
Des associations anti-pesticides dénoncent la consultation « bidon » sur la Charte de voisinage
Alerte Pesticides Haute Gironde et Générations Futures Bordeaux demandent à la préfecture de ne pas valider la « Charte du bien vivre ensemble » soumise à concertation jusqu’au 30 avril par la Chambre d’Agriculture de la Gironde. Ces deux ONG lancent une « contre-consultation ».
La charte de bon voisinage, que la Chambre d’agriculture de Gironde a soumis le 30 mars à la consultation, doit régir les relations de voisinage entre les agriculteurs et les riverains, en fixer des règles d’épandage des pesticides.
Or, alors que l’arrêté du 27 décembre 2019 prévoit une zone de non traitement autour des habitations allant, pour la viticulture, de 10 à 20 mètres (pour les produits les plus dangereux), cette charte permettrait de réduire cette distance à 3m pour traiter la vigne.
Seules conditions : la présence de dispositifs végétalisés, de murs ou de filets antidérive, le traitement avec les diffuseurs fermés du côté des riverains, et l’utilisation de buses antidérive. Deux ONG, Alerte Pesticides Haute Gironde et Générations Futures Bordeaux, s’en indignent ce mercredi :
« Nulle part le citoyen ne peut donner son avis sur le fait, qu’une fois la charte validée par la préfecture, les viticulteurs qui l’auront signée, chacun dans leur coin, pourront déroger aux distances déjà ridicules de l’arrêté national du 27 décembre 2019. Ainsi ils pulvériseront à trois mètres des limites de la propriété voisine, sans que le riverain ne puisse savoir si même les ridicules conditions de la charte sont ou non respectées. »
Contre-consultation
Les deux associations rappellent qu’elles ont participé à la concertation sur la charte en janvier et mars. Mais elles « sont en désaccord avec le texte final et dénoncent les termes de la consultation publique qui en découle », qu’elles qualifient de « bidon ».
« Seuls sont mis en avant les quelques points positifs comme l’avertissement préalable par SMS (…). La consultation n’interroge pas non plus sur les propositions comme l’abandon des CMR (cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques, les produits les plus dangereux, NDLR), – on parle du bout des lèvres d’évitement -, l’information sur les produits épandus, la mise en place de manche à air qui ont été faites par les associations mais non retenues. En revanche elle sollicite l’avis du consulté sur le rôle des associations, ce qui est un comble ! »
Les ONG antipesticides lancent donc une « contre-consultation » « qui se veut pédagogique et pointe les réels enjeux démocratiques, environnementaux et de santé publique ».
Cette charte a jusqu’à présent été signée par la Chambre d’agriculture, neuf organisations professionnelles, notamment de la viticulture girondine, ainsi que par la CFDT et l’Association des maires de Gironde. La Confédération paysanne, les syndicats du bio et les associations environnementales ont en revanche refusé d’approuver un texte « ne reprenant pas leurs revendications notamment de réduction de l’usage des pesticides de synthèse, voire de leur interdiction auprès des écoles et établissements sensibles ». Alerte Pesticides et Générations futures demandent à la préfète, Fabienne Buccio de ne pas valider cette charte.
Rien avant la rentrée
Contactée par Rue89 Bordeaux, la préfecture souligne que la démarche n’est qu’à son début – elle a démarré le 30 mars, et ne devrait pas aboutir avant le mois de septembre :
« Dans les 2 mois suivants la clôture de la concertation (le 30 avril, NDLR), la charte doit être transmise à la préfète qui disposera de 2 mois pour se prononcer sur le caractère conforme et adapté des engagements que la charte prévoit », notamment la conformité des mesures de protection avec l’arrêté du 27/12/19 et « le caractère fonctionnel, y compris dans la durée, des modalités de dialogue et de conciliation entre les utilisateurs et les habitants ».
La Charte prévoit notamment « une cellule de dialogue et de médiation, animée par l’Etat et l’Agence régionale de la santé, à laquelle seront associées les parties prenantes » afin de résoudre les conflits non résolus par la médiation locale.
Ceux-ci ne devraient pas cesser pendant le confinement et l’épidémie. Alerte Pesticides Haute Gironde et Générations Futures Bordeaux demandent par exemple à la préfecture « de revenir sur sa décision de permettre les épandages de tous les produits de synthèses quelle que soit leur dangerosité pour la santé, notamment ceux qui sont reconnus comme nocifs ou irritants pour les voies respiratoires ».
