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« Il va falloir se remettre en question » estime Paul, viticulteur à Saint-Emilion pour 1000 euros par mois

Depuis 30 ans, Paul gère un domaine viticole, à Montagne Saint-Emilion. Si la crise sanitaire affecte nombre de ses collègues, il parvient à s’en sortir. Suite de nos « porte-monnaies au rayon X », la rubrique culte de Rue89 ressuscitée par les étudiants de l’EFJ.

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« Il va falloir se remettre en question » estime Paul, viticulteur à Saint-Emilion pour 1000 euros par mois

La voix porte et l’accent du Sud réchauffe chacune de ses phrases. Paul (prénom d’emprunt), 52 ans, est viticulteur depuis 30 ans à Montagne Saint-Emilion, en Gironde. Il gère un domaine viticole de 16 hectares avec un cousin. Tous deux ont fait des études d’œnologie avant de se lancer dans ce métier.

Ils écoulent environ 40 000 bouteilles de vin rouge par an, à 8 euros pièce en moyenne. Leurs clients sont des particuliers, quelques comités d’entreprise disséminés dans toute la France, et des restaurateurs.

Sans surprise, le premier confinement a été un coup dur pour l’entreprise :

« A partir de mars 2020, tout s’est arrêté. Après le 10 mai, tout s’est enclenché. Les gens ont re-téléphoné pour remplir leurs caves. Les chiffres sont montés et en juin et juillet on a fait bien mieux que les autres années ».

« On perd nos amis restaurateurs »

Mais sur l’ensemble de l’année 2020 « a été compliquée, difficile, personne ne s’y attendait », témoigne Paul.

« Aujourd’hui, je pense qu’il va falloir se remettre en question, je ne sais pas comment. Tout le monde parle du « click and collect », de sites internet pour commander du vin, c’est la grande mode. On perd nos amis restaurateurs, auxquels certains viticulteurs vendent 60 à 70 % de leur production ».

Le vigneron, qui réalise 170 000 euros de chiffre d’affaires par an, admet traverser cette crise mieux que nombre de ses collègues : 

« Je m’en suis bien sorti, grâce aux particuliers et à un travail en amont que j’avais fait sur de l’exportation. C’est ce qui m’a sauvé ».

Paul a notamment démarché des entreprises à l’étranger, notamment à Singapour et au Japon, où il a décroché quelques commandes. 20% des ventes de Paul se font ainsi à l’export, aux Etats-Unis, au Brésil ou en Asie. Et c’est tout bonus, reconnaît-il :

« Quand on vend à l’étranger, on n’a pas la TVA à payer. Pas de frais de transport non plus, car ils sont à la charge de l’acheteur, ni de taxe pour la mise sur le marché », avoue-t-il.

Dans des vignes près de Saint-Emilion Photo : Michael Foley/Flickr/CC

Commandes records pour les fêtes

Mais cette année, justement, le Brésil a dû faire face à une crise sanitaire, politique et économique, limitant les échanges. Aux Etats-Unis, des taxes pénalisent l’alcool de moins de 14 degrés. « Et les Chinois, ce qu’ils veulent, c’est un prix. Ils sont capables de me demander du 1€ par bouteille »…

Heureusement, pour la période des fêtes, les commandes ont afflué en France :

« Les mois de novembre et décembre sont les plus gros pour nous. En décembre on aura vendu 6000 bouteilles, et 9000 en novembre ».

Mais le viticulteur craint pour la suite :

« On sent qu’il y a un relâchement à cause du chômage partiel, les gens ont moins de salaire et ils vont moins commander de vin. J’ai peur pour janvier, février ou mars. »

Il s’inquiète des cours du vin, eux aussi en chute libre :

« L’année dernière, un tonneau de 900 litres de vin (« satellite » de Saint-Emilion, comme le sien, NDLR) valait entre 2500 et 2800 euros. Aujourd’hui, on est à 1800. Le bordeaux valait 1500, aujourd’hui il en vaut 500. Et le vin qu’on arrive pas à vendre est détruit, et on est payé pour ça ».

Stratégies hasardeuses

En effet, certains viticulteurs peuvent détruire 10 ou 12 tonneaux de vin (un tonneau équivalant à 1200 bouteilles, et valant entre 500 et 600 €), pour être transformés en alcool en l’échange d’une prime.

« Pour certains, c’est de la survie, signale Paul. Nous on a de la chance d’avoir Saint-Emilion pas loin, les cours arrivent à se maintenir. Dans le bordeaux, je sais pas comment ils font pour vivre ».

Paul évoque les stratégies hasardeuses qu’il observe chez certains de ses collègues :

« Ça fait déjà quelques années que je vois ça. Des grosses structures se sont agrandies, atteignant 80 à 100 hectares. Elles ont préféré prendre le problème autrement, vendre le vin un petit peu moins cher mais en plus grande quantité, en s’agrandissant pour compenser les pertes. Et ça ne va pas mieux, au contraire tout est mal fait, c’est devenu de la chimie. Boire du vin est devenu particulier aujourd’hui. Moi j’aime mon métier, et je peux boire mon vin tous les jours sans être malade ».

Si sa production n’est pas bio – qu’il juge pas assez rentable et plus difficile à conserver -, Paul tente de limiter l’utilisation de produits, et ses vins sont labellisés HVE (haute valeur environnementale, un label décrié par ailleurs).

Entre tout il reste confiant : il a connu d’autres crises et jusqu’à présent, a toujours réussi à refaire surface. Paul espère simplement que la Covid-19 ne soit pas la goutte d’eau qui fasse déborder le vase.

Manon Gazin de Raucourt

Le porte-monnaie de Paul

Revenus : 1000€ net par mois

Intégralement issus de son activité de viticulteur

Dépenses : 900€ par mois environ

Paul et son épouse partagent les dépenses du foyer.

  • Logement : 0€

Paul habite depuis 30 ans dans une maison individuelle de 150 m2, dont il est propriétaire.

  • Électricité : 50€
  • Taxe foncière : 500€ par an, soit 42 euros par mois en moyenne
  • Mutuelle : 130€ par mois pour lui et son épouse
  • Internet/téléphone : 40€
  • Sorties/loisirs : 0€
    D’ordinaire, Paul met peu d’argent dans ses loisirs : 3 ou 4 séances de cinéma par an.
  • Alimentation : 400€
  • Essence : 150€
  • Epargne : 0€

#porte-monnaie au rayon X

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