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Dimitri Boutleux : « Si être artiste est un métier, il n’y a pas une seule manière de l’être »

Suite à l’appel lancé aux lecteurs de Rue89 Bordeaux pour interroger l’adjoint au maire de Bordeaux chargé de la création et des expressions culturelles, Dimitri Boutleux répond aux questions.

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Dimitri Boutleux : « Si être artiste est un métier, il n’y a pas une seule manière de l’être »

Les questions étaient nombreuses suite à notre appel lancé pour interpeler Dimitri Boutleux, adjoint au maire de Bordeaux en charge de la création et des expressions culturelles. Cette démarche a été initiée suite à la polémique qui a secoué le milieu culturel bordelais au lendemain de la campagne de communication pour le forum organisé par la mairie.

Nous avons soumis les questions des lecteurs à l’élu, après avoir fait un tri d’ordre purement pratique, comme par exemple supprimer les doublons en gardant la première question reçue. A ces interrogations souvent très concrètes, les réponses tendent à éclairer sur le positionnement politique de la nouvelle mandature plus que sur la politique culturelle. Celle-ci sera en effet définie après le forum, rendant ses conclusions d’autant plus attendues.

Ce positionnement ne s’inscrit pas en rupture avec l’équipe précédente, sur des sujets tels que le fonds d’aide à la création, les grands évènements culturels ou les grosses structures comme l’Opéra. Mais l’adjoint livre quelques pistes sur les priorités de la nouvelle majorité, axées sur la démocratisation de la culture via des tarification sociales pour les spectacles ou l’ouverture de Lieux des Arts et des Cultures (LAC) dans les quartiers.

La campagne publicitaire du forum

Personne : Artiste c’est un métier ?

Dimitri Boutleux : Bien évidemment. Au-delà de la reconnaissance des études et formations artistiques professionnalisantes par des diplômes d’Etat, de la création de la Maison des artistes et du régime d’intermittence pour les artistes et techniciens ; artiste est un métier. Mais au-delà du statut, être artiste c’est aussi affirmer sa condition et la manière dont chacun se positionne du point de vue de sa liberté d’expression. C’est un débat qui mérite d’être tenu car si être artiste est un métier, il n’y a pas une seule manière de l’être, bien au contraire. Cette diversité émane d’une variété de facteurs qui vont du choix d’être totalement libre de sa création et de son expression à la manière dont l’artiste vit de son art et s’engage donc parfois auprès de commanditaires. 

Victor Dubray : Pourquoi avoir attendu la fin de la campagne pour faire retirer ces affiches ?

Le réseau d’affichage utilisé par la ville de Bordeaux appartient à l’entreprise JC Decaux. Les campagnes sont remplacées tous les jeudis.

Grand Théâtre de Bordeaux Photo : WS/Rue89 Bordeaux

Opéra et des grosses structures

Fritz Lang : La ville de Bordeaux souffre surtout d’un manque criant de moyens pour les acteurs du territoire, l’essentiel de son budget étant attribué à son Opéra et à ses grandes institutions en régie directe. Aucune politique culturelle, si concertée et adoubée par le secteur soit-elle grâce à un forum réussi, ne pourra atteindre ses objectifs sans moyens significatifs. Comment espérer faire de la politique culturelle de votre mandat un marqueur majeur sans vous libérer de ces grands équipements qui empêchent toute marge de manœuvre ?

Les grands équipements sont aussi une chance pour le territoire. La politique culturelle doit s’appuyer sur eux en les ouvrant davantage, en les accompagnant à d’autres endroits, d’autres propositions, d’autres projets. La réflexion à avoir sur la temporalité porte sur leur capacité d’adaptation et sur leur souplesse de fonctionnement : comment répondre davantage aux enjeux sociétaux et à des sujets très conjoncturels. Il faut aussi les rendre plus accessibles aux compagnies et aux artistes locaux.

Valérie Duchaillut : Quelle sera la répartition des financements entre les grosses structures et les petites ?

