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Ces modestes héros bordelais qui se mesurent à la crise sanitaire

Ils ne sont ni soignants applaudis chaque soir à 20h, ni caissière ou policier en « première ligne ». Mais en fabriquant du gel hydroalcoolique, en cousant des masques ou en aidant aux champs, Sophie, Julie, Jérôme et Vincent contribuent à alléger un peu le quotidien morose des habitants de la métropole bordelaise. Portraits de ceux qui donnent une dimension solidaire et joyeuse à la lutte contre le coronavirus.

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Ces modestes héros bordelais qui se mesurent à la crise sanitaire

Il suffit d’aller se promener – virtuellement ! – sur les plateformes d’entraide ou les pages Facebook dédiées pour constater qu’en ces temps confinés, la solidarité ne s’est jamais aussi bien portée.

Des nounous proposant spontanément de garder gratuitement les bébés du personnel soignant aux propriétaires prêtant leurs logements vacants, en passant par les particuliers offrant leurs véhicules à ceux et celles qui doivent continuer d’aller bosser : si le Covid a certes le don de mettre en exergue de nombreux comportements inciviques, il fait aussi la lumière sur ceux et celles qui ont choisi d’y répondre par l’altruisme.

« Une pharmacie débordée »

C’est le cas de Vincent, étudiant en 3e année de pharmacie à l’université de Bordeaux. Mi-mars, ce Mérignacais en reconversion professionnelle effectue quelques recherches pour savoir où et comment apporter son aide pour préparer de la solution hydroalcoolique.

Vincent et ses flacons de solution (DR)

Il tombe alors sur un article dans lequel un pharmacien bordelais évoque notamment l’étape extrêmement chronophage du conditionnement de la solution :

« Cet article du 17 mars décrivait une forte augmentation de l’activité due aux nombreuses commandes des pharmacies et entreprises de la région. Elles disaient être débordées par cet afflux de commandes supplémentaires et souhaitaient que l’État facilite les procédures douanières pour le transport de l’éthanol car les délais d’attente s’allongeaient drastiquement (de une semaine à dix jours). J’ai donc contacté la pharmacie par mail le 19 mars : ils m’ont rappelé le lendemain pour commencer le jour même ! »

La tâche principale du trentenaire consiste donc principalement à remplir des petits flacons de solution à partir de bidons de 10 litres préparés au sein du laboratoire de la pharmacie, à coller les étiquettes et à les préparer pour l’expédition.

Une activité qu’il exerce masqué et ganté (« l’État ne fournissant que 18 masques par pharmacien et par semaine, nous devons être très parcimonieux »), dans une pièce à l’écart des patients, « donc sans grand risque de contamination directe ». Même s’il confesse l’appréhension infime d’être contaminé par ses collègues, ce n’est pas la plus grande inquiétude de Vincent :

« Les premières semaines, je travaillais environ 6 heures par jour, 5 jours par semaine, rémunéré au SMIC. Cette mission m’a pris beaucoup de temps et j’ai eu du mal à étudier en parallèle car j’étais assez fatigué à la fin de la journée. C’est pour cette raison que j’ai décidé de mettre cette activité en pause le temps des examens mais j’y retournerai sitôt la fin des partiels et tant que cela sera nécessaire. »

« Une richesse extraordinaire »

Un sentiment profondément gratifiant et un certain enrichissement personnel, c’est ce qui motive Jérôme pour se lever à 5h30 du matin et ne se coucher qu’aux alentours de 22h, exténué par des journées entières de couture sur une vieille Singer.

« Entre le voisinage à La Teste, le CCAS (centre communal d’action sociale) de Mérignac, les Ehpad, le centre pour handicapés et les infirmières libérales, j’ai déjà cousu plus de 300 masques. Là, j’ai une commande de 50 autres pour les bénévoles des Restos du Cœur donc ce n’est pas encore à midi que je vais avoir le temps de déjeuner ! »

Jérôme et sa vieille Singer ont déjà produit plus de 1000 masques (DR)

Au moment où la France entrait en confinement, ce comédien francilien natif de Casteljaloux se trouvait en vacances au Bassin dans la maison parentale de son conjoint. Face à l’impossibilité de rentrer chez lui, le couple s’est très vite organisé.

« La mère de mon ami travaillant à la mairie de La Teste, j’ai proposé de prêter main forte en cousant des masques. On m’a aussitôt prêté une machine. Je suis transformiste dans un cabaret parisien, je fais donc mes costumes moi-même. De là à dire que je savais coudre il y a quelques semaines encore, il n’y a qu’un pas ! J’ai appris grâce à un ami couturier qui m’a guidé à distance ainsi qu’avec des tutoriels sur Youtube. »

Son ami, qui a été un temps aide-soignant, s’est quant à lui proposé en renfort dans deux Ehpad situés à Mérignac, où ils ont déniché sur Airbnb un appartement prêté par un propriétaire durant le temps du confinement. 

