euros (pour un budget initial de 70 millions), à cause de la « découverte », en novembre 2017, d’un phénomène naturel d’affouillement susceptible de perturber la construction des piles.
Perdre la face pour des piles
Razel-Bec estime alors que le procédé de construction souhaité par la Métropole, à l’issue d’une étude du bureau Egis, n’est pas le bon, et veut pouvoir poser des gabions, un enrochement protégeant le pont des courants du fleuve. Bordeaux Métropole refuse de payer, mais aussi d’attaquer Fayat en justice, afin d’éviter de trop retarder le chantier.
Un médiateur est désigné par le tribunal administratif de Bordeaux, et à l’issue de la procédure, un accord à l’amiable trouvé en décembre dernier, avec Alain Juppé encore à la manoeuvre. Le marché est rompu, ses mandataires se voient garanties le paiement de prestations payées ou à venir pour près de 40 millions d’euros, la métropole peut lancer un nouvel appel d’offre pour la construction de l’ouvrage d’art – auquel Fayat ne s’interdit pas de postuler…
Afin d’homologuer cette transaction, sécurité juridique pour elle et le groupement, la métropole la soumet au tribunal administratif. Patatras :
« Les concessions consenties par Bordeaux Métropole, d’une part, et le groupement attributaire, d’autre part, sont ainsi déséquilibrées et doivent être qualifiées de libéralité. La requête en homologation de Bordeaux Métropole doit être rejetée », conclut le jugement rendu le 15 juillet dernier.
Rejet de l’homologation de l’accord entre Bordeaux Métropole et Razel-Bec by Rue89_Bordeaux on Scribd
Sur la forme, estime le tribunal, la transaction « ne définit pas clairement la contestation à laquelle elle met fin » : son objet – « solder tout litige entre les parties dont le fait générateur est antérieur à la date du 18 décembre 2018″ -, est formulé de manière trop « générale et imprécise » et n’est ainsi « pas conforme aux dispositions de l’article 2048 du code civil ».
Libéralités
Sur le fond, le jugement dénonce d’abord le nouveau marché passé avec Baudin-Chateauneuf pour les travaux de la charpente métallique. Ce dernier s’élève en effet « à 16 622 352,56 euros alors que, selon l’annexe 4 de l’acte d’engagement du 28 juillet 2017, la part revenant à la société Baudin-Chateauneuf, qui était déjà en charge de la charpente métallique dans le marché initial, n’était que de 12 982 100 euros ». En outre, « ce nouveau marché est conclu en méconnaissance des obligations de publicité et de mise en concurrence qui s’imposent à Bordeaux Métropole et donc des règles de passation des marchés publics ».
Ensuite, le tribunal administratif relève notamment que Bordeaux Métropole s’engage à payer au groupement la somme de 22 784 185,98 euros, en confiant une partie des travaux à la seule société Baudin-Chateauneuf sans mise en concurrence.
Enfin, il observe que la collectivité renonce d’une part « à exiger du groupement cocontractant, comme elle en avait le droit, l’exécution de ses obligations contractuelles ». D’autre part, « alors que le marché initial était un marché global, sans décomposition en tranches ou en lots et que l’ouvrage d’art principal et les ouvrages d’art sur les berges formaient un tout indivisible, l’accord transactionnel a comme conséquence que Bordeaux Métropole devra gérer trois marchés avec trois cocontractants différents avec les difficultés que cela implique en termes de coordination et de détermination des responsabilités ».
Sur le pont
Ces problèmes sont déjà visibles : alors que Patrick Bobet, président de Bordeaux Métropole, annonce ce mercredi dans Sud Ouest que le chantier « va être mis en sommeil » pendant plusieurs mois, la métropole assure que celui des trémies (tunnels routiers sous les accès du pont, sur les deux rives) va être continué par Fayat…
Quant au retard pris, Bordeaux Métropole est incapable de l’estimer, tout dépendant désormais du temps que prendra la cour administrative d’appel à trancher. Affirmant que la métropole faisait bien appel, Patrick Bobet a dit à Sud Ouest sa « surprise » et son « incompréhension » face à cette décision en première instance :
« Le tribunal n’a pas étudié les réponses que nous avons apportées aux critiques qui figurent dans le jugement et que nous contestons ».
