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Visiteuse de prison à Gradignan, Beate voit « l’humain en face »

Depuis 2012, Beate rend visite à des détenus incarcérés à la maison d’arrêt de Gradignan. Ancienne volleyeuse de haut niveau, cette mère de deux enfants offre un peu de son temps à des hommes et femmes, très souvent isolés. Premier portrait de notre série « Gueules de bénévoles ».

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Visiteuse de prison à Gradignan, Beate voit « l’humain en face »

Voilà presque dix ans que Beate est l’oreille de détenus isolés, dont les liens sont coupés ou définitivement rompus avec leurs proches. Face à cette femme longiligne aux yeux bleus, des hommes et femmes, « souvent en instance de jugement ». Elle n’est pas forcément au courant des motifs d’incarcération. Parfois, elle aimerait « ne pas savoir. » Les prisonniers, eux, ne connaissent rien ou si peu d’elle. C’est son choix. « Je ne leur dis pas où j’habite, je garde ma vie privée… »

Sa vie ? Née à Stuttgart en Allemagne, elle a embrassé une carrière internationale en volley-ball. Sur son CV notamment, deux participations aux Jeux Olympiques de Los Angeles, en 1984, puis en 1996 à Atlanta, cette fois-ci en beach-volley. Son mari, Français, est lui aussi un volleyeur professionnel de renom. Le couple a deux garçons, la vingtaine. Après sa carrière de haut niveau, elle suit une formation de traductrice, avant d’arriver en France en 1996. Elle a notamment travaillé huit ans au Consulat général d’Allemagne à Bordeaux. Et apprend que des Allemands sont incarcérés à Gradignan.

« Leurs conditions de vie étaient vraiment compliquées, puisqu’ils ne parlaient pas français. Ils étaient isolés. Je connaissais aussi quelqu’un qui était visiteur de prison. J’avais du temps, et puis je parlais plusieurs langues étrangères : allemand, anglais et un peu l’espagnol. »

Voilà comment cela a commencé.

Beate suit trois détenus qui lui ont été affectés par l’administration pénitentiaire Photo : DR/Rue89 Bordeaux

« Cela m’apporte personnellement »

Pour devenir visiteur de prison, il faut remplir deux conditions : être majeur et avoir un casier judiciaire vierge. Une demande motivée doit être adressée à l’administration pénitentiaire. Puis passer un entretien avec le responsable local de l’ANVP (Association nationale des visiteurs de prison, fondée en 1931, comptant 1 500 membres), avant que sa candidature soit validée suite à un rendez-vous avec le Spip (Service pénitentiaire d’insertion et de probation). Une enquête dite « de moralité » est diligentée par la préfecture avec, au bout, l’agrément délivré par le directeur interrégional des services pénitentiaires (renouvelable tous les deux ans).

Cette activité bénévole « a vraiment un sens, m’apporte personnellement », confie Beate. Son mari et ses enfants « ont toujours trouvé ça bien ». L’administration pénitentiaire décide qui elle suit sur la durée de leur incarcération : trois personnes en ce moment, dont deux depuis trois ans. Elle connaît simplement leur nom, prénom et numéro d’écrou.

Les « parloirs avocats » sont dispatchés à trois endroits de cette maison d’arrêt. Les tête-à-tête durent « en moyenne, entre 30 et 45 minutes », glisse Bernard, visiteur de prison depuis 2014 et responsable de l’antenne locale de l’ANVP (25 bénévoles interviennent à Gradignan ou au centre de détention de Bédenac, en Charente-Maritime).

« Au début, il faut dire ce que l’on a droit de faire, d’expliquer notre rôle », souligne Beate. Car il faut se plier à des règles. Les affaires sont passées au scanner. Interdiction d’emporter son téléphone à l’intérieur de l’enceinte. Interdiction également d’apporter quoi que ce soit à un détenu. Rien ne doit en sortir non plus, ni lettre, ni colis.

A ceci près qu’il existe, disons-le, certaines tolérances… Beate apporte parfois un livre, des sudokus, des mots croisés (elle effectue au préalable une demande à l’administration pénitentiaire). « Ce n’est pas grand chose », estime-t-elle.

Mais depuis la crise sanitaire, le rituel des visites est bouleversé.

« Actuellement, on a le plus grand mal à se rendre en prison compte tenu des mesures sanitaires. On est obligé d’être un visiteur par parloir – deux ou trois avant – et par demi-journée. En gros, chacun visiteur dispose d’un créneau tous les quinze jours, rarement plus », explique Bernard.

Bernard, visiteur de prison depuis 2014 et responsable de l’antenne locale de l’ANVP

À l’intérieur des murs

Dans les parloirs, ni grille, ni barrière. « Je n’ai jamais eu peur, ni senti le moindre danger », assure Beate. Des vitres entre la coursive et les salles permettent malgré tout aux surveillants de voir ce qui se passe.

« Les détenus sont en général contents de me voir, car ils sortent de leur cellule. »

En effet, pour certains, c’est le seul moment d’évasion de la journée ou de la semaine, alors que le seul horizon des détenus se limite aux 9 m2 de leur cellule. Au parloir, les sujets sont libres… L’entretien reste confidentiel, sans le moindre enregistrement.

