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Le long chemin vers l’autonomie des personnes handicapées à Bordeaux

Plusieurs actions en faveur des personnes en situation de handicap figurent dans le plan de la Ville de Bordeaux, établi dans la continuité des politiques précédentes pour répondre aux exigences de la loi de 2005, et voté récemment en conseil municipal. Reprenant les principes d’accessibilité et d’inclusion, ce plan fait valoir la participation des associations expertes et promeut l’accès à l’information spécialisée comme la création d’une cartographie digitale des trajets accessibles. L’attente sur le terrain est grande.

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Le long chemin vers l’autonomie des personnes handicapées à Bordeaux

« On vient rarement à Bordeaux, le stationnement y est difficile. La dernière fois, on voulait se rendre au Marché de Noël et impossible de se garer. On est allé à celui de Libourne », raconte Carine Isus.

Cette accompagnatrice éducative et sociale chez Hapogys, association pour la défense des intérêts des personnes en situation de handicap basée à Cenon, est de retour quelques jours plus tard à Bordeaux avec deux personnes à mobilité réduite (PMR) pour évoquer à Rue89 Bordeaux les difficultés « en vrai ».

À chaque handicap, sa difficulté 

Les obstacles ne se font pas attendre. Pour Jean-Baptiste et Nabil, tous deux en fauteuil roulant électrique, même les trottoirs supposés accessibles ne le sont pas vraiment. Ils doivent faire attention à certains pavés cassés ou décollés pour éviter la chute et avancent prudemment. Sur d’autres trottoirs de la ville plus étroits ou encombrés par des voitures mal garées, les deux trentenaires doivent emprunter la voie des voitures. Et ce ne sont pas les seules difficultés qu’ils ont pu connaître. 

L’allée de Chartres, près des Quinconces, est large mais très périlleuse pour n’importe quel type de handicap dû aux pavés Photo : CA/Rue89 Bordeaux

Jean-Baptiste rapporte que la rampe d’accès du bus est parfois en panne. Dans ce cas, le conducteur et des passagers l’aident à s’installer dans le bus et à en descendre. Bien qu’il apprécie cette solidarité, il regrette de ne pas être autonome pour ses déplacements. Sans compter les réflexions désagréables de certains usagers : « ça me passe au-dessus, mais je ne comprends pas qu’on en fasse », souffle-t-il.

D’autres témoignages corroborent les mésaventures de Jean-Baptiste. Anna Touron, déficiente visuelle et directrice de la délégation d’Accompagner, promouvoir et intégrer les déficients visuels (apiDV) en Nouvelle-Aquitaine, admet que des dispositifs existent dans les transports collectifs, « mais parfois ça ne fonctionne pas ». Elle pointe également des manques, comme sur le parvis de la gare, où les mal-voyants ont peu de repères sonores ou au sol pour se diriger ou vers les quais ou vers les trams et bus.

Dans la continuité 

Ces difficultés, la mairie de Bordeaux espère les résorber avec son dernier plan handicap voté au conseil municipal ce 8 février 2022. Dans la continuité des travaux engagés par les autres mandatures, il se présente comme « une nouvelle impulsion afin de rendre encore plus opérationnelles et lisibles les actions menées » et entend s’intégrer « dans l’ensemble des politiques publiques municipales notamment la politique culturelle, la petite enfance et l’enfance, la santé, la lutte contre les discriminations, les actions en faveur des seniors bordelais ».

Basé sur quatre principes, il reprend donc les éléments d’accessibilité et d’inclusion déjà dans les plans précédents répondant aux ambitions de la loi de 2005-102 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Il y inclut le principe de l’accès à l’information et le principe de participation en sollicitant de nombreuses associations bordelaises expertes ou spécialisées.

Pour Olivier Escots, adjoint au maire chargé du handicap et de la lutte contre toutes les discriminations, « ce plan confirme les différentes formes de collaborations comme autant de ressources et d’atouts pour œuvrer dans le domaine de l’inclusion et prend en compte les 5 familles de handicap », à savoir les handicap moteur, sensoriel, psychique et mental, ainsi que les maladies invalidantes.

