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« Il faut que la prison devienne une peine de dernier recours »

Jeudi 18 novembre, le documentaire « Au nom de la loi, je vous libère » est projeté à l’Utopia, suivi d’un débat. Le film retrace le cheminement d’anciens détenus à leur sortie de prison. Un retour souvent difficile, où les années d’enfermement constituent des entraves à la réinsertion. Entretien avec Christian Jacquot, co-fondateur de l’association de réinsertion Gare BTT et co-auteur du film avec la réalisatrice Nathalie Plicot.

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« Il faut que la prison devienne une peine de dernier recours »

Rue89 Bordeaux : Gare BTT (Groupement d’action et de recherche sur l’exclusion Besançon tout travaux) suit les anciens détenus qui témoignent dans le documentaire. Quelles sont ses principales missions ?

Christian Jacquot : J’ai créé l’association en 1979 avec Roger Gauthier, éducateur spécialisé de formation, à Besançon. C’est l’une des premières entreprises d’insertion françaises. L’association aide à la réinsertion des personnes en situation de rupture, de marginalité. Parmi eux, d’anciens détenus que nous suivons depuis le début et qui ont effectué de courtes ou de longues peines.

On le voit dans le film, les anciens détenus sont accompagnés dans leurs démarches administratives, dans la réinsertion professionnelle, dans l’aide au logement… Certains de ces détenus ont effectué de longues peines, de plus de 20 ans. Quelles traces laissent ces années de détention ?

Le titre du documentaire est une anti-phrase. Les détenus n’entendent jamais ça quand ils sont libérés. À la sortie, ils ont toujours plus d’obligations que de soutiens. Il y a un chemin difficile entre la libération et la liberté. La privation de liberté s’accompagne d’un manque d’hygiène, de promiscuité, de violences. La prison rajoute de la peine à la peine. À la libération, les anciens détenus sont désocialisés. Nous insistons sur le fait de ne pas enfermer les personnes par rapport à ce qu’elles ont commis.

Christian Jacquot avec Martine Moulin, la directrice du Gare BTT Photo : Massala production

Depuis plusieurs années le nombre de personnes incarcérées ne cesse d’augmenter en France, et ce, malgré des réformes pénales comme la loi du 23 mars 2019. Pourquoi ? Peut-on parler d’un tour de vis sécuritaire des politiques ?

La France est l’un des seuls pays d’Europe qui a actuellement un nombre de détenus en augmentation. Le pouvoir considère que la prison est la seule manière de sanctionner et privilégie des options sécuritaires, souvent dans un but électoraliste. Beaucoup de moyens sont investis pour contrôler, beaucoup moins pour prévenir les risques de récidive ou accompagner les détenus à la sortie. De nouvelles prisons sont construites, or cela n’est ni une réponse aux problèmes de délinquance ni une réponse à l’inflation carcérale. Il faut pénaliser autrement.

Comment ?

Il faudrait repenser une politique pénale moins sécuritaire, tournée vers des alternatives comme la contrainte. Cette dernière ne conduit pas à l’enfermement, mais oblige la personne à se soumettre à un ensemble d’obligations tout étant suivi dans un but de réinsertion. Seulement, aujourd’hui, ce sont cinq contraintes pénales qui sont prononcées pour 1 500 personnes incarcérées. 50 à 55% des peines sont des peines de moins d’un an. Il faut que la prison devienne le dernier recours.

Les conditions de détention dans les prisons françaises ont-elles un impact sur le taux de récidive ?

Aujourd’hui, globalement, les taux de récidive vont de 48 à 60%. Ces derniers sont plus élevés chez les personnes qui ont effectué des peines longues. Une majorité des récidives est due à la fois aux conditions de détention et au fait que les personnes sortent sans appui, sans projet, sans accueil. C’est ce qu’on appelle les sorties sèches, sans aménagement ou suivi après la peine. Je me souviens d’un ancien détenu qui me disait qu’il était rentré en prison avec CAP de petit voleur et en était sorti avec Master de voyou. On peut dire que l’abus de détention nuit gravement à la santé de la démocratie.

La Cour européenne des droits de l’homme a sanctionné de nombreuses fois la France, notamment pour la surpopulation carcérale. Quelles raisons expliquent cette inflation, alors que le nombre de détenus baisse dans les autres pays européens ?

Il y a plusieurs raisons à cela : l’incarcération immédiate, l’obligation de résultats qui est imposée à la police, la correctionnalisation d’un certain nombre de délits qui autrefois relevaient d’amendes… Ce n’est pas l’évolution de la délinquance mais l’évolution des lois pénales qui explique l’inflation carcérale. La prison est une institution peu efficace, et qui plus est, coûte cher. Une journée en maison d’arrêt coûte 85 à 87 euros, une journée en maison centrale coûte entre 120 et 130 euros par jour, la création d’une cellule de prison c’est 100 000 euros. À l’occasion de la pandémie 13 800 personnes ont été libérées. Aujourd’hui, nous sommes revenus au nombre de détenus d’avant la pandémie. Aucune disposition n’a été prise. Et à l’aune de la campagne présidentielle, je ne suis pas plus optimiste.

« Au nom de la loi, je vous libère », un documentaire de Nathalie Plicot, co-écrit avec Christian Jacquot (Massala production, 2021). Projection suivie d’un débat « La prison comment on en sort et comment on s’en sort ». Jeudi 18 novembre, à 20h30, à l’Utopia.


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