Le samedi 12 janvier, Olivier Béziade, pompier volontaire à Bazas, s’effondre sur les pavés dans le centre-ville bordelais. Il vient d’être touché à la tête par un tir de LBD 40 au cours d’une manifestation des gilets jaunes. L’IGPN est immédiatement saisie par la préfecture après la diffusion d’images montrant l’homme inanimé, la tête en sang.
Suite au rapport d’enquête de « la police des polices », une information judiciaire a été ouverte en mars. Pour Maître Romain Foucard, qui défend Olivier Beziade, l’existence d’une vidéo a été centrale dans l’enclenchement d’une procédure. « Sans ces images, il apparaît clair que la plainte aurait été classée sans suite. »
Il faut dire que sur les 41 signalements pour des violences policières déposés à l’IGPN dans le cadre des manifestations des gilets jaunes à Bordeaux, tous ont été classés sans suite à l’exception du cas très médiatisé d’Olivier Béziade.
Le rôle de l’IGPN dans l’ouverture de poursuite judiciaire est fondamental.
« Le rapport d’enquête constitue le seul et unique dossier, c’est la base de la décision du procureur pour ouvrir une procédure », explique Maître Foucard.
Projeté dans la lumière depuis le début du mouvement social, l’IGPN cristallise de nombreuses interrogations.
Le déni des violences policières
À l’échelle nationale, le journaliste David Dufresne, spécialiste des violences policières, a collecté 860 témoignages de bavures policières depuis le début du mouvement des gilets jaunes, dont un décès, 315 blessures à la tête, 24 éborgnés et cinq mains arrachées.
Pourtant, à l’instar du président de la République et du ministre de l’intérieur, la directrice de l’IGPN et ancienne directrice de la police bordelaise, Brigitte Julien, réfute toute « violence policière » au cours de ces derniers mois.
Pour l’avocat de la ligue des droits de l’homme, Maître Arié Amini, qui s’exprimait sur Mediapart le 15 juin 2019 :
« Le fait qu’une des responsables du traitement judiciaire de ces violences vienne dire ”il n’y en a pas” et conteste jusqu’au terme de violence policière vient jeter un doute sur sa partialité. »
En effet, l’IGPN est régulièrement critiquée pour son manque d’indépendance par rapport au pouvoir exécutif. C’est en tout cas le constat du criminologue Sébastien Roché, auteur de « La Police en démocratie » qui s’exprimait dans les colonnes du Monde le 27 juin.
« Le directeur de l’IGPN est nommé par l’exécutif, les agents y sont affectés par le ministère de l’intérieur et leurs carrières en dépendent. Enfin, ce sont des policiers qui enquêtent sur des policiers. »
L’IGPN : un exception en France
Dans le décret qui l’établit, l’IGPN est définie comme « l’Inspection générale de la police nationale […], un service actif de la direction générale de la police nationale ».
Réunissant 295 agents, elle veille au respect des lois, des règlements et du code de déontologie par les fonctionnaires de police. En plus de l’exercice d’un contrôle interne de l’institution, elle peut diligenter des enquêtes judiciaires dès qu’un fonctionnaire de police est suspecté d’avoir commis une faute. À l’issue de l’enquête, l’IGPN rédige une note qu’elle remet au procureur qui prend alors la décision d’ouvrir ou non une information judiciaire.
Dans l’affaire Théo, du nom de cet homme gravement blessé au cours de son interpellation dans un quartier populaire en janvier 2019, Sylvain Golstein, responsable du MRAP, estime « que la parole des policiers est davantage pris en compte que celle de la victime. Avec l’IGPN, on se retrouve avec des enquêtes biaisées puisque la police est juge et partie. D’autant qu’il y a un fort corporatisme dans l’institution ».
Dès 2012, David Vaillant, ancien ministre de l’intérieur critiquait d’ailleurs ce service qu’il jugeait « inféodé » :
« Ce corps d’inspection ”maison” ne représente plus les garanties nécessaires d’indépendance et de transparence. La police qui enquête sur la police ce n’est plus possible. »
La mort de Steve
À l’échelle nationale, depuis le mois de novembre 2018, 555 signalements ont été reçus par l’IGPN avec à la clé 265 enquêtes judiciaires. Celles-ci n’ont donné lieu jusqu’à présent à aucune poursuite judiciaire des policiers mis en cause. Ces chiffres seraient notamment consécutifs à « l’inaction » de l’IGPN selon Maître Arié Alimi et renforcent les soupçons de partialité de l’institution.
