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Depuis 30 ans, Chahuts est « un rituel dans le quartier Saint-Michel »

« PresqueChahuts mais Chahuts quand même ! » Le festival né à Saint-Michel repart pour une édition anniversaire du 10 au 20 juin et propose « une aventure collective ». Trois questions à sa directrice, Elisabeth Sanson, selon laquelle les arts de la parole et la puissance du verbe sont « plus que jamais nécessaire après des mois de confinement et de face à face avec nos écrans ».

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Depuis 30 ans, Chahuts est « un rituel dans le quartier Saint-Michel »

Le festival Chahuts fête ses 30 ans avec un programme arraché à la crise sanitaire et ses difficultés à envisager ses lendemains. C’est donc un « PresqueChahuts » qui démarre ce jeudi 10 juin avec une inauguration dans le quartier qui l’a vu naître : Saint-Michel.

La programmation investit la ville dans divers quartiers de la rive gauche à la rive droite de Bordeaux jusqu’au 20 juin. Cette édition, « poussée à inventer », se veut « un format porteur de sens. “Faire festival” ne s’y limite pas à programmer des spectacles, mais se vit comme une aventure collective, embarquant tous ceux qui le souhaitent, où le récit urbain se vit sous différentes formes, plus en porosité avec la ville et son quotidien ».

Suivant la trajectoire du festival auparavant consacré au conte, à l’évolution apportée par le temps à cet événement de quartier et à son ancrage à Saint-Michel, en passant par la convocation d’artistes multi-disciplinaires et spectacles protéiformes, Elisabeth Sanson revient sur les 30 ans, en trois questions.

Elisabeth Sanson, à la tête de Chahuts depuis octobre 2016 Photo : WS/Rue89 Bordeaux

30 ans après, la parole est-elle toujours un art ?

Elisabeth Sanson : Le festival initial s’intitulait le festival du conte interculturel de Saint-Michel. La formulation « arts de la parole » est arrivée plus tard, en 2010, en même temps que le génial changement de nom introduit par Caroline Melon : Chahuts ! De l’art de raconter des histoires, on est passé aux différents arts de la parole, qui englobent bien sûr le conte mais aussi la poésie sonore, le slam, la chanson, les conférences, performances, impromptus et déambulations. A tel point qu’on pourrait parler d’un festival pluridisciplinaire, qui trouve son axe autour de la parole, au sens de l’adresse directe.

La plupart des propositions fait fi du 4e mur ; les artistes s’adressent directement aux spectateurs, ils leur racontent des histoires, créent verbalement des images mentales, font naître des émotions. Après des mois de confinement et de face à face avec nos écrans, la puissance du verbe me semble plus que jamais nécessaire. Nous avons besoin de nous retrouver en chair et en os, d’éprouver ensemble des récits communs, d’échanger entre nous. Les arts de la parole, c’est pour moi aussi l’art de faire circuler la parole. Cet art peut être un remède à l’isolement social, au tout virtuel, c’est plus que jamais un art du vivant !

30 ans après, Saint-Michel est-il toujours un quartier ?

Saint-Michel est depuis longtemps une terre d’accueil des populations issues de l’immigration et j’espère qu’elle va le rester. Etant arrivée à Bordeaux il y a seulement 5 ans, je ne me sens pas légitime pour parler du Saint-Michel d’il y a 30 ans. Cela reste pour moi un mythe, au travers de ce qu’on m’a raconté.

Ce que j’observe depuis ces cinq années, c’est une accélération des contrastes : embourgeoisement d’un côté avec la flambée des prix de l’immobilier et l’arrivée des nouveaux commerçants, et paupérisation de l’autre, avec une plus grande visibilité de la pauvreté, notamment depuis la crise sanitaire. Comment lutter contre ces injustices et les dénoncer ? Comment fortifier les liens entre les personnes pour faire humanité ensemble, dans un tel contexte ? Ce sont des questions qui fondent notre travail et certaines de nos actions.

Il y a toute une partie cachée de notre travail, qu’on appelle la Fabrique : un programme de résidences d’artistes à Saint-Michel (mais aussi à la Benauge depuis 4 ans). Ce sont des projets qui se font en co-construction avec les personnes et les artistes. Par exemple, le Choeur de chômeuses, le Colloque des enfants ou encore B mon amour ont été créés dans le cadre de cette fabrique, avec des volontaires. On prend le temps de donner la parole et de poser un acte artistique qui repose sur l’engagement et la liberté des personnes qui participent. Ce sont ces actions qui nous donnent un ancrage fort à Saint-Michel.

Nous avons par exemple travaillé pendant 3 ans avec les anciens combattants migrants qui vivent à la résidence Mohamed Mechti et cela a donné lieu à un livre de Rachid Akbal et Laetitia Vassal, Empreintes, qui vient de sortir en librairie. Nous sommes attentifs  à valoriser les différentes cultures du quartier, comme par exemple cette année avec le spectacle Souk, en hommage à la grandiose littérature poétique de l’Afrique du Nord.

30 ans après, Chahuts est-il toujours un festival ? 

C’est un festival dans le sens où c’est un rendez vous, voire même un rituel dans le quartier Saint-Michel, et ce, depuis 30 ans. Chahuts, pour bien des gens, c’est ce qui lance le début de l’été !

Pour moi, un festival c’est la possibilité de créer des moment exceptionnels, de permettre aux gens de faire des choses qu’ils ne font pas d’habitude, de déplacer le regard, de vivre plus intensément l’espace de quelques jours. Cette année, c’est un PresqueChahuts, au sens où on ne pourra pas inventer comme chaque année avec le centre d’animation Saint-Michel de nouvelles façons de faire la fête, danser, chanter ou manger ensemble, mais c’est un Chahuts quand même, par la richesse des propositions artistiques et les nombreuses occasions offertes de se rencontrer et de se parler, le temps d’un festival.

Chahuts est inscrit dans un réseau national des arts de la parole, TRAFFIC, et fait par ailleurs un travail de repérage pour inviter à Bordeaux des artistes d’envergure qui proposent une approche singulière des arts de la parole. Alex Cecchetti, qui vient d’Italie, Joëlle Sambi, de Belgique, Coliseum de Moldavie, ou encore les Souffleurs de Paris, la Vaste entreprise de Montpellier, l’Instant dissonant, de Rennes, ou Thomas Ferrand de Caen… ce sont tous des artistes qui n’étaient jamais venus à Bordeaux et qui proposent des aventures artistiques passionnantes.

Les artistes de la Bordeaux (Laura Bazlagette, les Limbes, Matstutaké, Laurence de la Fuente, Monts et Merveilles…) et de la Région (Uz et coutumes, San Salvador…) ne sont pas en reste et peuvent trouver dans Chahuts une occasion de présenter leur création ou des aventures artistiques en cours. J’aime à dire que Chahuts est un laboratoire pour les artistes, un moment privilégié pour expérimenter, le temps d’un festival, un nouveau rapport au monde.


#Chahuts

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