« 30 heures sans dormir » pour Miguel, « un total de 10 heures d’attente téléphonique avec l’assurance » pour Sylvie, « 3 heures et demi pour déposer une plainte » pour Gwendoline… Tout prend du temps pour gérer la situation de plus en plus complexe de ces Bastidiens sinistrés par l’effondrement d’une grue sur le chantier de LP Promotion, rue du Capitaine-Ferrand. Et la fatigue se ressent sur nombre d’entre eux réunis ce mercredi dans un bar du quartier.
« On aurait voulu vous inviter à la maison pour vous parler de nos malheurs, mais on n’a plus de maison » lance Sébastien Gross. S’enchaînent alors les témoignages, désespérés, épuisés. A peine une phrase est entamée qu’une autre vient couper court. Tous vident leurs sacs.
Le sort s’acharne
« Tout le monde n’est pas là », ajoute Sébastien Gross, « pas concerné par le drame » mais venu épauler les victimes, notamment sa sœur. « Certains n’ont pas eu le courage de venir. Ils n’en peuvent plus. »
En effet, le sort s’acharne sur la douzaine de foyers qui ont vu leurs maisons défoncées par la grue, tombée lors de son installation le 25 octobre dernier. Les pluies de ces derniers jours ont certainement dégradé les intérieurs des maisons et, vendredi dernier, il y a eu deux cambriolages.
« On se sait pas ce qui a été volé, raconte Miguel. Mon voisin m’a confirmé que la porte a était forcée et, de chez lui, j’ai pu voir des choses manquantes comme la console de jeu de mon fils. »
« C’est absurde, on n’a pas eu le droit de rentrer chez nous, ajoute Fanny Noyer, étudiante retournée habiter chez ces parents. On aurait pu sauver des affaires de la pluie et des cambrioleurs. Je n’ai même pas pris mes affaires pour aller en cours. »
« Je suis institutrice et je n’arrive pas à travailler, surenchérit Gwendoline Gross. Je n’ai pas pu récupérer mon ordinateur qui contient mes cours. »
« A peine sortis de la maison le jour du drame, insiste Sylvie Baucher, on nous a confisqué les clés et on nous a interdit d’y retourner. On nous a infantilisé. »
De son côté, Sylvie Monin, en situation de handicap dû à une maladie neurodégénérative rare, forcée de quitter son domicile aménagé, exprime également sa colère.
Des logements inadaptés
Mais si cette dernière a pu bénéficier rapidement de 5 nuits d’hôtel prises en charge par son assurance et a été hébergée ensuite par le CCAS de Bordeaux – solution qui la rassure peu –, ils sont nombreux à ne pas avoir été relogés « malgré les promesses ».
« Il y a une dame qui attend un enfant et c’est pour bientôt, rapporte Sébastien Gross. Le couple avait une maison, un projet de vie, et maintenant ils ne savent pas où va naître l’enfant. »
« On nous a proposé deux studios pour moi et mes deux grands ados, raconte Gwendoline Gross. Les enfants devaient dormir tous les deux dans le même lit. J’ai refusé. Maintenant, je suis logée chez un ami qui veut récupérer son appartement fin décembre. Je n’ai aucune solution. »
« Je me suis retrouvé à 20h30 dans la rue avec un petit sac à ne pas savoir quoi faire, raconte Miguel, on m’a dit ne vous inquiétez pas, on va vous reloger. J’attends toujours. »
Contacté par Rue89 Bordeaux, le service communication de LP Promotion précise :
« Nous avons mis à disposition autant que nécessaire des studios meublés dans nos résidences à proximité, en restant sur la ligne du tram. Seulement trois personnes ont accepté. Nous avions aussi des logements plus grands, mais vides. Les autres sinistrés ont ainsi choisi d’autres solutions. A titre informatif, le relogement des sinistrés n’incombe pas au Groupe LP Promotion mais à leurs assureurs respectifs. Cependant, certains sinistrés étaient mal ou pas assurés. »
Accompagnement
En effet, les assurances sont l’autre nœud de cette affaire. Si Sylvie Baucher reconnaît que les services de son assureur ne sont pas à la hauteur de ses attentes – elle n’a toujours pas la déclaration de son sinistre –, Gwendoline Gross précise que son « assurance demande de faire l’avance pour une nouvelle location et ne remboursera qu’après ».
Jérôme Siri, maire adjoint du quartier, dit être « stupéfait » de voir des assureurs poser de telles conditions et souhaite « une information plus claire » sur les contrats. Il répond à Rue89 Bordeaux :
« La genèse du problème est là. Que la grue tombe, c’est bien sûr regrettable, mais ça arrive. C’est à cause des assurances que ces personnes se retrouvent dans des situations ubuesques. »
Cependant, les sinistrés « interpellent la Mairie de Bordeaux qui est compétente pour soulager la détresse des victimes ». Même s’ils reconnaissent l’engagement du maire adjoint, ils s’étonnent de ne pas voir mis en place « un accompagnement administratif, sinon psychologique ».
« Remettons les choses dans leur contexte, récapitule Jérôme Siri. Une entreprise privée vend le service d’une grue mobile à une autre entreprise privée qui veut installer une grue à tour sur le chantier d’une autre entreprise privée. La première grue tombe sur la deuxième qui tombe elle sur les maisons. Qu’est ce que la mairie vient faire dans l’histoire ? […] Même si c’est une situation où nous ne sommes pas partie prenante, même juridiquement, nous agissons auprès des entreprises pour trouver une solution rapidement. Je rappelle également que nous avons même aidé à reloger madame Monin. »
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Et maintenant ?
LP Promotion déclare que les causes de l’accident rue Capitaine-Ferrand ne sont toujours pas déterminées.
Toujours selon le promoteur, les opérations de levage et d’évacuation des grues accidentées se sont déroulées cette semaine avec succès. Les maisons sont enfin bâchées et hors d’eau. En suivant, selon l’état des structures, des opérations de mise en sécurité définitive des bâtiments sinistrés vont être menées sur une durée allant jusqu’à quatre semaine.
« Suite aux cambriolages, ajoute LP Promotion, nous avons immédiatement dépêché un second agent de sécurité sur place vendredi soir afin de renforcer le dispositif de surveillance dans le périmètre des maisons sinistrées. Un agent de sécurité était d’ores et déjà présent depuis le 26 octobre 2019. De plus, nous avons demandé ce jour la mise en place de caméras de surveillance sur l’arrière des bâtiments sinistrés. »
Les sinistrés regrettent que ces dispositions soient prises après coup et qu’elles n’aient pas été anticipées.
« On nous interdit d’accéder à nos maisons, mais les cambrioleurs eux y rentrent sans problème. »
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