Accessibilité

Pour rendre accessible la ville, le plan veut poursuivre la mise en accessibilité réglementaire des lieux accueillant du public qui fixe une échéance à 2026. Sur les 362 sites publics, seulement 61 sites sont conformes comme la bibliothèque des Aubiers ou les écoles du quartier de la Benauge et 23 sont en attente de validation comme les écoles maternelles et élémentaires Paul-Doumer, Lac III ou bien Pin francs.

Concernant les 278 sites restants, ils sont accessibles partiellement mais ne répondent pas entièrement aux normes assure l’adjoint. Exemple ?

« On peut citer le CAPC, le musée d’art contemporain. C’est un des gros dossiers qui mobilise fortement les services de la Ville. »

Quelques défauts ont été relevés sur le site lors d’une visite des membres de la sous-commission départementale d’accessibilité. Le cheminement pour les personnes déficientes visuelles avec un manque de bandes d’éveil de vigilance ou bien les places PMR dans l’amphithéâtre du lieu sont des défauts à régler.

Un GPS pour les déplacements

La majorité municipale veut miser sur l’information, en réalisant par exemple une plateforme numérique dédiée aux lieux et sites adaptés à n’importe quel type de handicap. Elle souhaite également, pour 2023, faciliter l’accès au service public notamment pour les personnes sourdes, malentendantes ou en déficience auditive, ainsi que l’information en ligne en adaptant tous les supports avec l’incorporation notamment de pictogrammes.

Si aucune réponse n’est apportée pour l’accessibilité du parvis de la gare soulevé par Anna Touron, car dépendant de la SNCF, une solution va être expérimentée pour les déplacements en ville. Bordeaux, en collaboration avec Cenon, « développe une sorte de Waze qui permet d’étudier les trajets les plus adaptés pour les usagers en fauteuil roulant », rapporte l’adjoint. Ce projet pourrait voir le jour vers la fin de l’année 2022. Cependant, le problème d’adaptabilité des trottoirs ne peut être réglé par la Ville : il revient à Bordeaux Métropole, en charge des voiries de l’étudier, précise l’adjoint.

En attendant, les offres alternatives de transports comme les taxis adaptés seront encouragés. Par ailleurs, de nouveaux places de stationnement handicapés sont prévus dans les quartiers. Bordeaux dispose de près de 1 200 places, soit 2,2 % des places de stationnements. « C’est 0,2 % de plus qu’impose la nomenclature nationale », souligne Olivier Escots qui se dit prêt à en prévoir plus « là où il y en a besoin ». 

Un plan qui divise

Pour les associations, l’accueil est mitigé. Audition & Ecoute 33 craint que ce plan ne soit rapidement dépassé. Sa président, Sandrine Lambard, elle même malentendante ironise :

« On nous dit souvent oui à tout. Que des solutions sont prévues et qu’on va accélérer les dispositifs nécessaires pour les personnes atteintes de surdité ou de malentendante. Mais on attend de voir, et souvent rien ne se fait vraiment. »

Il y a plus d’optimisme chez Anna Touron. Son association a participé à des séminaires mis en place par la mairie pour établir sa feuille de route :

« On a donné des idées et proposé des actions à mener. Maintenant, c’est à la mairie de les mettre en place », souligne-t-elle. 

Nuage Bleu, association accueillant des enfants polyhandicapés de 3 mois à 6 ans, a également participé à l’élaboration de ce plan et témoigne, par la voix de sa directrice Anne Trabuc, d’ « une volonté dans la mise en place des processus dans laquelle il faut croire ». 

De là à rendre l’autonomie aux personnes en situation d’handicap, « il y a du chemin à faire », estime Carine Isus. L’accompagnatrice d’Hapogys aimerait que des situations réelles soient étudiées en priorité et que les décisions soient prises après visite sur le terrain. En fauteuil ? Jean-Baptiste, Nabil et leur accompagnatrice se regardent le sourire en coin : « Ils ne vont même pas tenir une heure. »

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