Quelques jours avant l’inauguration officielle, les lieux étant en partie ouverts depuis mai 2019, des touristes empruntant la piste cyclable qui longe la Garonne rive droite, descendent de leurs vélos et vont s’assoir sur les larges marches en bois de l’entrée numéro 2 nommée « Bancs publics ». Ils y restent le temps de se reposer.
« C’est ça Pola, un lieu accueillant où tu as envie d’entrer spontanément et profiter… » s’emballe Blaise Mercier.
Dans un élan d’enthousiasme et de conviction, le directeur de Pola abonde sur ce qu’il tient à qualifier « d’abord de lieu hospitalier ». Puis il mène la visite de la nouvelle adresse en insistant sur les gigantesques portes flanquées aux façades est et sud de cet ancien hangar en taule qui accueillait auparavant l’usine de peinture Pargade. Au dessus de l’une des portes, une pancarte : « Entrez libre. »
Sobrement aménagée par La Nouvelle Agence, l’architecture se veut « traversée, perméable aux idées comme aux promeneurs ». Blaise Mercier tient obstinément son principe au nom de tous les « habitants » – occupants des lieux à Pola – et ne manque pas de le rappeler lors de l’inauguration officielle ce vendredi devant un parterre d’élus municipaux, départementaux et régionaux, dans un discours un brin revanchard sur les canons actuels et officiels de la culture :
« … Chacun participe de la structuration des filières, du développement des forces endémiques des territoires, non fondés sur l’exclusive rentabilité financière mais bien sur leur impact sur la qualité de vie, de solidarité, d’hospitalité et d’intelligence collective. […] Pola est une multitude. Loin de l’idée du mastodonte, c’est bien la diversité des acteurs et des esthétiques qui fait la force de notre mouvement. »
Changer de paradigme
Ni mastodonte, ni gouffre financier : les 4000 m2 ont été aménagés pour un montant de 2,8 millions d’euros. Un montant certes trois fois plus élevé que celui annoncé en 2015 (900 000 euros) mais la durée du bail emphytéotique a elle aussi triplé – il était initialement prévu pour 6 ans.
« Nous avons signé un bail de 18 ans, une durée directement négociée avec l’État puisque les lieux relèvent de l’emprise du port, explique Blaise Mercier. Le budget des aménagements a été réuni pour un tiers grâce aux subventions publiques Métropole/Région, un tiers par la Caisse des dépôts via sa filiale la Banque des territoires, et le dernier tiers est un emprunt de 900 000 euros dont le remboursement est répercuté au juste prix sur les loyers de la Fabrique. »
Passé de 6 ans à 18 ans, voilà de quoi « changer de paradigme ». Comment ?
« Nous avons lancé un appel à projets de coopération, explique Blaise Mercier. C’est-à-dire qu’on a demandé à chaque postulant un projet qui permet de développer cet écosystème de façon économique et collaborative avec les autres habitants, mais aussi les publics du territoire. Dans trois quatre ans, le bilan de notre action sera sur cette question-là. »
Ainsi 9 nouvelles structures (30 nouveaux habitants) ont rejoint la Fabrique, Pola en accueille désormais 25 (pour un total de 104 habitants). Parmi ces nouvelles, l’équipe du Festival international du film indépendant de Bordeaux (FIFIB).
Une forme de partage
« Ce qui nous a intéressé, explique Johanna Caraire, directrice artistique du FIFIB, c’est l’aspect solidaire et la vision de la culture des gens ici qui n’est pas hors-sol. Il y a un vrai travail qui est fait pour identifier les besoins et les terrains de coopération. »
Par exemple ?
« Pour la prochaine édition du festival, on intègre une programmation sur le cinéma VR – réalité virtuelle. On le fait ici à Pola et on a demandé à Bruit du frigo (structure historique de Pola, NDLR) de travailler sur ce Pavillon des Virtual Reality. On a aussi un projet avec les éditions Cornélius (également à Pola, NDLR) et un de leurs auteurs, Charles Burns qui va proposer la projection d’un film et une rencontre avec le public : L’invasion des profanateurs des sépultures à la Station Ausone. »
Yvan Detraz, directeur de Bruit du frigo abonde :
« Comme tous les habitants ici sont dans un processus créatif, tu finis par être concerné. Il y a beaucoup de possibilités de croisement de projets. Ça permet de t’ouvrir à des dispositifs que tu ne connais pas. On a agrégé progressivement des gens qui ont permis d’étoffer la palette d’activités avec des projets dans une forme de partage. »
Sécuriser les emplois
Certes, l’amarrage de Pola au 10 quai de Brazza met fin à 18 ans d’itinérance, mais les « habitants » affichent aussi l’ambition de « structurer la filière économique » et de « s’autonomiser en évitant de faire simplement de la tireuse à bière » précise Blaise Mercier.
Forte d’un chiffre d’affaires annuel total (post quai de Brazza) de 3 millions d’euros, Pola espère avec ce nouvel outil passer un cap « pour se rapprocher de son objectif principal qui est d’agir sur l’emploi et la sécurisation des parcours professionnels ».
« Ce n’est pas une simple colocation, détaille Yvan Detraz. On a chacun des besoins et la mutualisation s’est imposée d’elle-même. C’est une logique de survie. Si on n’avait pas coopéré pour résoudre nos problématiques, on aurait disparu. C’est là le cœur du projet. On a créé une structure telle qu’on en avait envie au démarrage. »
Un démarrage que Yvan Detraz n’omet pas d’associer à la volonté de Gabi Farage, pilier de Pola disparu en 2012, et à qui Blaise Mercier avait rendu publiquement hommage.
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