« Je suis escort. C’est mon activité principale. Je rencontre des hommes avec qui j’ai des relations tarifées. »
A 29 ans, Marilou se qualifie de « nana assez normale ». Comme pour beaucoup d’actifs, l’annonce du confinement en mars dernier, a été un coup dur : « J’ai paniqué. Je me disais, comment je vais faire ? Je ne peux pas bosser ! »
La jeune femme s’est installée à Bordeaux en 2020. Elle vit en colocation avec deux autres femmes et son chat. Cela fait maintenant 4 ans qu’elle s’est déclarée travailleuse du sexe et a un statut d’auto-entrepreneuse. Elle gagne en temps normal entre 2500 et 3000€ par mois. Le confinement fait chuter ses revenus à zéro.
Ce qui lui fait peur, c’est l’après
« En tant qu’entrepreneur, j’ai pu bénéficier du fonds de solidarité pour les petites et moyennes entreprises. Cela m’a permis de conserver un revenu fixe. »
L’aide avoisine les 1000€ et lui permet de payer son loyer.
« J’ai repris l’activité entre les deux confinements, de juin à octobre. Il y a avait une grosse baisse du nombre de clients. Même si on n’était plus confinés, l’épidémie menaçait toujours. Beaucoup de gens avaient peur. Les clients que j’ai ont plutôt 50-60 ans donc sont des personnes plus à risques. »
Rebelote depuis octobre. Habituée à bénéficier d’un temps libre conséquent, la trentenaire s’adonne à sa routine habituelle : des activités artistiques et l’écriture d’une fiction. Ce qui lui fait peur, ce n’est pas le confinement. C’est l’après. Avec les périodes de fêtes qui arrivent, elle s’attend à ce que la situation soit compliquée. Pourtant, elle estime qu’elle n’est « pas à plaindre ». D’autres travailleuses du sexe ont dû continuer leur activité illégalement afin de subvenir à leurs besoins.
La période a rendu Marilou économe. « Les aides que j’ai, et ma manière de dépenser, font que tout va bien. »
Le confinement « ça fait un peu parenthèse »
D’ordinaire, son travail l’amène à multiplier les allers et retours entre Bordeaux et Paris, où elle loue un Airbnb. Pour des raisons de sécurité, elle ne souhaite ni recevoir chez elle, ni se rendre chez un inconnu. Elle condense son activité sur trois jours de travail pour limiter les frais.
« J’enchaîne les rendez-vous et comme ça, j’ai fait mon mois de travail. Le format sur 3 jours me correspond : ça fait un peu parenthèse, dans le sens où je mets le reste de ma vie de côté. »
Marilou fixe elle-même ses prix, qui « restent dans la moyenne ». Soixante minutes lui rapportent 200€. Elle ne déclare qu’une partie de ses revenus.
« Mon métier est difficile à exercer en France, on n’a pas de soutien ni de protection, on a rien. J‘ai voulu déclarer le strict minimum pour mettre un peu de côté, et juste acheter mes dépenses nécessaires, sans payer trop d’impôts. C’est un peu de la fraude mais… J’avais pas du tout envie de déclarer complètement mes revenus et de me faire pomper du fric par l’Etat de tous les côtés, alors que je n’ai aucun moyen d’exercer mon activité en me sentant en sécurité et de manière correcte. Je ne cotise pas du tout pour ce qui est chômage, tous les avantages sociaux. Le jour où ça s’arrête, je n’ai plus rien. »
Écoutée et considérée, le mot d’ordre
Préférant rester dans sa bulle, elle n’est pas adhérente au STRASS, le syndicat qui œuvre depuis 2009 « pour la reconnaissance de toute forme de travail sexuel, contre sa prohibition, car toutes les dispositions répressives qui entravent son exercice maintiennent les travailleurSEs du sexe dans l’insécurité et le non-droit ».
Mais à l’instar du syndicat, Marilou dénonce la loi de 2016 sur la pénalisation des clients, qui crée une infraction de recours à la prostitution d’autrui. Pour elle, cette loi a été votée sans sonder les principales concernées.
« Cette loi est censée protéger les prostituées mais je ne vois pas en quoi elle le permet en pénalisant les clients. »
Marilou souhaite être écoutée, et considérée comme une travailleuse à part entière. La jeune femme déplore que, malgré le paiement de cotisations sociales, les travailleurs du sexe ne bénéficient que de très peu de prestations sociales, en matière de protection sociale ou de retraite.
