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Les forêts de Nouvelle-Aquitaine aux abois ?

Nos forêts vont envoyer du bois. C’est en tous cas l’objectif d’un programme visant à augmenter de 25% la récolte en Nouvelle-Aquitaine. L’État et Alliance Forêts-Bois, principale coopérative de forestiers, estiment en effet que le potentiel de nos forêts est sous-exploité. Mais l’Autorité environnementale s’inquiète des conséquences sur l’environnement, et recommandent notamment d’abandonner la pratique des coupe-rases. S’appuyant sur les conclusions du rapport Ecobiose, et sur la feuille de route Neo-Terra, les écologistes plaident aussi pour une sortie de la sylviculture industrielle.

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Les forêts de Nouvelle-Aquitaine aux abois ?

 

Le châtaignier est surnommé l’arbre à pain tant il a servi de base à l’alimentation dans certaines régions, notamment le Périgord. Le pin des landes est lui prisé pour sa résine, où pour tailler les échalas des vignes. Les hêtraies de Chizé ou du Ciron, dont le bois était utilisé pour l’ébénisterie, désormais sous cloche… Tout l’inverse du chêne, davantage utilisé que le pin maritime, notamment pour fabriquer les charpentes (peut-être bientôt celle de Notre-Dame) ou les tonneaux.

Ainsi, la Nouvelle-Aquitaine est riche de nombreuses essences d’arbre – 131 espèces, dont 80 indigènes, soit plus de deux tiers des espèces françaises, selon le rapport d’Ecobiose, le comité scientifique régional sur la biodiversité, qui a récemment rendu son premier rapport.

Grâce notamment au massif des Landes de Gascogne (un million d’hectares étendus sur trois départements, Landes, Lot-et-Garonne et Gironde), la première région forestière de France dispose d’une branche qui pète le feu : ses 19000 entreprises, représentant plus de 50000 emplois, réalisent 10 milliards d’euros de chiffres d’affaires.

Feuille de route

Et la Nouvelle-Aquitaine « demeure la première des trois seules régions excédentaires avec près de 243 millions d’euros d’excédents dégagés en 2018 » par les secteurs de la forêt et du bois, quand la France est dans son ensemble déficitaire de 4 milliards d’euros par an, indique le programme régional de la forêt et du bois (PRFB).

A l’issue de deux ans de travail avec les acteurs de la filière, ce document, déclinaison d’un programme national, fixe des objectifs pour la période 2019-2028. Il prévoit en particulier une augmentation de 25% de la récolte de bois, qui passerait d’environ 10 millions de m3 par an ces dernières années à 12,4 millions d’ici dix ans.

Cela passerait notamment par le regroupement des petites parcelles (92% de la forêt néo-aquitaine est détenue par des propriétaires privées, et 80% des propriétés font moins de 10 ha). Objectifs : les exploiter plus facilement et développer la mécanisation, notamment dans les forêts de feuillus.

Des châtaigniers marrons

Mais si la concertation publique vient de s’achever, ouvrant la voie au démarrage de ce plan, les débats qui l’entourent sont loin d’être clos. Va-t-il par exemple faire raser des forêts entières ?

« Mobiliser 2,3 millions de m3 supplémentaires est tout à fait faisable, répond Béatrice Gendreau, conseillère régionale déléguée bois et forêt. Dans 10 ans nous serons en surproduction de bois avec les premières éclaircies des replantations consécutives à la tempête de 1999. »

Directeur général de la coopérative Alliance Forêts-Bois,  premier opérateur de la région, qui exploite les forêts de 40000 propriétaires et réalise 200 millions d’euros de chiffre d’affaires par an, Stéphane Vieban tient aussi à rassurer.

« Le problème n’est pas la surexploitation de la forêt, mais sa sous-exploitation, estime-t-il. On ne récolte que 60% de la croissance biologique et il n’y a jamais eu autant de bois. Par exemple, on a récolté pendant des années plus d’un million de m3 par an en Dordogne, contre 600000 m3 aujourd’hui, car la disparition de l’industrie forestière a fait baisser les prélèvements. Après avoir nourri des générations, 50000 hectares de châtaigniers dépérissent aujourd’hui. Il faut les couper et planter autre chose. »  

Mais la Sepanso, qui a suivi son élaboration, juge le programme bois-forêt  « pas à la hauteur des enjeux environnementaux ». L’association redoute que « ce modèle de gestion industrielle actuellement en cours dans le massif landais » s’étende « à l’ensemble de la nouvelle région en faisant disparaître peu à peu les forêts de feuillus ou mixtes au profit de monocultures, par le biais de coupes rases (abattage de la totalité des arbres d’une parcelle, NDLR) et plantations de résineux avec traitements mécaniques, voire chimiques », à l’instar du glyphosate pulvérisé dans la forêt landaise

Carbone en stock

Le PRFB a également fait tiquer l’Autorité environnementale. Dans un avis rendu le 6 novembre dernier, celle-ci relève que le projet ne permet pas « de s’assurer du respect de la trajectoire vers la neutralité carbone de la France (en 2050), ni de l’absence de perte nette de biodiversité ».

