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Commission inceste à Bordeaux : « Toute ma vie, je ressentirai une insécurité permanente »
Société 

Commission inceste à Bordeaux : « Toute ma vie, je ressentirai une insécurité permanente »

par Victoria Berthet.
Publié le 20 novembre 2021.
Imprimé le 27 mars 2023 à 12:34
818 visites. 2 commentaires.

Ce vendredi 19 novembre, la Commission indépendante sur l’inceste et les agressions sexuelles faites aux enfants (Ciivise) a tenu une réunion publique à Bordeaux. Des victimes, des proches, mais aussi des professionnels, ont été invités à témoigner.

« Je viens écouter, en parler c’est encore trop dur », confie une jeune femme. Vendredi 19 novembre, c’est dans les locaux de l’École nationale de la magistrature, à Bordeaux, que des proches ou des victimes d’inceste ont livré leur histoire devant la Ciivise.

Pendant deux heures, les témoignages se sont succédés. La gorge souvent nouée, victimes, mères, professionnels de la protection de l’enfance, ont pris la parole en faveur d’une évolution politique dans la prise en compte des violences liées à l’inceste.

Catharsis

Édouard Durant, juge des enfants et co-président de la Ciivise, a souligné l’importance d’un temps où la parole est donnée à ceux qui ont besoin d’aide :

« Plus de 6 000 témoignages ont été recueillis en deux mois. Après notre première réunion à Nantes, nous avons pu mesurer comment ces réunions pouvaient devenir un espace où la parole circule, dans une grande solidarité et une bienveillance entre des personnes qui s’écoutent et se comprennent. »

Nathalie Mathieu, directrice générale de l’association Docteurs Bru, également co-présidente de la Ciivise, a précisé qu’il s’agissait là d’une « possibilité offerte, mais nullement d’une injonction à parler ». Et pourtant, après le préambule, plusieurs mains se sont levées dans l’assemblée.

Réunion publique de la Ciivise, à Bordeaux (VB/Rue89 Bordeaux)

La première à s’exprimer est une élue d’une mairie, en Dordogne. Fanny Castaignède, également conseillère régionale, a fait le choix de prendre la parole publiquement :

« Je me suis dit qu’il était temps de dire ce que j’ai vécu, mais aussi ce que ça entraîne dans la vie de tous les jours. Je n’ai pas trouvé d’écoute au sein de ma famille, j’ai porté ça toute seule pendant des années. J’ai porté la honte, la peur. Toute ma vie, je ressentirai une insécurité permanente. Tous les matins, je prends des médicaments pour tenir. »

Fanny Castaignède parle d’une existence « assistée chimiquement ». Elle a demandé à ce que le rôle de la Ciivise soit massivement connu, notamment par les acteurs de terrain :

« J’ai sollicité la préfecture de Dordogne sur le sujet de l’inceste. Les services m’ont répondu qu’ils ne connaissait pas la Ciivise. Vous êtes une commission investie par l’État, comment est-ce possible que des préfectures ne connaissent pas votre mission ? »

« Il m’a dit que personne ne me croirait »

Les co-présidents prennent note des remarques et des témoignages, mais interrompent peu l’espace de parole. Le micro est tendu à une adolescente. Courageusement, elle se lève et livre son histoire :

« J’ai 17 ans. J’ai été victime d’inceste de mon père. Ma sœur aussi. Il m’a dit que si j’en parlais, personne ne me croirait. »

Son père s’est suicidé. L’adolescente raconte un quotidien tenu par les traitements médicamenteux. Le jour comme la nuit. Sa mère et sa famille la soutiennent, ils l’ont tout de suite crue. Aujourd’hui, une fois par mois, elle voit un psychiatre. Édouard Durant, le co-président, lui précise qu’il existe des services qui peuvent l’accompagner, elle et sa sœur.

Mères protectrices

Entre la douleur du traumatisme et la nécessité d’aller de l’avant, il y aussi de la colère. Parmi l’assemblée, de nombreuses mères. L’une d’elle a témoigné d’une situation où la justice n’est pas « du bon côté » :

« Quand on est une mère protectrice, on se heurte à un parcours judiciaire impensable. Le père a été auditionné entre deux cafés, il n’a pas été placé en garde à vue. Il y a eu plusieurs signalement de pédopsychiatres et de l’école. Au bout d’un an, ma fille continuait à aller chez son père un week-end sur deux. Ma fille a aujourd’hui 8 ans, elle avait 3 ans au moment des faits. Aujourd’hui, il n’y a toujours pas de décision de justice qui suspend le droit de visite de son père. »

Cette mère a plaidé pour que le discours qui prétend que « des mères instrumentalisent leurs enfants » cesse. À l’instar d’autres mères présentes, la justice lui a souvent dit qu’il s’agissait d’un simple « divorce qui se passe mal ».

Une autre mère a demandé à ce que les experts psychiatres sanctionnés par l’Ordre ne soient plus sollicités dans les affaires d’inceste. Son ex-compagnon, qui est poursuivi pour attouchements sur son fils, n’a pas été évalué comme pouvant représenter un danger pour l’enfant. La mère, elle, s’est vu retirer son autorité parentale.

Face à ces nombreux témoignages de mères déboutées par la justice, le premier avis rendu par la Ciivise préconise ainsi de suspendre les poursuites pour « non-représentation de l’enfant », de suspendre le droit de visite d’un parent soupçonné et de retirer l’autorité parentale en cas de condamnation pour inceste.

L'AUTEUR
Victoria Berthet
Journaliste, diplômée de l'IJBA. Du terrain, des faits et de la nuance.

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