Le rapport de la « police des polices » suite à la mort de Steve Maia Caniço vient corroborer ces doutes puisqu’il n’établit aucun lien entre l’intervention policière et la mort du jeune homme malgré des faits particulièrement troublant.
C’est en tout cas l’avis du syndicat FO-SGP de la police qui fustige dans l’édition de Ouest-France du 25 juin « une faute grave de discernement, un ordre aberrant, mettant d’abord nos collègues en danger, et les usagers. […] Ce n’était pas des casseurs mettant Nantes à sac nécessitant donc d’intervenir immédiatement. Il s’agissait de fêtards ».
Usage de la force disproportionnée : l’exemple du LBD
Pour Frédéric Lagache, secrétaire général du syndicat de la police Alliance, il faut cependant rappeler le contexte social particulièrement tendu de ces dernières années :
« Les policiers et gendarmes sont en première ligne : ils agissent pour rétablir l’ordre. »
Si les forces de sécurité publique semblent disposer d’un monopole de la violence légitime dans l’objectif de maintenir ou rétablir l’ordre, l’usage de la force est cependant étroitement encadré par le code de la sécurité intérieure :
« L’emploi de la force par les représentants […] n’est possible que si les circonstances le rendent absolument nécessaire au maintien de l’ordre public […]. La force déployée doit être proportionnée au trouble à faire cesser et son emploi doit prendre fin lorsque celui-ci a cessé. »
L’exemple du LBD, pour lequel viser la tête est strictement interdit, est révélateur des largesses de la pratique au regard du cadre juridique. À Bordeaux, le journaliste David Dufresne recense 11 personnes touchées à la tête par des tirs de LBD engendrant notamment deux éborgnements. Aucun fonctionnaire n’a été mis en cause pour l’instant.
Au delà des accusations de violences policières, les témoignages de manquements de policiers aux règles qui encadrent l’exercice de leur profession sont devenus « banals » selon le sociologue Guillaume Vadot qui s’exprimait dans l’Humanité en 2017. Absence de matricule, absence de signe distinctif de police, non-respect des règles de courtoisie ou encore dissimulation de visage sont régulièrement dénoncés.
D’autres modèles à l’étranger
La « police des polices » est une exception en France. Si d’autres professions disposent d’organes de contrôles internes, tels que l’Ordre des Médecin ou le Conseil supérieur de la magistrature, l’enquête judiciaire est, dans ces corps de métier, confiée à un service externe.
Au Royaume-Uni, au Danemark ou encore en Belgique, les organes de contrôle de la police sont clairement détachés du pouvoir exécutif. Leurs enquêteurs ne sont pas membre des forces de l’ordre et disposent de leur propre budget. Ces structures sont ainsi protégées d’influences politiques et ne sont pas soumises à un éventuel corporatisme qui pourrait biaiser leurs investigations.
Ces modèles peuvent constituer des axes de réflexion pour une réorganisation profonde de l’IGPN dont l’impartialité et l’indépendance sont aujourd’hui clairement mises en cause.
Qui surveille la police ?
Si l’opinion publique découvre ce phénomène de violences policières dans le contexte des mouvements sociaux récents, l’IGPN est confrontée à ces problématiques depuis des années. Ces mêmes méthodes de maintien de l’ordre sont en effet employées dans les quartiers populaires depuis les années 1990 et soulèvent ce même sentiment d’impunité.
Pour Maître Foucard, le fait que « ce ne soit pas des policiers qui enquêtent sur des policiers serait vraiment une piste intéressante ». Dans le cas du pompier de Bazas, la vidéo a été décisive :
« On y voit clairement qu’Olivier Béziade ne représente pas une menace et qu’un policier lui tire volontairement dans la tête. Elle est tellement flagrante, qu’il n’avait d’autre choix que d’agir. »
En l’absence d’images de sources externes, la question se pose de savoir qui surveille la police ?
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