150 personnes, dont 120 d’origine bulgare, selon la préfecture, près de 300 selon la Ville de Bordeaux, qui a contesté ce recensement, vivaient dans ce qui était l’un des plus grands bidonvilles de Nouvelle-Aquitaine.
Dès 7 heures ce vendredi matin, les cars de police ont bouclé le secteur – la presse n’y avait pas accès -, et enjoint les occupants de quitter le terrain, un ancien site industriel du quartier Brazza, afin de faire appliquer une décision d’expulsion prononcée en novembre 2018.
« Les conditions de vie étaient assez déplorables, assume ce vendredi Angélique Rocher-Bedjoudjou, directrice de cabinet de la préfète de Gironde. Il y avait beaucoup de déchets, des rats, des branchements dangereux aux réseaux d’électricité et des bouteilles de gaz. C’est ce qui nous a poussé à intervenir, avec l’utilisation de moyens de chauffages l’hiver approchant. »
Dans le froid, les familles ont donc dû évacuer leurs abris de fortune ou déplacer leurs caravanes, pour certaines à l’aide de voitures, pour d’autres en les poussant à pied. Entassant leurs affaires dans des sacs ou des caddies, des familles se sont dispersées dans les rues alentours, à la Bastide et quai des Angéliques, où une vingtaine de caravanes se sont rangées dans les parkings.
« On a vu arriver des familles avec des enfants tout petits, un peu déboussolés et frigorifiés, témoigne Julien Lavie, de la Fabrique Pola. Beaucoup ne parlent pas français, et c’est un peu la panique à bord. On sentait une grosse frustration, et une colère. »
Peu de familles relogées
Dans une rue longeant la voie ferrée entre Bastide et Brazza, près du squat évacuée, une dame est assises, pieds nus, et tente d’essorer ses chaussettes pendant que son mari cherche une voiture pour tracter leur caravane. Pour aller où ? Sans doute Mérignac ou Cracovie (à Bordeaux), d’autres squats de la métropole bordelaise, nous répondent-ils.
Sous un pont, un petit groupe s’abrite de la pluie. Une femme s’emporte contre la « discrimination » dont serait victime les Bulgares, mis dehors par temps de coronavirus, souligne-t-elle.
Comme d’autres personnes vivant ici, une maman de trois jeunes enfants raconte qu’on lui a proposé trois nuits à l’hôtel. Et après ? Elle ne sait pas, alors qu’elle a fait des demandes pour scolariser ses enfants.
Selon nos informations, entre trois et six familles se sont vues proposer un logement pérenne sur les 23 officiellement recensées par le diagnostic social – quatre fois plus d’après Médecins du monde. Ce dernier affirme que le diagnostic a été mené en pleine journée, lorsque le squat était à moitié vide.
« Très peu d’occupants de ce camp ont souhaité bénéficier d’un accompagnement, et moins de la moitié ont répondu au diagnostic social établi par nos services, justifie Angélique Rocher-Bedjoudjou. Ce sont des membres d’une communauté nomade, ils souhaitaient avant tout pouvoir rassembler leurs affaires et quitter les lieux avec leurs caravanes ».
Enflammer la situation
Dans un communiqué diffusé ultérieurement, la préfecture précise que « près de 100 places d’hébergement avaient été mobilisées pour la mise à l’abri des publics vulnérables » et que « ‘toutes les personnes qui le souhaitaient ont été hébergées soit 29 personnes ».
Harmonie Lecerf, adjointe au maire de Bordeaux chargée de l’accès aux droits et des solidarités, a une autre version :
« Des nuitées d’hôtel ont été proposées à Créon, Bassens ou Villenave, alors qu’on sait depuis des années que les familles refusent d’être déplacées dans d’autres villes. Je ne sais pas si on peut qualifier ça de solution, mais c’est considéré comme tel par la préfecture, qui peut ainsi s’en prévaloir. »
Les services de la Ville tentent actuellement « de proposer un toit pour celles et ceux qui n’en ont pas, peu importe à quoi ça ressemblera vu le temps qu’il fait », affirme l’adjointe de Pierre Hurmic. Elle assure à Rue89 Bordeaux que la Ville n’avait pas été informée de l’intervention des forces de l’ordre, et s’indigne de l’impréparation de celle-ci :
« On expulse sur notre territoire sans nous prévenir avant, en pleine pandémie. Cela me paraît assez dingue qu’on expulse et qu’on attende de voir ensuite quoi faire, en évacuant des caravanes sans les orienter, ou en les laissant pourrir sur place. On ne va faire que déplacer le problème et enflammer la situation ailleurs. »
Le camp de la rue Lajaunie était la source de tensions avec les riverains, qui s’en étaient émus pendant le confinement, lorsqu’une aide alimentaire d’urgence avait dû être apporté aux occupants par les associations.
« Ces derniers mois, la police est intervenue une cinquantaine de fois suite à des signalements des riverains et des entreprises voisines pour vols, agressions, rixes et tapages, a souligné la préfecture dans un communiqué de presse. Par ailleurs, les branchements électriques sauvages engendraient de nombreuses coupures sur le réseau du quartier et avaient même entraîné des périodes de chômage technique pour les entreprises. »
« Catastrophe »
La préfecture indique que 48 occupants du squat ont été convoqués au commissariat : citoyens de l’Union européenne, ils ne sont pas expulsables, à moins de ne pouvoir justifier de revenus les autorisant à rester sur le territoire français.
Vendredi soir, après visite du site, Harmonie Lecerf « a constaté l’ampleur de ce qu’on peut appeler une catastrophe ». La mairie a dans la foulée publié un communiqué très critique sur « les solutions proposées par l’Etat », qui « ne sont pas de nature à répondre aux besoins des populations ». Face à cette « carence », la Ville indique que son CCAS va mettre à l’abri les personnes et familles qui le nécessitent pour 5 nuits – 31 personnes en fin d’après-midi.
« Nous souhaitons engager sans délai un travail commun avec les services de l’État, à l’échelle métropolitaine, en vue d’apporter des réponses pérennes à ces situations de grande précarité et de détresse humanitaire », déclare Pierre Hurmic, dans ce communiqué.
C’est une nouvelle divergence de fond que le maire devra pour cela surmonter avec la préfète.
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