Une option écartée par Fabienne Buccio, malgré les alertes de plusieurs médecins et scientifiques : en attentant au système immunitaire, la pollution de l’air, notamment par les perturbateurs endocriniens contenus dans les pesticides de synthèse, accroit la vulnérabilité aux virus.
Peut-on dire que les agriculteurs français sont indignes de confiance ? L'évolution de la consommation de pesticides en France depuis le Grenelle de l'environnement (2007) et ses divers "engagements" tendrait à le faire croire.
Plus loin dans le passé les PMPOA (plans de maîtrise de la pollution d'origine agricole) qui devaient réduire les effets des effluents d'élevages agricoles ont un bilan plutôt décevant. Il est tout ce que l'on voudra sauf efficient :
à l'échelle de l'agence de l'eau du bassin Loire-Bretagne* (155 000 km², soit 28 % du territoire) entre 1994 et 2007 la somme de 324 millions d'€ de subventions a été versée aux éleveurs ( représentant 80% de leur production d'effluents azotés) pour seulement contenir la pollution des eaux de surface pour les seuls PMPOA...
Le graphique du document indiqué en-dessous (p.16), qui permet de suivre l'évolution de la qualité globale des eaux de surface dans le bassin versant de l'agence, est éloquent :
après la forte dégradation observée durant les décennies 70, 80 et 90 du siècle dernier on reste accroché à la valeur plafond de 20mg/l de nitrate depuis le début de la décennie 2000...
Ces aides ne sont ni de la philanthropie ni du prurit d'écolo : c'est la directive européenne de 1991 qui l'impose !
Et en la matière l'Etat français a une drôle de façon de faire face à ses obligations :
la manoeuvre dilatoire permanente, gagner du temps pour ne pas réformer en profondeur les secteurs économiques ou la société entière suivant les questions à résoudre.
Dernier exemple en date avec un autre type de pollution :
le vingt-quatre octobre 2019 la Cour de justice de l’Union européenne a fait droit au recours en manquement engagé par la Commission européenne contre la France du fait du dépassement régulier, dans douze agglomérations, des valeurs limites d’émission de dioxyde d’azote pour la qualité de l'air...
Alors bien sûr ce coup-là ce n'est plus... près de quatre décennies de tergiversations avec les éleveurs : la directive européenne pour la qualité de l'air date de 2008. Peut-être que la Commission en a marre de voir un Etat membre bafouer les règles communes et réagit désormais un peu plus promptement... ? Enfin ça aura quand même demandé onze années... !
Dans ce dernier avatar de la mauvaise volonté française avec l'environnement on peut parler d'enfermement dans le système automobile. Qui est amené à perdurer au vu de l’argument suivant, soulevé par l’Etat français dans le dernier contentieux cité :
« le développement d’autres solutions de mobilité nécessiterait des investissements lourds et coûteux, qui ne pourraient être réalisés qu’à long terme ».
La puissance publique affirme donc clairement et par écrit qu’il n’est toujours pas à l’ordre du jour de préparer l’avenir en y mettant les moyens suffisants pour sortir de l’ornière actuelle :
comme si pareil « chemin de dépendance » valait l’excuse de ne rien faire par « réalisme ». Au reste dans l’arrêt de la CJUE la Commission n’a pas manqué de dire que les plans relatifs à la qualité de l’air de l’Etat français (PRQA ) étaient rendus inefficaces par l’absence de mesures contraignantes pour faire disparaître les dépassements – comme la limitation temporaire du trafic routier – et surtout « qu’aucun des plans n’évoque la nécessité de transformations structurelles » ...
En conclusion je me garderais bien de condamner sèchement nos "amis agriculteurs", tout comme nos "amis automobilistes" :
certaines questions de société relèvent toujours du tabou et n'ont pas encore fait l'objet de grands débats de société :
elles nous barrent toujours dangereusement l'accès à un "avenir sans soucis"...
*https://aides-redevances.eau-loire-bretagne.fr/files/live/sites/aides-redevances/files/Information%20-%20Communication/Publications/PUBLI_PMPOA_1-2_Rapport_20170922.pdf