« Pourquoi pas essayer »
Marilou aime son métier. Elle chérit son indépendance et son rythme de vie lui convient. Elle vit aujourd’hui bien mieux que lorsqu’elle travaillait dans le domaine de la culture, où elle ne trouvait que des boulots à mi-temps.
« J’ai commencé l’activité d’escort pour la première fois il y a 10-11 ans. C’est un gars que j’ai rencontré sur Internet, qui m’a proposé de me payer. C’était un truc que j’avais en tête depuis un moment. Je me suis dit “Pourquoi pas essayer, s’il y a des gars qui sont prêts à payer pour ça, ça me va”. »
A l’époque, elle a 19 ans et s’estime « libérée et assumée sexuellement ». Elle se dit que la prostitution est une option. Mais après quelques mois, elle arrête. Son couple et ses études en Arts du Spectacle ne sont pas compatibles. Quelques années plus tard, son cadre professionnel empêche son épanouissement.
« En 2016, j’ai trouvé un poste d’assistante de production dans une petite association culturelle. J’ai fait un burn-out au bout de quelques mois parce que ça se passait très mal – pression et harcèlement moral. »
L’argent économisé grâce à sa première expérience de travailleuse du sexe lui a permis de quitter ce travail. Depuis quatre ans, Marilou a repris l’escorting, qui lui rapporte davantage et lui laisse beaucoup de temps libre. La belle brune s’en étonne encore :
« C’est quand même fou les mecs qui payent pour coucher avec moi, alors que bon, je ne suis pas top. »
Elle sourit : « En fait, je plais. J’ai l’impression d’être la plus belle du monde pendant une heure. »
Dorian Rolin
Le porte-monnaie de Marilou
Revenus : 0€ par mois de son activité d’escort, 1470€ d’aides mensuelles
D’ordinaire, ses revenus varient entre 2500 à 3000€. Elle en déclare la moitié. A cela s’ajoutent 100€ par mois provenant de cours de danse de couple.
« C’est de la danse de couple. Je suis avec un partenaire qui est indépendant, on loue une salle où on donne nos cours. »
● Fonds de solidarité : 1000€
● APL : 270€
● Prime d’activité : 200€
Dépenses fixes : 436,30€ par mois
● Loyer : 315€
« Je suis en colocation. On vit à trois, dans une maison en périphérie de Bordeaux avec un petit jardin. »
● Charges : 23,50€. Les charges correspondent à 70 euros par mois à partager avec ses colocataires, abonnement internet compris.
● Taxe d’habitation : inéligible cette année
● Impôt sur le revenu : « Cette année, je n’en ai pas payé. »
● Mutuelle : 44€
● Assurance voiture : 50€
● Téléphone : 2×2 euros par mois chez Free. Marilou dispose d’une ligne personnelle et d’une ligne dédiée au TDS (travail du sexe)
Dépenses variables : 154€ par mois
● Transports : 0€ actuellement
« Je me déplace beaucoup à vélo quand je suis à Bordeaux. Quand je vais à Paris, je paye les déplacements aller-retour en train. En y allant une fois par mois, ça me coûte 60 à 70 euros. »
● Courses alimentaires : 100 euros par mois
« Je suis végétarienne. Je fais principalement les courses au marché et dans les magasins bio. »
● Sorties / Loisirs : 0€ actuellement
« En général, je dépense pas mal dans les restaurants et les bars. Peut-être 200 euros par mois. Mais ils sont fermés actuellement. Je pratique également des stages de danse quasiment deux fois par mois, qui me coûtent 100 à 200 euros. »
● Vêtements : 0€
« Cela tourne autour des 50€ hors confinement. Je n’aime pas acheter sur Internet. Pour mon métier, si des clients veulent des lingeries hyper sophistiquées, je leur demande de me les acheter. Sinon j’ai ma lingerie. »
● Préservatifs : 20€
« J’achète des capotes de bases pas chères. Pour mon travail, ceux qui en veulent des mieux, ils fournissent. »
● Animaux : 15€ en croquettes pour chat.
● Abonnements : 19€, 11€ pour Mediapart, 8€ pour Netflix
Épargne : 600€ par mois
● Plan épargne / Assurance vie : 200€
● Livret A : 400€
« Je mets de l’argent de côté tous les mois. C’est mon objectif, et j’arrive à le maintenir. J’ai un projet d’immobilier courant 2021. Je me dis que je ne suis pas trop à plaindre. »
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