Dossier #30 : Pour une autre culture de la forêt en Nouvelle-Aquitaine
A Uzeste, des citoyens rachètent la forêt pour la protéger
A la rescousse de la hêtraie du Ciron, une des plus anciennes forêts d’Europe
Les Landes, « dernière terre de mission » pour Pro Silva
A suivre…
Calme, posé, déterminé, parfois caustique. Jacques Hazera ne ménage pas ses efforts pour expliquer la méthode de Pro Silva et inciter les propriétaires à reprendre le contrôle de leur gestion. Sur Facebook, dans des conférences-débat, sur Public-Sénat cet été, au Conseil Régional de Nouvelle Aquitaine ou encore à l’Assemblée Nationale où il était auditionné en septembre dernier par la commission d’enquête citoyenne sur la « forêt bien commun ». Et sur son blog où il se lâche parfois :
« Il semblerait que les forestiers Landais ne voient pas le rapport qu’il y a entre la forêt et l’arbre. Ils ne verraient pas non plus les relations existantes entre l’arbre et le sol. (…) Ni même entre toutes ces questions et leur propre porte-monnaie. Peut-être faudrait-il leur faire un profond labour des neurones, suivi d’un regonflage des synapses accompagné d’une forte dose de fertilisant, voire même un vrai sous-solage du cerveau, de fond-en-comble, afin d’y planter des greffons viables et bien sélectionnés « .
Une attaque en règle des méthodes de sylviculture conventionnelles dans les Landes de Gascogne : monoculture du pin maritime, pratique de la coupe rase, labourage du sol à l’aide du plateau landais (outil de débroussaillage, charrue forestière) plantation de pins issus de pépinières, nettoyage total du sous-bois…
Pour Jacques Hazera, enfant du pays, fils de propriétaire forestier, les Landes sont « le mouton noir, la dernière terre de mission pour Pro Silva ! »
Pourtant, la voix de cet homme que certains de ses pairs considèrent au mieux comme un hurluberlu, au pire comme un quasi-ennemi, commence à porter de plus en plus haut. Et semble davantage entendue au niveau national que local…
« Pendant 15 ans, nous étions deux adhérents à Pro Silva dans le coin, la Nouvelle-Aquitaine représente aujourd’hui la plus grande région en nombre d’adhérents à l’association, nous sommes 75, cela évolue. »
Le champ lunaire des coupes rases
Mathieu Tresseras, 31 ans, a choisi de suivre le chemin tracé depuis plus de 15 ans par Jacques Hazera. Il y a un an, il quitte son job dans le secteur de la promotion immobilière et la région grenobloise pour s’installer à Captieux avec femme et enfants.
Cet architecte de formation a repris la ferme et les terres de son grand-père, le « Domaine du Billon » sur lequel il mène un projet à la fois touristique, agricole (petite polyculture en permaculture) et d’élevage de porcs noirs. Il dispose aussi de 75 hectares de forêt qu’il compte gérer autrement que ce qu’il voit autour de lui.
« Quand je me suis marié, j’ai voulu montrer à ma femme le bois de mon enfance et j’ai découvert un champ lunaire car on venait de procéder à une coupe rase. Je me suis renseigné et j’ai compris qu’il y avait un problème avec cette pratique et avec la monoculture de pin conventionnelle en général. Quand j’ai rencontré Jacques Hazera, ça a été une révélation. »
Mathieu Trasseras compte bien s’occuper de sa forêt en suivant les conseils de l’expert forestier pour « faire des bois de qualité de manière plus efficiente économiquement », « respecter la croissance et la maturité des arbres ». Il a l’intention de replanter d’ici quelques mois :
« J’ai été élevé dans l’esprit qu’il fallait nettoyer la forêt. Mais une forêt propre, avec des arbres bien alignés ce n’est pas une forêt, c’est de la monoculture, telle l’agriculture intensive. Moi je veux une forêt soit plus étoffée, plus diverse, plus belle. »
Quel est donc cette méthode de gestion Pro Silva ? Explication en 4 commandements par Jacques Hazera.