« Les discussions tournent souvent autour des conditions de détention, de la surpopulation carcérale. »

En juillet dernier, 619 hommes étaient incarcérés dans cette maison d’arrêt vétuste et surpeuplée (qui sera bientôt détruite) pour 305 places au quartier hommes, et 42 femmes pour 22 places au quartier femme. Seul le quartier mineurs n’était pas saturé avec 19 jeunes garçons pour 23 places opérationnelles.

Beate n’imaginait pas une telle promiscuité. Elle en a même été le témoin direct, lorsqu’elle distribuait, avec l’ANVP, des calendriers aux détenus. Devant ses yeux grands ouverts, des lits superposés. Des matelas parfois au sol. Mais ce qui l’a frappé le plus, c’est le « manque d’intimité et la vétusté ». Sans parler des surveillants, « en sous-effectif ».

« Leur métier devrait être plus valorisé, car ce n’est pas de tout repos », souligne-t-elle.

Dans les discussions, certains détenus amorcent aussi des confidences. Soulagent un peu leur conscience en évoquant les causes de leur incarcération, les liens distendus, rompus avec leurs enfants, leurs proches… Et la religion ?

« Je suis très laïque, l’association nationale des visiteurs de prison l’est aussi. À Gradignan, beaucoup ont la foi en Dieu, surtout les femmes africaines. Si les détenus veulent en parler, il existe des aumôniers. »

Suicide

Face aux mots et aux maux, le visiteur de prison doit mettre une certaine distance. Tutoiement ou vouvoiement, rien n’est obligatoire.

« Je ne juge pas, car je vois l’humain en face. J’exige aussi de l’honnêteté de la part du détenu. »

Il faut aussi faire preuve de bienveillance, avoir une réelle capacité d’écoute. « Mais notre rôle, ce n’est pas sauver le monde, ni être des psychologues », nuance-t-elle.

« Les détenus vont être libres un jour. L’objectif est qu’ils ressortent un peu moins cabossés. Il ne faut pas enfermer pour enfermer. Dès le premier jour de la détention, on devrait penser à la réinsertion. »

Comment rester froid et insensible en écoutant ces tranches de vie parfois terribles ? « Cela fait un peu relativiser », reconnaît-elle. Dans son esprit, certains souvenirs sont solidement ancrés, malgré le temps qui passe. Comme ce détenu allemand à la vie compliquée. Il s’est suicidé voilà six ans, peu avant son procès aux assises. L’homme, un peu plus âgé qu’elle, lui avait un peu parlé de son passé, sans avouer la raison de son incarcération.

« La veille, j’ai essayé de le voir, mais il changeait de cellule, m’avait-on dit. Je repasse donc le lendemain. Cette fois-ci, on me répond qu’il est en cours de français. Le soir même, il se suicide. »

De ce drame, elle garde un goût amer, des mots teintés de culpabilité. « S’il y avait une allusion ? Je ne le saurai jamais. » Elle a appris la terrible nouvelle dans le journal.

« Mauvaises herbes »

Pour évacuer tout ça, « il n’y a pas de recette magique », répond Beate du tac au tac. Toutefois, l’ancienne volleyeuse fait du sport pour se vider la tête. En France, si certains visiteurs se font « débriefer », et sont aidés psychologiquement par des professionnels, le responsable de l’ANVP bordelaise informe que ce n’est pas leur cas.

« Nous faisons un tour de table une fois par mois. La parole est libre et confidentielle. »

Les bénévoles vident parfois leurs sacs. Demandent des conseils face à des situations dramatiques. Des situations que ces derniers ne peuvent évoquer avec leur proche.

En tant que visiteuse de prison, Beate n’effectue pas seulement des entretiens. Elle participe toujours bénévolement à des ateliers jardinage pour des détenus accueillis au sein de la structure dite d’accompagnement vers la sortie. Depuis mars dernier, cette activité a lieu une heure par semaine.

« Ils sont parfois deux, parfois huit détenus… Tout dépend s’ils ont une autre obligation. Certains me disent : c’est génial de voir des gens qui s’intéressent à nous », lâche celle qui a la main verte. En ce moment, « il n’y a pas grand chose à faire, si ce n’est arracher les mauvaises herbes. »

La mère de famille se rend enfin dans le quartier des mineurs. En lien avec la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ), elle participe à des jeux de société, le mercredi après-midi, durant deux heures. « Cela se passe très bien, toujours dans la bonne humeur. Car les jeux de société, c’est la base pour apprendre les règles. »

A tous, elle conseille de lire l’ouvrage de Sylvain Lhuissier, Décarcérer, cachez cette prison que je ne saurais voir (aux éditions Rue de l’échiquier).

« Un tout petit livre dans lequel l’auteur démonte les préjugés que l’on peut avoir sur la prison. J’ai acheté cinq exemplaires que j’ai ensuite distribués à mon entourage », conclue celle qui ne compte pas arrêter cette activité de sitôt.

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