Il ne faut pas opposer grosses et petites structures : la présence des unes et des autres est indispensable sur un territoire (et la ville de Bordeaux n’est pas la seule à gérer des gros équipements, c’est inhérent aux enjeux de centralité d’une ville de cette taille) ; l’équilibre n’est pas qu’une question de finances, il faut travailler à ce que les grosses structures soient une ressource pour les plus petites (via l’accompagnement technique et artistique par exemple).

Mike mc cready : J’espère que les tarifs à l’opéra seront plus abordables et plus globalement, à quand des tarifs sociaux pour la culture ?!

La tarification sociale de tous les services municipaux est en cours d’étude. Il s’agit du projet « Bordeaux ma carte ».

Culture, social et droits culturels

Mondrian : La culture est-elle pour vous un moyen d’émancipation des consciences ? Si oui, avez-vous des projets pour tendre vers cet objectif ? Ne pensez-vous pas que le socio-culturel peut se trouver vite limité pour tenter d’atteindre cet objectif d’émancipation ?

L’art a de nombreuses vertus, notamment celle de partager des visions du monde, une lecture de notre société ou de notre histoire. Nous souhaitons rapprocher les intentions et les pratiques. Les centres sociaux, les maisons de quartier, les centres d’animation sont des lieux où les arts et la culture ont une place privilégiée en ce qu’ils sont des supports magnifiques pour permettre la rencontre et les personnes. Mais le sujet n’est pas de réduire l’art à un rôle social.

Il faut trouver un juste équilibre entre l’accompagnement des professionnels ou de celles et ceux qui veulent le devenir et ce qui relève d’autres champs comme l’éducation artistique et culturelle ou les pratiques en amateur. Étant entendu que les uns contribuent au dynamisme des autres.

Fritz Lang : A la lecture du questionnaire en amont du forum, on en vient à s’interroger sur la lecture des droits culturels par la mairie de Bordeaux, une lecture utilitariste, voire décorative (au supermarché, dans l’ascenseur, etc…) de l’artiste. Pourriez-vous nous donner votre perception des droits culturels et nous donner à comprendre comment ils peuvent jalonner votre mandat sans phagocyter la richesse de l’écosystème professionnel de l’art et la culture ?

Premièrement : le questionnaire en ligne a plusieurs objectifs, notamment d’évaluer l’intérêt des Bordelaises et des Bordelais à plusieurs idées qui ont émergées des premières étapes du Forum (entretiens non-directifs et focus group) : comment avoir accès à l’information culturelle ? comment mieux équilibrer les lieux de création, de pratiques et de monstration sur tout le territoire ? quelle place accorder aux arts de et dans la rue ?

Il n’est pas absurde de penser à d’autres lieux pour montrer des œuvres, pour faire connaître les processus de création artistique. On parle là de « présence artistique », autrement dit comment on permet aux artistes qui le souhaitent d’accompagner leur travail en y intégrant des temps d’échange (qui viennent nourrir le travail en cours de l’artiste) en lien direct avec celles et ceux qui fréquentent ces lieux de vie. Créer des espaces de travail et de création dans les écoles, dans les crèches pour celles et ceux qui font de la création à destination du jeune public n’est pas si absurde…

Deuxièmement : Opposer l’écosystème professionnel de l’art et la culture aux droits culturels c’est ne pas comprendre les droits culturels. Les droits culturels reconnaissent et valorisent le fait que chacun soit porteur d’une culture et de références culturelles. Ils n’enlèvent rien à personne. Ils n’enlèvent aucune qualité d’expertise à ceux qui programment, à ceux qui choisissent, à ceux qui accompagnent et encore moins à ceux qui créent.

Les droits culturels visent avant tout à permettre les conditions de la rencontre entre les personnes. Il s’agit surtout de repenser les étapes qui précèdent la rencontre entre l’objet de création (l’œuvre) et les personnes. C’est aussi une réflexion sur les lieux pour qu’ils soient tout-autant des lieux de création artistique que des lieux de discussions, de rencontres et des lieux ressources.

