Depuis le début de l’année 2019, 124 femmes ont été assassinées par leurs conjoints ou ex-conjoints. La dernière en date résidait dans le quartier du Grand Parc à Bordeaux. Avant ce drame, la victime, âgée de 35 ans et mère de quatre enfants, avait porté plainte contre son futur meurtrier en avril 2019 et l’homme devait être jugé le 17 janvier 2020 devant le tribunal correctionnel de Bordeaux.
Hasard du calendrier : Naïma Charaï, déléguée à l’égalité femme-homme et à la lutte contre les discriminations et la solidarité à la région Nouvelle-Aquitaine, apprend la triste nouvelle le lendemain, au moment où elle propose au vote lors de la séance plénière du mardi 22 octobre 2019 « la volonté d’inscrire le féminicide dans le code pénal ».
La motion présentée par la conseillère régionale rencontre l’adhésion de la majorité. Dans un communiqué, l’élue déclare :
« Ce sera un combat, et je le mènerai aux côtés de tous ceux et celles qui ne tolèrent pas qu’en France aujourd’hui les femmes soient victimes de leur condition de femmes. »
Dans une tribune publiée en juillet dernier sur Franceinfo, les familles et proches de 35 victimes de féminicides demandaient la même chose.
Principe d’égalité
Pour l’élue, « la violence spécifique attachée au féminicide ne peut être englobée dans une qualification globale et indifférenciée ». L’avis de la femme politique qu’elle est ne correspond pas à celui du milieu professionnel. Quand on le lui rappelle, elle rétorque :
« C’est l’argument des personnes qui ne veulent pas faire avancer les droits. L’usage du terme féminicide avait en son temps des détracteurs, jugeant le terme inapproprié, qu’il ne fallait pas l’utiliser et qu’il ne servait à rien. Il a fini par être adopté. »
L’inscription du féminicide dans le code pénal, qui signifie le « meurtre d’une femme parce qu’elle est une femme » selon une définition de 1992, n’apporterait rien de plus à l’arsenal juridique. En mai 2016, la Commission nationale consultative des droits de l’homme a conclu dans un « Avis sur les violences contre les femmes et les féminices » que l’introduction du terme « comporterait le risque de porter atteinte à l’universalisme du droit et pourrait méconnaître le principe d’égalité de tous devant la loi pénale, dès lors qu’elle ne viserait que l’identité féminine de la victime ».
La Commission encourage néanmoins l’usage du terme « à la fois sur la scène internationale dans le langage diplomatique français, mais aussi dans le vocabulaire courant, en particulier dans les médias ».
C’est aussi l’avis de maître Dominique Bastrot, avocate bordelaise en charge des affaires familiales qui estime que « l’infraction existe déjà ». Mais elle pense « que voir écrire ou entendre le mot peut conduire à mieux comprendre la situation ». Elle ajoute cependant que tous « les meurtres de femmes ne recouvrent pas tous la signification de féminicide, c’est-à-dire l’intention de tuer telle personne parce que c’est une femme. On peut tuer pour d’autres raisons, même une femme ».
Arsenal juridique
Maître Dominique Bastrot rappelle l’exemple d’autres crimes spécifiques : infanticide, parricide, matricide.
« Il s’agit de tuer quelqu’un pour ce qu’il est. Dans le premier cas un enfant de moins de 15 ans ; dans le deuxième, tuer son père ; le troisième tuer sa mère. En 1994, on a enlevé ces termes du code pénal et on a revu les sanctions tenant compte des circonstances aggravantes. Il existe déjà dans le code pénal une sanction pour une personne qui tue son épouse, sa concubine ou sa pacsée… Toute une liste de terme est précisée. Dans ce cas, on passe de 10 ans à 30 ans de réclusion à perpétuité. Donc l’arsenal législatif a déjà tout prévu. »
Maître Romain Foucard abonde lui aussi dans ce sens. L’avocat intervenant sur la problématique des violences conjugales à l’Apafed (Association Pour l’Accueil des Femmes En Difficulté) rappelle que « la loi du 27 janvier 2017 a instauré dans l’article 132-77 du code pénal une circonstance aggravante qui augmente le maximum d’une peine encourue lorsque le crime ou le délit est commis en raison du sexe ou du genre et qui vient de s’ajouter à la circonstance aggravante des crimes ou délits commis par un conjoint ».
« Le mot a un sens, mais juridiquement il n’en a pas », résume l’avocat bordelais pour conclure que cette inscription ne changerait juridiquement rien. Il réclame cependant des moyens :
« Très clairement, il faut ouvrir des places d’hébergement pour les situations d’urgence où la femme victime doit trouver un foyer de protection et une stabilité : un foyer pour l’accueillir psychologiquement, administrativement, et juridiquement. Il faut aussi des moyens pour mettre en place le bracelet anti-rapprochement (BAR) qui a été voté récemment à l’assemblée nationale dans un projet de loi sur les violences conjugales. »
« La victime n’est pas prise au sérieux »
Le cas de la victime du Grand Parc à Bordeaux souligne notamment la difficulté à tenir compte des plaintes pour violences. Maître Romain Foucard ajoute :
« Une des choses intéressantes dans cette loi qui vient d’être votée, est que le juge des affaires familiales sera amené à statuer sur des cas dans un délai extrêmement court, alors qu’à l’heure actuelle, 30 et 40 jours sont nécessaires, ce qui est très long. »
Marie-Françoise Raybaud, directrice du Centre d’information sur le droit des femmes et des familles à Bordeaux (CIDFF 33), s’emporte sur les lenteurs juridiques qu’elles qualifie tout simplement de « mise en danger d’autrui » :
« La question du féminicide est l’arbre qui cache une grande forêt. Ça révèle les dysfonctionnements de la police, de la gendarmerie et de la justice qui n’est pas assez efficace et qui ne met pas assez rapidement la victime à l’abri. La victime n’est pas assez prise au sérieux et pas assez protégée. Comment est-ce possible qu’une plainte prenne autant de temps à être traitée ? Alors qu’on le sait tous qu’il est difficile pour une victime de le faire et qu’elles sont nombreuses celles qui ne le font par peur des représailles. C’est un acte fort et la réponse des autorités est faible ! »
La question de l’inscription du terme lui-même dans le code pénale serait donc le dernier des soucis de la directrice du CIDEFF 33. Marie-Françoise Raybaud aimerait surtout « faire des actions de prévention sur le comportement des individus dans les relations fille-garçon, homme-femme ». En résumé, « ne pas être dans le déni sur cette question-là ».
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