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Alexe Poukine, réalisatrice de Sans Frapper : « L’ambiguïté fait complètement partie du viol »

Sélection Rue89 Bordeaux, le second long métrage d’Alexe Poukine, réalisatrice belge, est présenté au Fifib, le festival international du film indépendant de Bordeaux qui a démarré ce mardi.

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Alexe Poukine, réalisatrice de Sans Frapper : « L’ambiguïté fait complètement partie du viol »

Derrière ce titre, « Sans frapper », on a du mal à imaginer une telle violence. L’histoire vraie que raconte le deuxième long métrage de la réalisatrice belge, Alexe Poukine, est celle d’une jeune femme de 19 ans, Ada, qui accepte l’invitation à dîner chez un jeune homme qu’elle connaît. D’abord un baiser, et puis le viol. Elle ne se défend pas, il ne la frappe pas. Elle subit. 

Deux autres fois la même semaine, l’histoire se répète. Et puis c’est fini, mais pas vraiment. Ada porte en elle un traumatisme dont elle aura du mal à se défaire. Jusqu’à sa rencontre avec Alexe Poukine.

Sélectionné par Rue89 Bordeaux dans le cadre de l’édition 2019 du Fifib (festival international du film indépendant de Bordeaux), « Sans frapper » est un documentaire qui, par la subtile mise en scène de son récit, interroge chacun sur la définition d’un viol où le consentement n’est plus l’ultime frontière.

Rue89 Bordeaux : Comment est né le projet de ce film ?

Alexe Poukine (© I. Schapira)

Alexe Poukine : A l’issue d’une projection de mon premier film, Dormir, dormir dans la pierre, une jeune femme est venue me voir pour me dire qu’elle avait une histoire à raconter et qu’elle ne savait pas comment le faire. C’est Ada. Elle m’a raconté comment elle avait été violée, trois fois dans la même semaine, par un homme qu’elle connaissait.

Je pensais savoir ce qu’était un viol et, en l’écoutant, je me suis aperçue que non. Je me suis demandé pourquoi elle était retournée voir son violeur plutôt que de me demander pourquoi il l’avait violée.

J’adhérais moi-même à l’idée répandue sur le viol – c’est-à-dire de demander des explications à la victime et non pas à l’agresseur –, ce qui fait que cette histoire m’a pas mal obsédée.

J’ai commencé à en parler autour de moi et je ne savais pas du tout comment je pouvais mettre en scène cette histoire. Je me suis aperçue assez rapidement que beaucoup de mes amies femmes avaient vécu une expérience similaire sans admettre le viol. Et certains de mes amis hommes m’ont dit : « Si ça c’est un viol, alors je suis violeur ».

J’ai eu des réactions hyper-violentes. Beaucoup accusaient la jeune femme de vouloir se faire passer pour une victime. C’est ça la culture actuelle du viol, on baigne dedans, et beaucoup de femmes aussi.

Elle est retournée d’elle-même revoir cet homme, deux fois…

Elle revient parce qu’elle pense naïvement qu’elle va reprendre le pouvoir. Qu’elle va pouvoir faire en sorte que ce qui a eu lieu va pouvoir être réparé. Bien sûr, elle n’y arrive pas et ça recommence et ça devient pire. Elle est dans un rapport de domination et d’emprise.

Elle, comme moi, comme la plupart des gens, on s’est tous demandé ce que c’est que cette histoire. Ada a finalement mis du temps pour considérer ce qui s’était passé comme un viol. C’est ambigu, mais du coup l’ambiguïté fait complètement partie du viol. Elle a consenti un baiser, elle n’a pas consenti à être violée.

On a une idée du viol comme étant le fait d’un étranger, armé, sadique… Cette représentation qu’on a du violeur est fausse. 80% des viols sont commis par des personnes proches de la victime, des gens normaux.

Pendant les années qui ont suivi, Ada n’a pas su de quoi il s’agissait. C’est ça qui m’intéressait. En réalisant ce film, ma conception du viol a beaucoup bougé. La définition juridique n’a plus rien à voir.

Cette histoire bouge les lignes de cette définition, pour les mettre où ?

Le grand truc à la mode est de parler de consentement. C’est un repère qu’il faut dépasser aujourd’hui. Cette fameuse zone grise ne sert qu’aux agresseurs. Dire qu’il n’a pas vu qu’elle n’avait pas envie, c’est juste qu’on ne lui a pas demandé si elle avait envie. Dans son récit, Ada dit qu’elle ne lui donne aucun signe de désir. Elle finit par regarder le plafond pendant l’acte. Elle lui demande de faire une pause, il continue. Il n’y a pas d’ambiguïté, la ligne est là depuis le début.

C’est un énorme problème d’éducation ; du côté des garçons et du côté des filles. On ne dit ni à l’un ni à l’autre ce qu’est un viol. Pour une femme, quand ça arrive, il n’y a tellement pas de représentation que le cerveau se déconnecte, se dissocie, arrête de fonctionner et n’intègre pas l’information. Ce qui fait que dans les récits des victimes de viol, il y a des incohérences. Souvent la police ou les juges prennent ça comme une preuve de mensonge, alors que c’est justement une preuve que ça s’est vraiment passé et de manière traumatique.

Dans votre film, vous avez choisi de laisser plusieurs comédiennes et comédiens raconter le récit. Pourquoi ?

Ce n’est pas une histoire individuelle, c’est une histoire politique et globale.  Ce qui m’intéressait, c’est l’absence d’empathie qu’on a de façon générale pour les victimes de viol. Je n’avais pas envie que Ada (qui n’apparaît jamais dans le film, NDLR) raconte cette histoire. Je ne voulais pas qu’elle prenne seule la violence des spectateurs, ce serait terrible. Je voulais que la parole soit portée par un nous, qu’elle devienne collective.

« Sans frapper » d’Alexe Poukine
France-Belgique – 85 minutes – VO français
FIFIB : Sélection Avant-Gardes – Compétition Longs Métrages Français
UGC Ciné Cité : jeudi 17 octobre à 14h30 et vendredi 18 octobre à 11h
En présence de la réalisatrice


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