Ce n’est pas les questions qui manquent dans le dernier livre de Maryline Videau, Petit traité de la connerie. Il y en a bien plus que des réponses, bien que souvent la réponse soit dans la question.
« Pourquoi est-il institué comme une règle indéboulonnable, que l’on ne discute même jamais, que l’on doit payer plus cher l’essence quand on roule sur une autoroute ? »
« Est-ce quelqu’un a pensé à garder ses tickets de caisse sans caissière quand il a dû scanner ses articles lui-même, sans obtenir aucune diminution de prix, et de faire une action en justice pour travail dissimulé ? »
« Pourquoi quand je veux faire réparer un objet cela me coûte-t-il plus cher que de le racheter ? »
Question pour désobéir
Ce florilège de questions est loin d’être représentatif de ce pamphlet, deuxième titre de Marilyne Videau édité par les éditions Atlande dans la collection « Coup de gueule et engagement » – une dénomination qui veut tout dire. Mais la part donnée à ces interrogations frontales et sans détour déconcerte et rappelle ces questions à s’arracher les cheveux que peuvent poser les enfants : « Pourquoi il fait noir la nuit ? », « Pourquoi la terre est ronde ? », « Pourquoi pourquoi ? »…
Mais une fois la référence à l’existentiel est mise de côté, le lecteur finira par y trouver un écho à la méthode dialogique de Socrate où les questions/réponses forment une construction de la pensée… philosophique. Osons le terme !
« En philosophie, les questions sont plus essentielles que les réponses, et chaque réponse devient une nouvelle question », disait Karl Jaspers, psychiatre et philosophe germano-suisse représentatif de l’existentialisme. On peut ajouter que chaque question a une multiplicité de réponses, ou encore qu’une réponse cache une autre question, et ainsi de suite (peut-être même jusqu’à s’arracher les cheveux finalement).
Pour Marilyne Videau, avocate de formation, interroger ou s’interroger serait un réflexe professionnel. Ici, poser des questions c’est chercher à comprendre. Mais l’on est tenté d’y voir une autre fin : « chercher à comprendre, c’est commencer à désobéir » (dirait le jeune auteur québécois disparu Jean-Michel Wyl). Et c’est très probable.
« Tous consommateurs, tous esclaves ! Une fatalité ? » suffirait presque à sonner l’heure d’une révolution.
« C’est comme ça »
Le bio, le diesel, le béton, le TGV, le numérique, le progrès, les sites de rencontres, le manspreading, les radars automatiques… Sous forme de fiches, de billets d’humeur, ou encore de notes de réflexion, Marilyne Videau aborde des sujets pêle-mêle, avec une écriture qu’elle qualifie d’ « improvisée ». 120 textes environ, de longueurs variables selon le ton et l’inspiration, interpellent, dénoncent, ou simplement moquent et tournent en dérision certains sujets.
La connerie est ici traitée dans sa globalité, « une connerie environnante » précise l’auteure qui évoque « la connerie du monde plus que la connerie de chacun ». Ce recueil ne pouvait mieux tomber après un confinement où la notion d’un monde d’après était sur toutes les lèvres, ou après la désillusion d’une grande partie de ceux qui ont arboré le gilet jaune comme étendard de contestation ou de revendication.
De cette étude presque ethnologique des sociétés et des groupes humains, l’auteure veut souligner la résignation – abnégation serait un tantinet flatteur – d’une civilisation vouée au culte du progrès jusqu’à l’abrutissement. Si l’écriture s’affranchit des effets de style et les idées se posent noir sur blanc sans chichis, c’est bien dans le but de concerner.
« Petit traité de la connerie » est un livre simple et efficace. Son constat est pourtant commun : « Pour la majorité d’entre nous, en général : on gueule, on accepte. Et puis on dit : “C’est comme ça.” » Sauf que dans un coin de la tête, il reste cette petite rengaine : « Tous ces trucs à la con qui nous font vraiment chier… » – titre initial du manuscrit de l’auteure.
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