Les droits culturels visent avant tout à retrouver nos valeurs partagées d’humanité et de vivre en intelligence.

Les petites structures

Nadia Russell Kissoon : Allez-vous mettre en place des conventionnements pluriannuels pour les structures associatives ?

L’objectif fixé dans le projet de mandature est de « bâtir des conventions d’objectifs et de moyens pluriannuelles ». Il s’agit bien de co-écriture des critères et des règlements d’intervention dans l’objectif d’asseoir le travail des partenaires associatifs sur un temps plus long. Nous tenons à ce que les critères soient partagés et connus de tous pour donner davantage de lisibilité au soutien aux associations.

Dimitri Boutleux Photo : WS/Rue89 Bordeaux

Luck Atlas : Envisagez vous des moyens spécifiques pour les lieux indépendants de petite/moyenne capacité, qui favorise les pratiques en voie de professionnalisation et les pratiques amateurs ?

Plusieurs Lieux des Arts et des Cultures (LAC) sont actuellement à l’étude. En parallèle, nous apporterons notre soutien à des lieux et projets exemplaires en cours, à l’instar du Garage Moderne qui mêle ateliers de mécanique, activité de restauration, création artistique avec le Jeune Ballet d’Aquitaine et salle de spectacle.

Patrice Luchet : Peut-on imaginer que la future politique culturelle de la ville soit moins tournée vers des évènements grand format couteux mais plus vers une programmation tout au long de l’année, plus proche des différents quartiers de la ville et qui diversifie au maximum les pratiques culturelles et accompagne mieux les artistes, les écrivains… dans leur professionnalisation.

Cette question pourrait résumer ce vers quoi l’essentiel de la politique culturelle va se tourner. D’abord asseoir un équilibre pour permettre à l’écosystème artistique de prospérer tout en accompagnant les mutations urbaines et démographiques. Ensuite, s’adapter aux nouvelles temporalités, mobilité de l’offre culturelle, répartition géographique équitable entre les territoires (peut-être en lien avec les autres communes de la métropole ?).

Crise sanitaire

Pieral : Les « petits » cultureux en mal de reconnaissance, de sympathie voire de respect, d’aides qu’on leur supprime sans explications justifiées … !!! Les arts vivants, le théâtre, les petites salles (vous les découvrez quand ?), les associations artistiques, les ateliers d’éducation populaire et tant d’autres dans cette période épouvantable depuis mars 2020 en ont marre !! Car totalement ignorés, abandonnés…
Il est grand temps de les reconnaitre, de les soutenir, de les rencontrer (dans leurs lieux), de les épauler et surtout leur prouver la confiance que vous leurs devez !! La moindre des choses pour des élu(e)s qui se doivent d’être sur le terrain sans relâche… Nos portes sont ouvertes si vous prenez le temps de les pousser…

Depuis l’élection municipale, l’essentiel de l’activité des lieux culturels a été contrainte, empêchée ou interdite, ce qui complique les rencontres physiques avec celles et ceux qui font vivre la vie artistique bordelaise. Néanmoins, j’ai rencontré des centaines d’acteurs culturels en rendez-vous depuis juin 2020.

Tous les partenaires, quelles que soient leurs tailles et les esthétiques qu’ils défendent, sont invités à participer au Forum (en particulier sur les temps qui leurs sont consacrés dès le 26 avril et jusqu’en juin).

Luck Atlas : Un effort particulier, autre que dans la communication, va-t-il être fait par la mairie après cette année terrible ?

Oui, des aides spécifiques dites Fonds Covid ont été apportées en 2020 et 2021 aux acteurs culturels en difficultés et les aides à la création ont été augmentées cette année. Par ailleurs, la Saison culturelle est très fortement orientée vers la présentation du travail d’artistes du territoire. C’est un début, nous allons bien entendu poursuivre l’accompagnement des acteurs artistiques et culturels.

Ateliers pour artistes

Delphine Delas : Envisagez vous de créer des nouveaux espaces/ateliers (individuel et/ou collectif) pour les artistes bordelais ?

