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Jessica et Léo, deux Bordelais en transition

Contre l’avis de ses parents, Jessica, 20 ans aujourd’hui, a enfin réussi à faire changer son état civil. Léo, 17 ans, a le soutien de sa famille pour accomplir les démarches. Pour les deux, le garçon et la fille qu’ils étaient respectivement, n’ont jamais existé. 

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Jessica et Léo, deux Bordelais en transition

Le jour de la rentrée 2019, la professeur principale d’une classe de terminale dans un lycée cossu de Bordeaux demande à ses élèves de se présenter : prénom, nom. Quand vient son tour, Zoé T. se lève et annonce d’une voix sûre et sans hésitations : « Je m’appelle Léo T. »

Dans la classe, personne ne bronche et pourtant tous le regardent. La professeur principale lève son nez de la liste où l’identité administrative de la jeune fille est mentionnée et répond : « Merci Léo. Au suivant. »

Ce jour là, Zoé a disparu et Léo se sent libéré. Depuis le mois de février, c’est une évidence : il est un garçon dans le corps d’une fille. Il décide alors de franchir le cap, d’annoncer la nouvelle à ses parents et, en ce jour de la rentrée, de prévenir la professeur principale du changement de son identité. A la fin des présentations, il lui demande tout naturellement : « Vous voulez bien prévenir tous les profs ou je le fais ? »

« Je ne sais pas si j’étais un garçon »

Léo est « soulagé ». Il reconnaît que son annonce s’est déroulée plus simplement que prévu. Cette décision fraîchement prise n’était même pas envisagée quelques mois plus tôt car il ne voulait « pas tout chambouler », bien qu’il ne cachait plus son attirance pour les filles. Mais là, il ne voulait « plus entendre les profs parler de Zoé qui n’existe pas ». 

« En février, je me suis levé un matin et je me suis dit, c’est ça ! Je suis coincé dans le corps d’une fille. J’ai toujours été un petit gars. En tout cas, je n’ai jamais été une fille mais je ne savais pas encore si j’étais un garçon. »

A partir de ce jour, Léo est décidé à « lever la barrière d’un corps féminin » ; « cette féminité qui n’est pas du tout moi. »

« J’ai acheté un binder (soutien gorge qui bande la poitrine, NDLR) pour ressembler à un garçon. Maintenant j’ai hâte de prendre un traitement et de commencer ma transition. J’ai commencé à voir un psychiatre pour m’accompagner dans le processus. »

Léo a « toujours été un petit gars » (WS/Rue89 Bordeaux)

Rouler les mécaniques

« Vous ne pouvez pas savoir combien c’est un bonheur de vivre avec quelqu’un qui est sûr de lui et qui est bien dans ses baskets », témoigne la mère de Léo.

« Son papa et moi avions très envie d’avoir une petite fille après la naissance de son frère, de 4 ans son ainé. Zoé a très vite révélé des goûts masculins, par rapport aux jouets par exemple. Elle roulait même des mécaniques ! Très tôt, pour moi, c’est devenu une évidence. Depuis le début en fait. »

La mère de Léo se souvient alors de sa fille « avec une robe, des photos à la maternelle avec des petites couettes ». Aujourd’hui, elle concède avoir « un très beau jeune homme ».

Léo, lui, trouve ses parents « géniaux », « dans l’acceptation totale » et « très ouverts ».

« Je sais que j’ai de la chance. A Trans 3.0 (association bordelaise d’accompagnement transidentitaire, NDLR), je vois les autres raconter leurs histoires pour dire que leur père ou leur mère ne voulaient pas d’eux. »

C’est le cas de Jessica.

« Les trans c’est les putes du bois de Boulogne »

Originaire d’Alsace, Jessica (qui garde son ancien prénom de garçon pour elle) fuit sa famille, sa mère et son beau-père, à l’âge de 16 ans. Placée dans une famille d’accueil, elle fuit à nouveau, et dans sa deuxième famille d’accueil, elle prend conscience qu’elle était une femme.

« Ce jour-là, c’était comme une explosion. Je n’en pouvais plus d’être vue comme un garçon. J’ai décidé de devenir une femme, pour me sentir bien et aussi parce que j’aimais les hommes. »

La suite n’allait pas être des plus simples. A la veille de ses 18 ans, elle quitte sa famille d’accueil et se rapproche de L’Hêtre, association basée à Mulhouse qui accompagne les personnes LGBTQI (lesbienne, gay, bisexuelle, trans, queer, intersexe) en situation de rupture sociale ou familiale. Amoureuse, elle rejoint son compagnon en Bretagne, mais l’idylle sera de courte durée. 

« Je me retrouve à la rue et je décide de retourner chez ma mère. Mon beau-père me demande partir… Je viens d’une famille évangéliste. On m’a pris pour une folle. Les trans c’était les putes du bois de Boulogne ou des danseurs de cabaret. »

Après un bref passage à Pau, elle rejoint à Grenoble Le Refuge, association nationale qui propose un hébergement temporaire et un accompagnement social aux jeunes victimes de LGBT-phobies, et repart de nouveau en Alsace où elle subit la violence d’un nouveau compagnon. A Lille, une fois encore pour retrouver Le Refuge, elle est victime de transphobie de la part d’un bénévole. En août 2018, elle rejoint Le Refuge à Bordeaux ; une année charnière dans la vie de Jessica.

Jessica « de sexe féminin » (photo personnelle)

De sexe féminin

En août 2018, « plus de soucis de travail ».

« Je reçois mon nouvel acte de naissance. Mon prénom est Jessica, de sexe féminin. C’est le bonheur. »

Une nouvelle vie démarre, « une vie normale » : un traitement hormonal, une chirurgie plastique mammaire. Sa voix est moins grave. Son allure est enfin féminine. Mais elle hésite à franchir le pas de la vaginoplastie. 

« La société met les gens dans deux cases : la case homme, la case femme. Entre les deux, on est rien. On m’a refusé des boulots parce que j’étais une femme avec des papiers d’homme. J’ai fait des dépressions. Je suis allée en psychiatrie. Je pensais que j’étais folle et qu’il y avait un truc qui clochait. »

Depuis, Jessica a décroché un contrat, trouvé un logement et rencontré l’âme sœur. 

« Mes employeurs ne savent rien de moi. Mon propriétaire ne sait rien de moi. Mes voisins ne savent rien de moi. Ma belle famille ne sait rien de moi. Je suis une femme et je ne ressemble plus à ce que j’étais avant. »

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Photo : cc illustration Pxhere

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