Et le président de la métropole balaye les réserves de la justice sur le fond, à savoir les concessions « déséquilibrées » au profit des entreprises privées :
« Effectivement, les prix ont été réajustés. Mais c’est normal, les prix de départ correspondaient à des données qui ont évolué. Il n’y a pas de libéralité, pas d’avantage injustifié. Nous sommes sereins. »
Certains doivent en tous cas être contents d’être au conseil constitutionnel plutôt que sur le pont, juste avant le 15 août…
ils s'étaient déjà brillamment illustrés il y a quelques années pour le contrat de délégation de service public des transports en commun :
aujourd'hui rebelotte... !
Cependant ne boudons pas non plus notre plaisir et réfléchissons un instant sur les conséquences possibles du retard du chantier...
En termes de conséquences sur les déplacements à moyen terme on peut tirer au moins deux plans sur la comète. On s'explique illico.
On peut très bien voir la situation actuelle comme une aubaine exceptionnelle pour la poursuite du retour du tram à Bordeaux - et son agglo - en considérant que les élus peuvent se servir des dizaines de millions d'€ provisionnés pour le pont SV pour démarrer tout de suite la ligne circulaire de tram sur les boulevards :
on donne ainsi rapidement la solution à la thrombose du réseau actuel, des trois lignes radiales, qui bouchonnent en centre-ville, situation qui ne pourra que s'aggraver avec la mise en service de la ligne D... :
une espèce de bégaiement de l'histoire récente de la ville - et son agglo (bis repetita... ) -, relativement à ce qui s'était passé durant la décennie 1990, avec l'argent du VAL heureusement affecté aux trois lignes de tram construites simultanément.
Seconde conséquence de la temporisation du chantier pharaonique du second "super pont" bordelais sur la Garonne :
on prend le temps de réfléchir sur les effets en termes de flux si un jour cet ouvrage est ouvert à la circulation (!...). Et là on s'explique encore... :
Au-delà des effets de com qu'a engendré ce projet tout au long de son existence il ne faut pas perdre de vue qu'on aura à terme un pont autoroutier supplémentaire, au vu du trafic induit et des tuyaux destinés à recevoir son écoulement, particulièrement une autre autoroute urbaine, à savoir celle des quais, requalifiée seulement du fait qu'elle n'est plus à deux fois huit voies, ou deux fois six voies..., tuyau qui fabrique toujours une barrière entre les rives du fleuves et le centre historique de la ville.
Une fois acceptée cette vision des choses revenons un peu en arrière, à l'époque où divers cabinets d'étude ont été payés par la CUB pour modéliser le trafic attendu, généré par l'ouvrage. Et là ça vaut vraiment le coup de réfléchir et en particulier de songer à revoir le projet initial en réduisant à deux fois une voie la place à accorder au trafic automobile... :
en 2010 donc, la société EMTIS rend ses conclusions dans un rapport au sujet de la modélisation des trafics induits par le nouveau pont et prévoit que ça coincera sérieusement au débouché du pont rive gauche, mais surtout sur les boulevards, sur un bon arc de cercle entre fleuve et au moins barrière de Pessac...
Un autre bureau d'étude - Arcadis - à la même époque rend son travail au sujet des "gains de temps" escomptés à l'ouverture du pont SV, et là encore ce n'est pas brillant, et pas exactement concordant avec les résutats de EMTIS. Enfin cerise sur le gâteau, la CUB pond un peu plus tard une "synthèse des études" dans le cadre de la "concertation" où sont méticuleusement écrêtés les scénarios défavorables et conservés ceux "modélisant" les moindres encombrements...
Bref, qu'on me permette de faire nous-même la synthèse et les préconisations... :
on ne pourra pas faire ici d'erreurs dans la précipitation, du fait des circonstances actuelles, en revenant aux « chères études », ce qui nous amènerait préventivement à n’accorder qu’une file de véhicules automobiles dans chaque sens...
... et de prévoir ce que promettent quelques visions d’artistes exhibées du projet, non pas les montgolfières mais le tram qui semble avoir été représenté :
histoire de rendre facile son exploitation à l’échelle du réseau entier... !
L’ensemble des usagers serait sans doute alors très reconnaissant aux édiles, ne pas avoir fait partir leur coup trop vite (!!!), en rectifiant le tir ex post, et en tenant compte du calvaire quotidien enduré du fait des défauts décrits tout à l’heure...
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