L’objectif fixé dans le projet de mandature est d’ « ouvrir aux artistes des lieux et espaces de travail inoccupés ou peu occupés dans les bâtiments appartenant à la ville (Ragueneau, Maison Marandon, Fieffé) », comme nous l’avons précisé dans le projet de mandature. Le recensement de l’ensemble de ces lieux est en cours.

Nathalie Man : Quels sont les dispositifs d’aide pour encourager la création ?

Le Fonds d’Aide à la Création existe pour cela.

Implication citoyenne

Valérie Duchaillut : Quelle politique culturelle dans les quartiers ?

Nous voulons équilibrer l’offre culturelle entre tous les quartiers en valorisant le caractère multiculturel de Bordeaux, proposer une offre culturelle, artistique et sportive pour les 3-6 ans dans tous les quartiers, créer des événements réguliers et des espaces de création, de répétitions, de pratiques amateurs dans tous les quartiers en lien avec le conservatoire, les centres d’animations, les associations et les acteurs culturels.

Comme dit précédemment, nous souhaitons développer dans chaque quartier des Lieux des Arts et des Cultures (LAC), mais aussi privilégier les interventions hors-les-murs des établissements culturels et inciter les organisateurs d’événements culturels à se déployer sur l’ensemble du territoire de Bordeaux.

Dimitri Boutleux lors du premier point presse sur la culture Photo : WS/Rue89 Bordeaux

François Mary : La tempête médiatique est passée, les questions posées sur les sucettes restent suspendues dans nos esprits. Quand et où les habitants de Bordeaux pourront débattre ? Où sont les agoras ?

Les permanences dans les quartiers reprendront dès que la situation sanitaire le permettra, et les assises de la démocratie permanente vont être lancées prochainement (du 19 mai à la fin octobre 2021).

Questions de genre

Valérie Duchaillut : Quelle place pour les questions de genre dans la culture ? Et, plus précisément, quel soutien aux artistes femmes afin de lutter contre leur invisibilisation passée (collection des Beaux-Arts ?) ou présente ?

Nous voulons encourager la diffusion d’une culture de l’Égalité à toutes les Bordelaises et Bordelais, notamment en dotant les musées de la Ville d’une charte Égalité femmes-hommes dans leurs pratiques muséales. Le monde culturel sera concerné par les plans égalité F/H et anti-discrimination de la ville.

Expérimental

André Lombardo : Avez-vous réfléchi sur le devenir de l’art et de la culture au regard des mutations technologiques en cours ? En 2021 nous ne pouvons plus avoir le même regard. Les artistes aujourd’hui utilisent des nouveaux outils pour leurs créations. Quelle place pour les arts numériques ? La musique contemporaine et expérimentale ? Doit-on encore longtemps rester sur un héritage issu des années 70/80 ? Beaucoup d’artistes travaillant dans ce champ d’activités et demeurant à Bordeaux sont obligés de s’adresser à d’autres villes et d’autres pays pour pouvoir présenter leurs créations.

Nous prendrons pour exemple le super travail de l’association Einstein on the beach (qui bénéficie pour son fonctionnement du soutien de la Ville et, sur proposition du jury, de l’aide à la création). Elle promeut les musiques buissonnières et expérimentales par une démarche de parcours en cœur de quartier invitant à la rencontre avec les personnes qui y vivent. A titre personnel, je suis très intéressé par l’apport des technologies aux pratiques artistiques.

La mission d’adjoint

Bubukowsky Saby : Adjoint au maire c’est un métier ?

Non, une fonction, un mandat qui nous est confié par les électeurs pour un temps donné.

Nadia Russell Kissoon : Allez-vous vous consacrer à pleins temps à votre mandat d’élu à la culture de Bordeaux, ville de 300 000 habitants ?

Comme beaucoup de mes collègues élus de l’équipe municipale, j’ai, en plus de ma fonction d’élu, un métier. Ce n’est pas toujours facile de concilier les deux, mais il me semble important de continuer d’avoir des activités de citoyen comme les autres.


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