Sur le premier point, l’AE relève que l’impact de l’accroissement des récoltes sur la capacité de stockage de CO2 des forêts et du bois n’a pas été évalué, que cela soit positif (émissions évitées par la substitution de matériaux, comme le béton, par du bois de construction, et d’énergie fossiles par du bois de chauffage) ou négatif (bois mort utilisé en bois énergie, donc libérant son CO2 au lieu de le conserver dans la biomasse ou le sol). 

Dans la forêt des landes, près de Seignosse (David/flickr/CC)

Par ailleurs, l’Autorité déplore que « le projet de PRFB ne comporte pas de mesure modifiant fondamentalement les pratiques de gestion forestières en vue de la préservation de la biodiversité » :

« L’amélioration génétique des peuplements, la mécanisation, l’amélioration de la desserte (…) restent des outils de gestion forestière n’intégrant que peu des pratiques sylvicoles agissant sur l’équilibre du biotope (diversité et étagement des peuplements, préservation des sols) », à l’image de la « forêt cultivée » prônée par l’association Pro Silva.

« Pratiques délétères »

L’Autorité environnementale dénonce donc le fait que le PRFB, dont le montant global frôle tout de même les 200 millions d’euros, ne contraigne nullement les forestiers à protéger les écosystèmes.

« Les mesures ERC (éviter, réduire, compenser les impacts sur l’environnement, NDLR) présentées (…) consistent en des encouragements, préconisations, formations, portant parfois sur le respect de la réglementation mais à aucun moment ne prévoient d’interdiction de pratiques délétères ou de conditionnalité des aides. Aucune (…) ne garantit l’absence de perte nette de biodiversité. »

L’AE recommande en particulier « de conditionner le soutien à la production forestière à l’absence de coupe rase », dont il conviendrait selon l’Autorité « de viser l’arrêt à terme ». Motifs, selon le rapport Ecobiose :

« La mécanisation des travaux sylvicoles a un impact négatif sur les plantes et la faune. Par exemple, les labours et la coupe rase de fin de récolte réduisent le volume, la longévité et la diversité du bois mort au sol qui sont pourtant des facteurs favorables à la biodiversité des insectes saproxyliques (décomposeurs du bois), champignons, lichens, mousses ainsi qu’à leurs prédateurs. »

Ça fait fuir les oiseaux

Pour Stéphane Vieban, d’Alliance Forêts-Bois, la question des coupes rases est « un faux débat ». Il faut selon lui envisager le problème « à l’échelle d’un massif, pas d’une parcelle » – même si la taille moyenne des coupes rases dans la région est de 6,5 ha, soit près de 10 terrains de foot…- et veiller surtout à ce que les forêts soient gérées durablement – quand bien même le label PEFC, qui certifie 71% du bois récolté en Nouvelle-Aquitaine, est pour beaucoup une supercherie, car il tolère l’utilisation de pesticides et… les coupes rases.

Dans sa réponse aux recommandations de l’AE, la direction régionale de l’agriculture et de la forêt (DRAAF) déplore elle aussi que les coupes rases aient « mauvaise presse ». Les services du ministère de l’agriculture se fendent d’une longue plaidoirie en faveur de cette « étape indispensable pour certaines sylviculture (…) ou pour transformer des peuplements inadaptés ».

Coupe rase dans les Landes de Gascogne (Larrousiney/Wikipedia/CC)

Cette pratique serait même carrément écolo, selon la DRAAF : elle permettrait notamment « la création de milieux ouverts temporaires favorables à certaines espèces landicoles (fadet des laîches, engoulevent, fauvette pitchou) ». Leur « abandon total pourrait réduire notablement la richesse spécifique et l’intérêt ornithologique de certaines forêts toutes entières ». Mazette ! On ignorait que les arbres faisaient fuir les oiseaux.

