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Herculine Barbin conduit Catherine Marnas aux confins du genre

Le récit de la vie tourmentée d’Herculine Barbin, personnage emblématique intersexe, est au Théâtre national Bordeaux Aquitaine jusqu’au 22 janvier. Au-delà de la puissance du texte et de la délicatesse de la mise en scène de Catherine Marnas, l’adaptation doit beaucoup à ses deux interprètes, Yuming Hey et Nicolas Martel.

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Herculine Barbin conduit Catherine Marnas aux confins du genre

Dans la nuit du 12 au 13 mars 1868, dans une mansarde du Quartier Latin, rue de l’Ecole-de-Médecine, le corps inanimé d’Abel Barbin gît sur un lit. La pluie tombe à grosses gouttes sur la toiture en zinc de ce dernier étage d’un immeuble parisien. Un médecin légiste se lave les mains après avoir constaté la mort de l’homme. Ce dernier, âgé de 29 ans, a laissé une lettre expliquant son suicide, et un manuscrit intitulé « Mes souvenirs ».

Ainsi débute, sur la scène de Jean-Vauthier au TnBA, « Herculine Barbin : Archéologie d’une révolution », mis en scène par Catherine Marnas. Par la fin de l’histoire.

Seul.e

Plus qu’un exercice de style, cette entrée en matière se veut un hommage rendu, en premier lieu, à Michel Foucault, qui a déniché le manuscrit au département français de l’Hygiène publique et l’a réédité en 1978. Incarné par Nicolas Martel, qui assure d’autres voix autour du personnage principal, le philosophe se penche sur un lit et soulève un linceul immaculé pour faire apparaître Yuming Hey, en Abel Barbin gisant. La sérénité troublante de la scène est interrompue par une urgente inspiration, un retour à la vie qui ouvre le récit.

« J’ai beaucoup souffert, et j’ai souffert seul ! seul ! abandonné de tous ! Ma place n’était pas marquée dans ce monde qui me fuyait, qui m’avait maudit. »

Michel Foucault libère ainsi la parole d’ « Herculine Adélaïde Barbin, Alexina Barbin, ou encore Abel Barbin, désigné dans son propre texte soit sous le prénom d’Alexina, soit sous celui de Camille ». Son douloureux et violent récit impose de facto une nouvelle donne à une société post-soixante-huitarde emportée par la libération sexuelle. Le témoignage autobiographique, rare et poignant, offre à l’auteur de l’Histoire de la sexualité l’occasion d’une préface remarquée où se pose la question : « Avons-nous vraiment besoin d’un vrai sexe ? »

Les mémoires d’Herculine Barbin bousculent, encore et toujours, cent cinquante ans après leur rédaction, la notion du genre. Assignée de sexe féminin à sa naissance à Saint-Jean-d’Angély le 8 novembre 1838, elle est placée en pension pour filles dans un couvent d’Oléron où elle découvre et fait face à ses premiers émois lesbiens. Suite à des confessions, des observations médicales la redéfinissent de sexe masculin et la projettent, à 21 ans, dans l’univers des hommes où de sévères tourments et une difficile métamorphose tiraillent sa nouvelle vie.

Toute la délicatesse de Yuming Hey et Nicolas Martel Photo : de Pierre Planchenault, ainsi que la une

Des interrogations

« J’ai relevé, lors de la sélection de la dernière promotion de l’éstba [École supérieure de théâtre Bordeaux Aquitaine, NDLR], des interrogations sur le genre », déclarait Catherine Marnas lors de la présentation de son projet au festival Focus en mars 2021. Selon la directrice du Tnba, « un certain nombre de candidats avait refusé un genre prédéfini ». Ce qui l’emmène à découvrir les mémoires d’Herculine Barbin, et de décider de mettre en scène une adaptation du texte, avec la complicité immédiate de Vanasay Khamphommala, artiste queer et metteur en scène, et plus tard, Arnaud Alessandrin, sociologue du genre.

Sur ce terrain glissant s’il en est, Catherine Marnas semble s’en être remise à sa sincérité. Le discours n’est militant que par le choix de ce texte et la parfaite transmission des personnages. De ce côté, le casting voit juste.

Avec Yuming Hey, le pari de contrecarrer les genres en attribuant à un comédien non-binaire le rôle principal invite habilement à décaler nos perceptions. En face, avec la voix grave et les gestes fluides de Nicolas Martel, la justesse de l’accompagnement d’Herculine à travers les nombreux rôles n’a d’égale que les délicieux moments de chants si aisément placés.

La scénographie contemporaine et radicale de Carlos Calvo, mise en mouvement par la lumière de Michel Theuil et la vidéo de Valéry Faidherbe, et habillée par les sons évocateurs de Madame Miniature, contribue à la lecture délicate de ce cruel épisode.

« Herculine Barbin : Archéologie d’une révolution » se fait avec force et évidence l’écho des souffrances tues dans une société qui peine encore à se défaire d’une binarité jugée obsolète. 

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