« Là encore, je suis entré en contact avec le CCAS de la ville pour proposer mon aide, poursuit Jérôme. Une dame m’a prêté une machine des années 70 destinée à sa fille qui ne sait pas coudre et ravie que cet héritage puisse encore servir ! Les tissus et élastiques proviennent de dons. Je ne fais évidemment rien payer mais je reçois énormément d’amour et j’ai même parfois des gâteaux en échange : ça vaut tous les salaires du monde ! »

Si le jeune quadra ne sait toujours pas quand il pourra retrouve la scène de l’Artishow, il doit en revanche avoir libéré le logement qu’il occupe au 11 mai, jour annoncé du début du déconfinement progressif en France. D’ici là, Jérôme, alias Galipette, peaufine ses futures missions de couturier officiel du cabaret familial qui a eu vent de ses talents et livre une astuce à tous les couturiers pour remplacer l’élastique, désormais introuvable au rayon mercerie des grandes surfaces : les vieux collants !

Les mains dans la terre

Autre réalité, plus éloignée des considérations quotidiennes des populations urbaines mais essentielle : le manque de main d’œuvre auquel agriculteurs et agricultrices doivent faire face depuis plusieurs semaines. C’est ce qui a motivé Julie, la quarantaine passée, à aller grossir les menus rangs de la petite exploitation de Caroline, au Taillan :

« J’ai quitté mon emploi avant la crise sanitaire, du coup je suis au chômage depuis fin mars. C’est à ce moment-là que j’ai entendu un appel à l’aide des agriculteurs à la radio, sur France Inter. Ils n’avaient plus la main d’œuvre venant habituellement de l’étranger pour les récoltes. J’ai donc appelé plusieurs mairies, comme celle d’Eysines où il y a pas mal de maraichage ou celle de Blaye pour les asperges. Une semaine après, la mairie d’Eysines me rappelait pour me dire qu’une agricultrice recherchait des bénévoles. »

Julie s’est portée bénévole pour aider les agriculteurs (DR)

L’agricultrice en question a fondé l’association Les Jardins Inspirés, jardin-école conservatoire de semences paysannes où elle « co-créé avec la Nature » légumes et graines issues de semences paysannes en biodynamie. En raison du contexte sanitaire, elle ne peut plus faire travailler de stagiaires. Il n’en fallait pas plus à Julie, bénévole dans l’âme ayant participé aux journées du patrimoine, à Bordeaux So Good ou encore au World Impact Summit en 2019, pour s’improviser cueilleuse :

« Je suis sportive, je bouge beaucoup et je voulais être utile plutôt que de rester chez moi à ne rien faire mais je n’avais pas franchement l’habitude du travail de la terre ! Caroline m’a téléphoné le lundi, j’y suis allée le mardi. J’ai dû adhérer à l’association (5€) et je prévois un pique-nique lorsque j’y reste déjeuner. Mais aucun horaire ne nous est imposé : on arrive à partir de 10h et on reste le temps qu’on veut. »

La jardinière-paysanne suivant un calendrier de biodynamie à la lettre, les journées alternent entre préparation de la terre et plantations. Pour Julie, ancienne employée de bureau, cette expérience est non seulement l’occasion rêvée de mettre le nez dehors mais aussi et surtout de créer du lien :

« Je ne sais pas si je serais allée vers cette activité là sans la crise sanitaire. Mais cela enrichit les relations humaines. J’ai même ramené un copain qui s’ennuyait un peu ! Pour l’instant je n’ai fait que des demi-journées, pas mal en fonction de la météo, mais je cherche à compléter avec d’autres actions en parallèle. »

Elle devrait ainsi rejoindre sous peu les bénévoles de l’association Ernest qui cuisine pour les réfugiés au sein du Garage Moderne à Bordeaux.

Un geste de soutien

Pendant que certains mettent la main à la pâte, d’autres la mettent au porte-monnaie. Comme Sophie, conseil en immobilier d’entreprise au chômage partiel. Le 16 mars dernier, autrement dit le pire jour de cette année pour ouvrir un commerce, cette habitante du Bouscat se réjouissait de l’installation de la deuxième affaire de la boulangerie ferret-capienne Pain Paulin dans l’avenue de la Libération. Quelques jours plus tard, elle participait à la cagnotte mise en ligne par Paul, son fondateur :

« Depuis décembre, il vendait tous les week-ends sur le trottoir pendant les travaux. C’est notre boulangerie de quartier, on a suivi tout le chantier, alors forcément, ses galères nous touchent. Ça me fait d’autant plus mal au cœur que c’est mon métier et mon quotidien d’installer des commerçants, je suis donc plutôt sensible à ce sujet et à leur réussite parce que ce sont aussi mes clients. »

Paul et Sophie de Pain Paulin (DR)

C’est par hasard que cette mère de trois enfants est tombée sur la campagne de financement participatif lancée par Paul sur les réseaux sociaux :

« Je suis Paul sur Facebook où il est très actif. C’est comme ça que j’ai appris qu’il avait ouvert une cagnotte sur KissKissBankBank. J’ai partagé à mon tour, j’ai donné 100 €, j’essaie de gonfler mon panier moyen en achetant des gâteaux secs que je n’achète pas en temps normal… Ce n’est pas grand-chose mais c’est symbolique. On voit l’atelier, on les voit tous bosser et on sait que c’est un moment extrêmement dur pour eux donc on fait ce qu’on peut dans notre consommation. » 

Consommer mieux pour agir plus, l’un des nombreux enseignements de la crise du Covid-19.


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