Enfin, lâche la DRAAF, « l’interdiction des coupes rases, et le renchérissement du coût d’exploitation qu’il engendrerait aurait comme principal effet de décourager suffisamment de propriétaires pour compromettre définitivement les objectifs de mobilisation d’une part et de stockage de carbone d’autre part ». Conclusion : pour des raisons économiques, les auteurs du PRFB « n’ont pas jugé opportun de conditionner les aides au reboisement à ce critère ».

« Il n’y a plus de débat »

Le débat sur la conditionnalité des subventions publiques devrait cependant rebondir dans l’enceinte du conseil régional Nouvelle-Aquitaine. Les élus écologistes ferraillent notamment pour mettre celles-ci en cohérence avec la feuille de route Neo Terra, votée par la Région, en modifiant son règlement d’intervention sur la forêt (plus de 15 millions d’euros de subventions par an).

Il faut que tout soit revu au regard des préconisations d’Ecobiose, résume Nicolas Thierry, vice-président environnement et biodiversité du conseil régional. Celui-ci montre que si on diversifie le peuplement, on augmente les rendements (15% en plus par rapport à de la monoculture, NDLR) et on réduit les attaques parasitaires, notamment de la chenille processionnaire du pin. On n’a donc plus besoin de traitement chimique. Il n’y a plus de débat sur les solutions, maintenant rien n’est gagné pour conditionner la distribution d’argent public à l’application de ces pratiques. »

Conseillère régionale (PS) déléguée bois et forêt, Béatrice Gendreau rejoint son collège Vert sur ce point :

« Il va falloir mettre des réglementations, imposer plus de diversité au niveau des essences, plus de feuillus dans les parcelles car c’est la meilleure barrière sanitaire qui puisse exister, et les sylviculteurs en ont bien conscience ».

Sous certaines réserves, si on en croit Stéphane Vieban :

« Le sol du massif landais est un podzol acide, c’est du sable, qu’ils viennent me dire quelles essences on va pouvoir y planter qui soient résistantes et rentables. Car in fine, c’est un propriétaire qui va entretenir sa forêt, payer des impôts et la lutte contre incendie, il faut donc des arbres qui poussent et produisent malgré les pluies et les températures caniculaires. Le pin maritime est une machine extraordinaire qui résiste à tout ça. Mais on n’a jamais éradiqué les feuillus, ils représentent 20% du triangle landais, et on va améliorer la diversité. »

Touchons du bois

Craint-il la conditionnalité des subventions à un changement des pratiques radical ?

« Je fais confiance dans la sagesse du président Rousset pour qu’il fasse la part des choses. Il est très fier de la forêt, et du travail fait. »

D’autant que sur un sujet sensible, celui des coupes rases, Béatrice Gendreau, qui pilote le dossier forêt à la région, penche plutôt dans son sens :

« Ce débat me dérange. Quand on veut fixer du carbone, il faut bien couper la forêt lorsque les arbres ont atteint une certaine maturité, et ne peuvent plus le stocker. En outre, cette pratique des coupes rases tend à se réduire, les sylviculteurs changent vraiment d’orientation. Enfin, quand j’entends parler de déforestation chez nous, cela m’agace. Tout le monde veut sa maison et ses meubles en bois, se chauffer au bois, mais sans couper un arbre ! »

Pour Nicolas Thierry, vice-président environnement et biodiversité du conseil régional, la menace est moins celle de la déforestation des massifs néo-aquitains que de leur « malforestation » :

« Comme dans l’agriculture, nous sommes face à un risque de monoculture industrielle. Après le pin maritime dans les Landes, La culture du douglas, qui pousse rapidement et peut donc être coupé plus vite, s’étend dans le Limousin. Pour répondre à une demande de plus en plus importante, pour l’export et le bois énergie (+8% par an dans la région, 11% du bois récolté, NDLR), toutes les forets diversifiées de feuillus se métamorphosent en usine à bois, puis en désert biologique.

L’élu vert redoute que certains « trésors de biodiversité » en soient affectés :

Nous avons de vieilles forets qui miraculeusement depuis plusieurs siècles n’ont pas été touchées par l’homme, des hotspots de biodiversité, représentant 0,3% de nos massifs. Elles subissent aujourd’hui des pressions, notamment les forêts pentes dans les secteurs montagneux, notamment en Dordogne et dans les Pyrénées, et des demandes de subventions sont faites auprès des collectivités  pour aller chercher leurs bois. On a aussi des enjeux énormes sur des forêts de feuillus le long de la Leyre et du Ciron, qui aiguisent les appétits. Nous sommes en train de travailler à la création d’une réserve naturelle sur un terrain de 40ha qu’un industriel à la retraite a racheté et nous a cédé. »

Un petit coin de paradis, Leyre de rien.

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