1. Un peuplement irrégulier, tu cultiveras
Il y a 15 ans, Jacques Hazera a engagé sa forêt de 200 hectares vers une conversion de la monoculture à l’irrégulier. Traduction : le peuplement de ses bois est constitué d’arbres d’âges différents et d’essences mélangées : pins, chênes, châtaigner, bouleau, le tremble et quelques fruitiers forestiers (pommiers, alisiers…).
Au contraire, le mode de traitement de la forêt landaise est, lui, dit « régulier » . Il s’agit de plantations de pins maritimes du même âge, que l’on amène jusqu’à 40 ans (davantage 25-30 ans aujourd’hui) et que l’on récolte ensuite sous forme de coupes rases avec un système de rotation des parcelles.
« L’outil, c’est l’écosystème »
« L’outil de production en forêt, c’est l’écosystème lui-même, explique l’expert forestier. Le sol, la végétation, la faune, tout marche ensemble. Si cet écosystème est riche, diversifié, fertile, vous aurez une bonne production de bonne qualité. Si votre écosystème est réduit parce que vous faites une plantation mono-spécifique sur un labour où vous éliminez tous les végétaux – ce qui se pratique majoritairement – vous aurez un écosystème très appauvri et très vulnérable. Vous dégradez la fertilité du sol en faisant des travaux avec de gros engins. Et vous êtes obligés de rajouter des intrants et de payer des fertilisants. »
La diversification des essences permet une meilleure productivité et améliore la résistance aux parasites selon Jacques Hazéra. Une résistance meilleure aux attaques sanitaires confirmée par les recherches d’Hervé Jactel, directeur de recherche à l’INRA, spécialiste du sujet en France, ainsi que par une étude américaine récente.
« Le cœur de notre idée, c’est que ce sont les écosystèmes qui font pousser les bois. Et cela depuis 380 millions d’années ! Ce n’est pas nous avec nos tracteurs et nos charrues qui allons améliorer cela, au contraire ! »
2. Travailler moins pour gagner plus, tu choisiras
« Le forestier Pro Silva se tient un peu à l’écart, décrit Jacques Hazera. Il est très présent dans la forêt, mais en observateur, en accompagnateur des processus biologiques naturels ».
Ainsi, la régénération naturelle est privilégiée à la plantation. Les graines tombent au sol, le soleil fait naître des semis naturels, ce qui représente une économie de 1000 € l’hectare ( coût d’une plantation). Jacques Hazera ne s’interdit cependant pas de planter quand cela est nécessaire.
« Dans le système dominant, ils enlèvent tout, détruisent les semis naturels – entre 5000 et 30 000 environ par hectares. Ensuite ils passent le rouleau landais, retourne tout le sol. Tout ça pour planter des jeunes plants issus de pépinière ! C’est absurde ! »
Pour Jacques Hazera, le labour du sol est une aberration pour plusieurs raisons. D’abord, le carbone est renvoyé dans l’atmosphère, il est donc perdu. Ensuite, la couche superficielle fertile se retrouve enfouie à 40 cm et le sable remonte en surface, privant la future plantation des éléments nutritifs. Enfin, le labour détruit les champignons dont les arbres sont tributaires dans le cadre de la symbiose.
Jacques Hazera pratique donc la sélection dans sa forêt et celles qui lui sont données en gestion. L’objectif est de produire des arbres gros et beaux, afin d’obtenir les meilleurs résultats économiques. Il est plus intéressant en effet de vendre du bois d’œuvre, du bois de charpente plutôt que du bois destiné à faire de la pâte à papier ou des palettes.
« C’est travailler moins pour gagner plus ! » résume Jaques Hazera, sourire en coin.
3. Des éclaircies plutôt que des coupes-rases tu préfèreras
« On me dit qu’il y a plus de travail avec des semis naturels car il faut les sélectionner. Mais non, ils se sélectionnent tout seuls, souligne l’expert. On repère facilement le jeune pin qui est plus grand, plus droit que les autres. Les autres l’aident à grandir d’ailleurs, ils sont utiles. »
« On a juste besoin d’accompagner la sélection naturelle. Une fois qu’un jeune pin sort du lot, on fait en sorte de l’aider à bien fabriquer du bois, en coupant progressivement les autres arbres qui le gênent, lui font de l’ombre, ou qui sont tordus. »
C’est ainsi que les « vilains » sont coupés petit à petit, au profit des « jolis » arbres, selon le jargon employé.
« L’idée est de favoriser le meilleur, le plus droit, celui qui a le moins de branches ou des branches fines. On enlève son rival. En faisant des éclaircies en continu, plutôt que des coupes rases, vous obtenez au fil du temps une forêt où tous les arbres sont droits, donc à haute valeur commerciale, et vous en tirez des revenus plus réguliers. »
Economie en dents de scie
En effet, la pratique de la coupe rase engendre une économie en dents de scie pour les petits et moyens propriétaires, qui ne tirent pas grand bénéfice de leur forêt. Ils bénéficient d’une rentrée d’argent tous les 30 ans environ en vendant leur bois après une coupe rase, puis plus rien jusqu’au cycle suivant.
Dans sa forêt, Jacques Hazera pratique des éclaircies tous les 4 ans, en abattant 25 à 30 stères par hectares :
« C’est le minimum pour attirer un acheteur. Le fait de prélever très peu, pas plus de 20% du volume, cela permet de ne pas déstabiliser la forêt. Si on enlève 40% et qu’arrive une tempête, on est mal. Si la production est permanente, on garde tous les végétaux, et on récupère toute l’énergie lumineuse indispensable pour les grands arbres et les sous-bois. Ceux qui mettent le sol à nu ont un sol plus sec avec la lumière qui chauffe, ce qui est problématique dans le contexte de réchauffement climatique. En supprimant la végétation, il y a moins d’humidité, ce qui peut augmenter le stress hydrique des arbres et les fragiliser par rapport aux attaques de parasites comme les scolytes. »
4. Le pouvoir au propriétaire tu rendras.
En France, 80% des propriétaires privés possèdent moins de 4 hectares. Bien souvent, ils exercent une autre activité et leur forêt n’est pas pour eux une source de revenu, elle leur coûte même l’argent. Bien souvent, les propriétaires sous-traitent la gestion de leur forêt à des gestionnaires parmi lesquels le premier groupe coopératif forestier de France : Alliance Forêt-Bois, 43 000 adhérents, du Sud-Ouest à la Normandie, dont le siège social est à Cestas. En 2012, le Ministère de l’agriculture constatait qu’en moyenne 15% des propriétaires s’adressaient à la coopérative.
Jacques Hazera dénonce les multiples conflits d’intérêt qui sont à l’œuvre selon lui :
« La plupart des entrepreneurs de travaux font de la gestion forestière. Quand vous avez des engins et des salariés, vous n’allez pas conseiller à un propriétaire de ne pas faire de travaux ! ».
« Faire table-rase de ce qu’on pensait »
Le vice-président de Pro Silva estime que les gestionnaires de forêts professionnels, statut crée il y a moins de 10 ans, constituent une concurrence directe face aux experts forestiers très réglementés. Il appelle à séparer les activités de gestion forestière des prestations de travaux et de vente de bois. Il dénonce également des conflits d’intérêt au sein des instances représentatives de la forêt et des syndicats.
« Si les dirigeants des syndicats qui trustent toutes les instances étaient sincères, ils seraient ouverts à des alternatives comme celle que nous proposons. Au contraire, c’est conflictuel, je me fais taper dessus ! Je sais que les propriétaires, dans leur immense majorité, ont la conviction de bien travailler et de perpétuer une sylviculture traditionnelle. Mais elle n’a que 60 ans ! L’accélération de l’industrialisation de la monoculture du pin, avec des engins de plus en plus puissants a été encouragée par les pouvoirs publics après les tempêtes de 1999 et de 2009. C’est problématique. Il y a une fuite en avant pour des cycles plus rapides, des engins de plus en gros, à l’image de l’agriculture intensive qui ruine les agriculteurs et enrichit les intermédiaires. Il faut faire table rase de ce que l’on pensait . On dit que les landais sont pugnaces mais ils sont dociles et se laissent faire ! » regrette Jacques Hazera.
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